• Bouts de rien : de la bague à la baguette, rubis sur l'ongle

    Dites-le avec des fleurs

    crédit photo anthropia # blog

     

     

    Hier j’ai perdu ma bague, ne rien chercher de trouble, j’avais perdu ma bague, point. Ni bague de fiançailles, ni alliance, j’ai remisé tout ça il y a quelques temps déjà, non juste un anneau à deux cercles d’argent et entre eux des petits rubis, pratique ne s’use pas, on ne perd pas les pierres, bien serties entre les bras offerts, ma bague habituelle, je ne suis pas changeuse en matière de bijoux. A une certaine valeur, mais depuis longtemps, largement amortie.

    J’ouvre mon Encyclopédie favorite à la lettre B, qui me confie que le B est très compliqué.

    « Le B étant une consonne, il n’a de son qu’avec une voyelle ; ainsi quand le B termine un mot, tels que Achab, Job ou Jacob, après avoir formé le B par l’approche des deux lèvres l’une contre l’autre, on ouvre la bouche & on pousse autant d’air qu’il en faut pour faire entendre un e muet, & ce n’est qu’alors qu’on entend le B. Cet e muet est beaucoup plus foible que celui qu’on entend dans syllabe, Eusèbe, globe ».


    Ça commençait bien, en effet, sans la bouche, sans les lèvres, sans le e et sans ce coller soudain des lèvres l’une sur l’autre, c’est-à-dire une première ouverture pour aspirer puis le son mat des lèvres à bouche, point de B. Et le e muet qu’on n’entend pas et qui manquerait cruellement s’il n’était point là, est INDISPENSABLE. On ne peut s’en passer, je sais c’est redondant, mais.

     

    Chez les Grecs modernes, on ne dit plus, alpha, béta, on dit alpha vita, quel beau mot que ce B transformé en vit, on le voit tout de suite à la langue que ça vibre.

     

    Alors soyons précis, mes cours lointains de linguistique opératoire et de phonétique sonore me reviennent, non sans un coup de main de wi ki vous savez.

    « Voici les caractéristiques de la consonne occlusive bilabiale voisée :

    • Son mode d'articulation est occlusif, ce qui signifie qu'elle est produite en obstruant l’air du chenal vocal.
    • Son point d’articulation est bilabial, ce qui signifie qu'elle est articulée avec les deux lèvres.
    • Sa phonation est voisée, ce qui signifie que les cordes vocales vibrent lors de l’articulation.
    • C'est une consonne orale, ce qui signifie que l'air ne s’échappe que par la bouche.
    • C'est une consonne centrale, ce qui signifie qu’elle est produite en laissant l'air passer au-dessus du milieu de la langue, plutôt que par les côtés.
    • Son mécanisme de courant d'air est égressif pulmonaire, ce qui signifie qu'elle est articulée en poussant l'air par les poumons et à travers le chenal vocatoire, plutôt que par la glotte ou la bouche. »

    J’en reste bouche bée, cette précision de la consonne, cette mise à contribution de toutes les cordes, déployées jusqu’en leurs derniers retranchements, il s’agit d’obstruer le chenal vocal, et de voiser, c’est beau ce voisin qui fait vibrer l’articulation.

     

    Et cette oralité, à tous les sens du terme, au-dessus du milieu de la langue, plus que par les côtés, encore que ça puisse s’envisager, mais ici l’air et la bouche comme la geste qu’on sonne, ah, c’est central dans cette lettre.

     

    Et ce mécanisme de courant d’air égressif pulmonaire, tous les poumons à l’abordage, cette articulation au chenal vocatoire, chenons, chenons, jusqu’à répétition du B.e,, le bêlement de chèvre en récompense de ses bons et loyaux services de pousser l’air par les poumons de toutes ses forces, c’est bien le moindre effort qu’on puisse faire pour la bête.

     

    Mais où en étais-je, ah oui, à la BAGUE, chez Diderot et d’Alembert, pas de surprise, « petit ornement circulaire d’or, d’argent & quelques autres matières, qu’on porte à un doigt ». Pas très commun toutefois chez les Grecs, point chez Homère, nous disent les spécialistes, mais bien sûr chez les Egyptiens, Pharaon donnant par exemple sa bague à cacheter à Joseph. Les plus anciens Romains appelaient la leur ungulum, juste en passant.

    Mais c’est pour la frette des jeux d’anches de l’orgue à laquelle on donne le nom de bague, que j’ai une sympathie toute particulière.

    «  BAGUES ; on appelle ainsi, dans les jeux d'anches de l'Orgue, une frette ou un anneau de plomb D, (fig. 44. Pl. d'Orgue) soudé sur le corps du tuyau. Cette bague a un trou pour passer la rasette a b, au moyen de laquelle on accorde les jeux d'anches. Voyez TROMPETTE. Lorsque le tuyau est placé dans sa boîte A B, la bague doit porter sur la partie supérieure de cette boîte, dans laquelle elle entre en partie, & doit y être ajustée de façon que l'air contenu dans cette boîte, ne puisse trouver d'issue pour sortir que par l'anche du tuyau. Voyez ORGUE. « 

    Tout est dit, « ne puisse trouver d’issue pour sortir que par l’anche du tuyau ». Et ce TROMPETTE, on m'invite à naviguer, mais j'ai résisté dans l'attente, je ne suis pas allée non plus jusqu’à ORGUE, j’attends pour ça une occasion.

     

    Ah, tous ces paragraphes de bague et même jusqu’à BAGUENAUDIER, que je ne résiste pas au plaisir de citer

    « S. m. colutea (Hist. nat.) genre de plante à fleur papilionacée. Il sort du calice un pistil qui devient dans la suite une capsule membraneuse, enflée comme une vessie, dans laquelle il y a des semences qui ont la forme d'un rein. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

    Son bois est clair, ses feuilles rondes, petites, d'un verd blanchâtre, avec des fleurs jaunes. Cet arbre se dépouille l'hyver, & se marcotte ordinairement, quoiqu'il donne de la graine. Sa graine étant mûre, devient jaune. (K) »

    Oui, tous ces paragraphes, on y succomberait, j'ai même jeté un coup d’œil à BAGUETTE, au doigt et à l’œil, que ne ferais-je pour nourrir l’animal, sans compter que j'y trouve mon intérêt :

     

    « S. f. On donne communément ce nom à un petit morceau de bois de quelques lignes d'épaisseur, plus ou moins long, rond & flexible. On employe la baguette à une infinité d'usages. Le bois dont on la fait, varie selon ses usages. On en fait même de fer forgé.

     

    J'en ai profité pour me cultiver, cette baguette divine ou divinatoire :

    « BAGUETTE DIVINE ou DIVINATOIRE. On donne ce beau nom à un rameau fourchu de coudrier, d'aune, de hêtre ou de pommier. Il n'est fait aucune mention de cette baguette dans les auteurs qui ont vécu avant l'onzieme siecle. Depuis le tems qu'elle est connue on lui a donné différens noms, comme caducée, verge d'Aaron, &c. Voici la maniere dont on prétend qu'on s'en doit servir. On tient d'une main l'extrémité d'une branche, sans la serrer beaucoup, ensorte que le dedans de la main regarde le ciel. On tient de l'autre main l'extrémité de l'autre branche, la tige commune étant parallele à l'horison, ou un peu plus élevée. L'on avance ainsi doucement vers l'endroit où l'on soupconnne qu'il y a de l'eau. Dès que l'on y est arrivé, la baguette tourne & s'incline vers la terre, comme une aiguille qu'on vient d'aimanter. »

     

    Finissant sur cette belle transpiration :

    « Une transpiration de corpuscules abondans, grossiers, sortis des mains & du corps, & poussés rapidement, peut rompre, écarter le volume, ou la colonne des vapeurs qui s'élevent de la source, ou tellement boucher les pores & les fibres de la baguette, qu'elle soit inaccessible aux vapeurs ; & sans l'action des vapeurs, la baguette ne dira rien : d'où il semble que l'épreuve de la baguette doit se faire sur-tout le matin, parce qu'alors la vapeur n'ayant point été enlevée, elle est plus abondante. C'est peut-être aussi pour cette raison que la baguette n'a pas le même effet dans toutes les mains, ni toûjours dans la même main. »

    on comprend mieux pourquoi j’y étais si sensible, point de vice là-dedans, juste de la vertu appliquée à la tâche.

    De la bague à la baguette, il n’y a vraiment qu’un pas, que j’ai parcouru ardemment dans la crainte de la perdre définitivement, j'aurais bien sûr aussi pu m'acheter cette petite fantaisie, mais pour ça on peut attendre, quoi que pour meubler ces longs silences d’objets qui font tant de peine, d’une certaine façon, je ne pouvais que la retrouver ma bague et ce matin, je l'ai retrouvée posée sur ce livre, qui fut le contrepoint l'automne et l'hiver dernier à ma lecture de Proust, tout un itinéraire pour me souvenir du chemin qui, elle était bien tombée de mon annulaire, je me suis dit que j’aurais dû prévoir la chose, perdre de la perte, tout un programme, c’était inévitable que cette bague à mon annulaire n’allait pas tenir, j’ai donc décidé de la mettre au majeur, bien au centre, deux doigts de chaque côté, comme emprisonnée dans cet embrassement, et là est arrimée, solidement emboîtée, elle ne risque plus de fuir.

    Elle est au doigt la bague.

     

    Débris de rien, de la bague à la baguette, rubis sur l'ongle


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