• Chronique Ivryenne XXI- Obsession

    Louise Bourgeois 

    The mirror

    FIAC 2007

    Cliché Anthropia

     

     

    Il y a d'étranges moments captés dans la foulée d'une marche en ville.

     

    Ce matin, j'éveillais mes cheveux dans l'air doux d'un presqu'été.

     

    En traversant, j'aperçois une voiture garée en double file,

    dans la voie des bus, tous warnings clignotant.

     

    Devant la voiture, une jeune femme maigre, cheveux longs chocolat,

    quelque chose dans l'allure qui me fait penser à la pauvreté, l'ingrate condition.

    La voiture n'est pas neuve, mais il y a voiture.

     

    Ce qui me frappe d'abord c'est le mouvement répétitif qu'elle exerce

    à l'aide d'un petit mouchoir

    sur la carrosserie de sa voiture, porte conducteur ouverte,

    elle frotte avec obsession des petites taches qui se trouvent sur le toit,

    dans l'arrondi, au-dessus du cadre de porte.

     

    Elle frotte une tache, puis une autre, comme si là dans la double file,

    tous feux allumés, elle n'avait que ça à faire.

     

    Je dis ça, parce qu'en traversant, j'ai vu un bus s'arrêter pour prendre des passagers,

    il va bientôt redémarrer et fatalement, oui fatalement,

    il va vouloir emprunter le couloir bus que la femme au mouchoir bloque,

    avec sa voiture, porte ouverte.

     

    Elle frotte, elle frotte, mais ce faisant,

    je la vois glisser des regards façon derrière les paupières,

    vers les fenêtres du grand immeuble, juste en face.

    Des petits coups rapides.

    J'ai compris : c'est pour ça qu'elle est là.

     

    Ce qui m'apparaît, c'est qu'elle fait mine,

    mine de rien, mine de nettoyer,

    mine d'être là par hasard.

     

     

    Dans l'auto, banquette arrière, un enfant emmitouflé. 

    Elle est là, un dimanche matin, par hasard,

    dans un couloir de bus, avec son fils bébé,

    qui n'a rien d'autre à faire qu'attendre là dans l'auto,

    dans son fauteuil-bébé, à regarder sa mère,

    nettoyer d'hypothétiques taches

    sur le cadre de la porte de la voiture.

     

    Voilà. Et je me mets à supputer.

    Que fait-elle ? Qui attend-elle ?

    Un homme, forcément un homme.

    Le père du petit. Elle sait qu'il est là.

    Il est marié avec une autre.

    Alors, elle l'attend, elle veut le voir.

    Elle existe encore, il ne peut pas la larguer

    comme ça, sans rien dire.

     

    Elle vient avec le petit,

    qu'elle a habillé en quatrième vitesse ce matin,

    parce qu'il fallait qu'elle voie son homme,

    et qu'il n'y a personne pour le garder.

     

    Lui ne donne plus signe.

    Il n'appelle plus. Il laisse son répondeur sonner dans le vide.

    Elle n'a même plus accès à la boîte vocale.

     

    Alors, elle est là.

    Et aucun bus, aucun regard de passante, aucun cri d'enfant,

    ne saurait avoir raison de son obsessionnelle attente nettoyante.

     

    C'est cela l'air de pauvreté qu'elle porte sur elle,

    c'est celle de l'esprit ;

    on regarde partout en quête de quelque chose

    et y a rien.

    C'est l'air de la folie.

    Une Lucia, qui attend et qui frotte.

     

    Finalement, elle capitule, je me suis retournée, deux fois le bus a klaxonné,

    place au public, à la transportation,

    la femme est dans son tort, elle doit céder le passage,

    et même le libérer, dégagez, y a rien à voir.

     

    La femme n'est pas à sa place, elle doit quitter, séance tenante.

    Et je la vois remonter dans la voiture,

    avec nonchalance, l'indifférence de la solitude,

    que rien n'atteint.

     

    Elle va se garer dans la rue adjacente.

    Le bus la houspille, long klaxon de culpabilisation.

     

    Elle reste dans la voiture, elle regarde obsédée,

    vers l'entrée de l'immeuble.

     


    Elle attendra toute la matinée s'il le faut et même l'après-midi.

     

    Mais peut-être, attend-elle simplement son homme passé chez sa mère,

    pour le bonjour du dimanche.

    Et la nervosité n'est que la relation tendue

    à la belle-mère, sujet de conflits.

     

    Ou bien est-ce sa soeur qui va chercher quelques effets chez son amant

    qu'elle vient de quitter. Et la soeur craint le pire, un acte violent.

     

    Que valent quelques secondes pour découvrir un être ?

     

    On ne sait jamais en voyant une femme nettoyer,

    ce qu'elle cherche à effacer.

    A part la tache.

     

     

     

     

     

     

     

     

     


  • Commentaires

    1
    Juléjim
    Dimanche 6 Avril 2008 à 15:31
    la différence
    Ce qui fait toute la différence entre "une fille pauvre" et "une pauvre fille" : juste une question de juste place, dans les mots, dans la rue, dans la vie.
    2
    mona
    Dimanche 6 Avril 2008 à 21:02
    obsession
    Anthropia , votre regard posé sur l'autre lui donne vie . Le plaisir de vous lire .
    3
    Urbidan
    Mardi 8 Avril 2008 à 15:57
    ...presque à voir
    Belle petite chronique de "rien", de ce presque à voir imperceptible. J'étais à côté de vous, à vous regarder voir. C'était très doux. Merci.
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