• Bruno Rousseau

    Tourelles pour voitures

     

     

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    Ce matin, un type en vrac m'accoste à la pompe à essence. Il est livide, fatigué, porte une petite boucle argent à l'oreille et s'approche de moi avec deux bouteilles plastiques vides.

     

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    Aidez-moi, aidez-moi, Mademoiselle. Oui, que puis-je faire ? Je penche pour une manche originale, une pièce pour la route, à l'entrée de l'autoroute, pour acheter un cubi de rouge qui tache, de quoi remplir ses bouteilles.

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    Mais non, ce n'est pas ça. Le type, c'est de l'essence qu'il veut, le cubi, c'est moi qui dois le remplir, avec ma pompe bien ostensiblement entrée dans mon réservoir à essence. L'argent, c'est à moi qu'il revient. Mettez m'en pour 5 euros, je vous paierai.

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    Je le regarde une deuxième fois. Les yeux inquiets, rouges autour des pupilles. Le nerveux s'approche de moi, il pousse les bouteilles sur mon sac. Façon de faire pression. Mais je n'ai pas peur. Je suis tombé en panne, je viens du haut d'Ivry, à pied. Vous pourriez pas me dépanner.

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    Lâche comme souvent, je lui propose d'aller demander au pompiste. Non, il ne veut pas. Il dit qu'il a pas le droit de me livrer de l'essence en vrac. Je me retourne, avise la mine défaite du pompiste derrière la vitrine, qui fait un signe négatif de la tête. Non, je ne peux pas, le pompiste ne veut pas.

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    Je finis mon plein. M'en vais payer. Le gars me suit. Le pompiste m'explique qu'il a reçu un appel de l'inspecteur de police, lui interdisant de vendre de l'essence en vrac. Vous comprenez, s'ils tombent sur lui avec ses bouteilles remplies, ils fermeront la station. Ils ont peur. Avec les émeutes de la nuit dans le Val d'Oise, ils ont peur que le mouvement se répande. Mais le gars n'a qu'à aller au poste. Tout à l'heure, un retraité y est allé. Ils m'ont appelé. Je lui ai servi l'essence.

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    Je suis sûre que le gars n'obtiendra pas l'essence, lui, il a trop la gueule de l'emploi, de l'émeutier qui prépare ses cocktails molotof. Toujours à me fendre d'un bon conseil : faites venir un copain, et syphonnez l'essence de son réservoir avec un tuyau plastique. Il me regarde. Je n'ai pas que ça à faire, mes copains non plus. Je suis pressé.

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    Le pompiste se tourne vers ses papiers, glissés le long de la glace. Vous savez à la fin du mois, j'aurai une circulaire du Préfet, qui me dira de contrôler l'identité de ceux qui achètent de l'essence en vrac, je devrai faire une copie de la pièce d'identité. Comme il y a deux ans.

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    Dans la queue qui s'agglutine peu à peu derrière nous, un black grommelle. C'est de sa faute aussi, il n'avait pas à tomber en panne d'essence. Je réponds que cela peut arriver à tout le monde. Mais ne me décide toujours pas à lui filer un coup de main, il est dans les hauts d'Ivry, et là-haut, il y a un gigantesque bouchon, des travaux partout, je n'ai pas le temps. Et je file, lâchement.

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    Dans le rétroviseur, je vois le gars, qui s'éloigne du côté du commissariat. Il était vraiment en panne.

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    Il y a deux ans à Ivry, on n'a pas eu de problème. Le bourg, communiste, n'a pas brûlé, les associations sont allées voir les jeunes et les ont dissuadés de brûler les voitures. Un tissu social, ça sert à ça, que les gens montent au créneau, qu'ils se serrent les coudes, pour protéger leur cité. Total, quasiment pas de voitures incendiées.

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    Je m'en vais, pas fière de moi, j'ai préféré me défausser. De quoi au juste ? De lui rendre service ? De me retrouver embringuée dans une affaire de police ?

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    Et je me souviens d'une après-midi chaude de mon enfance, un ouvrier vient vers moi, je suis suspendue à la grille de la maison. Eh, petite, tu n'aurais pas une bouteille de verre qui traînerait dans ton garage. Je vais la chercher. Un peu plus tard, un autre vient me demander du tissu, du coton blanc. Je vais en chercher dans le panier de la machine à coudre. Enfin, un troisième. Y a pas une jerrycane d'essence dans ton garage ? Et là, tout à coup, je m'arrête d'aider. Je ne sais pas pourquoi. Non. Et je descends de la grille pour rentrer à la maison.

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    Là-bas dans la rue, j'ai vu se monter une barricade de pavés et de poutres, j'entends le sifflement de bouteilles d'essence enflammées, je vois la police charger. Je me souviens tout à coup que ce jour-là, en 1968, on retrouve un homme mort sur le pavé, un ouvrier tué par la police. Et je n'ai pas envie d'en être, ni d'un côté, ni de l'autre. La violence me fait peur, quelque soit le camp qui y recourt.






     

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  • Corbis (droits réservés)

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    A Ivry, quand on va au cinéma de quartier, on va au Luxy, 4,50 euros la séance, qui dit mieux.


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    L'autre soir, on y donnait La Question Humaine de Nicolas Klotz. Je passe sur le film qui fait se poser des tas de questions quand on travaille en entreprise dans les ressources humaines.


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    Un ami, ancien DRH, parle de son ancien métier comme « agent de transit », métier de merde qui assure le transit in et out au sens de la merde. Quand les personnels deviennent des ressources humaines, valorisées comme n'importe quel coût dans l'exercice comptable, toujours trop chers disent les patrons. On doit donc les gérer comme tous ces coûts d'entreprise, pour que la dépense baisse, en délocalisant, en licenciant, en automatisant, les trois voies du « downsizing ».



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    Le film nous montre comment l'usage par les nazis d'une langue pervertie et euphémisante -« la solution finale » par exemple- s'est répandue dans tout le XXème siècle, comment cet usage s'est généralisé à toutes les sphères sociales, et singulièrement au vocabulaire d'entreprise, parlant des hommes et des femmes en termes d'unités, d'outplacement et de plan social, mots pudiques pour parler de licenciement et de reclassement dans des voies sans issue, de type CDD de trois mois ou stage garage.

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    L'autre soir au cinéma, quand la lumière s'est rallumée, le réalisateur était là et le débat s'est engagé.


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    Je voudrais ici citer Tom, le biologiste, qui a pris la parole et qui s'est dit en résonnance avec le film. Tom travaille dans l'ADN, il réalise des tests ADN, c'est son métier.


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    A partir de maintenant, grâce à la nouvelle loi sur l'immigration (une par an, comme durant la montée du nazisme en Allemagne pour les lois scélérates, technique de la cuisson de la grenouille, on fait chauffer l'eau peu à peu, pour que la grenouille ne se rende compte de rien), oui désormais, le nouveau métier de Tom va consister à prélever l'ADN de migrants, analyser les résultats et les envoyer à la police, pour chasser l'immigré. Il va devoir dire si les enfants de ces hommes ou de ces femmes sont bien leurs enfants. S'ils sont les enfants de cet homme, la police leur délivrera alors des cartes de séjours « vie familiale ».



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    Même en Italie, qui a adopté les tests ADN, une précaution a été prise, les résultats ne sont pas envoyés à la police, ils sont destinés à une Fondation d'aide aux migrants, qui transmet l'information positive ou négative à la police, mais détruit les échantillons d'ADN ; ainsi ces tests ne sont pas reversés aux fichiers de l'Intérieur. En France, oui vous savez, le pays des droits humains, on vient de rétablir les fichiers racistes qu'on enrichira de tests ADN facultatifs, mais à la charge du migrant qui veut faire venir sa famille. On ne les lui remboursera que s'il obtient le visa. Donc s'il ne l'obtient pas, il aura vraiment tout perdu, sa famille, sa certitude de paternité et son argent.



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    On réduit par ailleurs le droit de recours pour les étrangers demandeurs d'asile de 1 mois (prévu dans le projet de loi) à 15 jours, ce qui est une atteinte fondamentale au droit d'asile. Et on fusionne en une seule décision le refus de papier et la reconduite à la frontière, histoire de contourner les recours aux juges qui annulent les reconduites. Ainsi, la reconduite à la frontière ne sera plus qu'une affaire d'arbitraire administratif, tellement plus pratique.




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    Tom est dans la stupeur, il vient de devenir auxiliaire de police, ce n'était pas son choix, lui, il voulait être biologiste et il ne sait pas s'il poursuivra dans cette voie. Et moi j'ai honte de vivre dans ce pays.

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    Les lofts sont comme vous le savez souvent aménagés dans des anciens ateliers. C'est le cas du mien.

     

    Donc, il y a dix ans, là où se trouve ma pièce à vivre, se trouvait une entrée de garage pour les véhicules utilitaires du petit atelier de confection qui l'occupait.

     

    Donc, à l'extérieur, il y avait une interdiction de stationner et un léger, oh très léger, abaissement de trottoir que le propriétaire avait réalisé sur ses deniers, puisque c'était à son avantage.

     

    Mais donc, depuis, c'est un loft et j'y habite. Je me gare donc devant mon entrée de garage qui entre temps est devenue une baie vitrée de loft. Vous me suivez.

     

    Et bien, aujourd'hui, je me suis vue verbaliser 35 Euros, parce que je garais ma voiture devant une entrée carrossable, qui n'en est plus une. Vous me suivez toujours.

     

    Je suis donc allée débroussailler cette affaire kafkaïenne au Commissariat, qui m'a gentiment renvoyée à la Mairie, qui m'a gentiment orientée vers la Direction des Services Techniques, à l'accueil de laquelle, on m'a très gentiment indiqué que c'était au 2ème étage, lequel m'a gentiment réorientée vers le 1er étage, qui m'a gentiment signalé que la Direction des Espaces Publics d'Ivry, qui m'a dressé le PV, se trouvait au 3ème étage.

     

    Là, rien à dire, les jeunes femmes qui m'ont reçue étaient très aimables, mais malheureusement pour moi m'ont signalé qu'elles ne pouvaient rien faire, car c'était une voie carrossable. J'ai eu beau leur montrer des photos de ma baie vitrée, du mur vierge de tout panneau d'interdiction de stationner, bref on m'a appris, oui, je sais, mon passage au code de la route date un peu, qu'il suffisait qu'il y ait un léger abaissement du trottoir pour qu'on considère que ce n'est pas un parking.

     

    Bref, ce qui compte, ce n'est pas l'usage, la réalité, mais la forme du trottoir. Et si je vous le montrais, vous verriez que l'abaissement tient du centimètre. Mais voilà hein, c'est comme ça. Le code, c'est le code. Ah j'oubliais, si je veux que cela change, il ne me reste qu'à payer plusieurs milliers d'euros pour obtenir que ce privilège que j'ai d'avoir un accès carrossable qui ne me sert à rien me soit retiré. C'est simple, il me suffit d'écrire au technicien, qui fera un chantier pour redresser le trottoir d'un centimètre.

     

    Au pays de Kafka, Chouka ne peut vraiment rien faire pour moi. C'est la loi.

     

     

     

     


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    J'écoutais aujourd'hui un docte responsable, parlant pro-gouvernement, disant qu'en France, ce qui compte, ce n'est pas le contrat de travail, mais le salaire. Nos salaires sont trop bas, comment peut-on se loger à Paris quand on gagne 2000 euros/mois, disait-il.

     

    Alors, je vous raconte l'histoire de mes voisins. Petit couple tranquille, vient de se marier. Ils cherchent un 70 m2 avec jardin en banlieue.

     

    Jour de chance, ils en ont trouvé un à Rueil-Malmaison. Un grand jardin pour les chats, 65 m2, les pièces donnent sur le jardin. Un rêve.

     

    Lui est chef d'entreprise dans l'immobilier, il gagne 5000 euros par mois, son expert comptable en atteste. Elle gagne 3500 euros/mois, en CDI. Donc pas de problème.

     

    Pas de problème. Et bien, si. Lui, vous comprenez, c'est insécure, chef d'entreprise, vous pensez, et ses 5 000 euros mensuels, c'est pas du salaire, alors. Et puis elle, en CDI, mais pas fonctionnaire, c'est risqué. Donc, pour un loyer de 1500 euros, eux gagnant 8 500 euros/mois, ils ont dû demander à maman, professeur, de se porter caution.

     

    Voilà une banale histoire de taulier français. Et quand vous comparez avec les USA, ou n'importe quel pays n'importe où, y a pas photo.

    Tiens, je suis allée voir Le Contrat, l'autre soir, on voit Morgan Freeman louer un appartement, tout simple, et bien il loue sans souci, la taulière lui demandant ce qu'il fait pour vivre. Pas de bulletin de salaire, pas de déclarations fiscales, pas de caution, non juste, son fric. Voilà on le pose et basta.

     

    Tiens d'ailleurs, ils avaient une concurrente, mes voisins, une harpie, qui voulait l'appartement. Elle a proposé d'avancer un an de loyer, comme ça, elle a essayé de l'avoir au flouze. Et le taulier a dit non, je ne préfère pas. J'ai le bon fit avec vous, alors c'est vous que je préfère. Ah, c'est sûr quand on a une mère fonctionnaire, c'est quand même mieux.

     

    Moralité : il faut toujours avoir un fonctionnaire chez soi.

     

    Mais quand on voit ce qu'on voit, on se demande bien comment ils font les autres, même avec le RSA.

     

     

     

     

     

     


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    Un jaune électrique, tu le vois celui-là, c'est ce... c'est exactement celui que je veux.

    Pas un autre jaune, je veux, un jaune qui rayonne, un jaune sans rouge pour l'assombrir, un jaune presque froid à force d'être citronné. Le pigment est là dans un grand bocal, sur l'étal de ce marchand de couleur. La toile sera carrée, en jute tendu sur des châssis de bois tendre. Jute ? Attention à la peinture qui risque de distendre la toile. Non, deux couches suffiront. La toile résistera.

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    Je rentre avec T. dans son atelier. Le peintre sort l'huile de lin, quelques cuillers seulement, dans laquelle il délaie la poudre jaune. Elle irradie.

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    Souvenir d'un morceau d'uranium, un matin, découvert dans un paquet, envoyé du Portugal. Cadeau fait à mon père. Vous reprendrez bien un petit morceau d'uranium. Souvenir et remerciement pour une mission là-bas. Le minerai a vécu vingt ans dans la collection familiale entre le schiste et le mica. Je crois qu'il a disparu, je ne l'ai pas vu depuis longtemps, était-ce avant dans un déménagement ?

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    Parfum d'interdit, quelques veines jaunes, l'irradiation est au cœur de la roche, non visible. Derrière le jaune grisé, le jaune incandescent. Celui que je recherche. Je veux un monochrome du jaune de l'incandescence. Non la robe teintée soleil qui éblouirait, mais la certitude d'un astre qui absorbe le regard, qui l'accueille à l'intérieur sans le refouler à la frontière de la couleur. Welcome dans le jaune.

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    Je croyais que j'allais peindre, là, maintenant, tout de suite, je croyais que peindre, c'était immédiat. Et je découvre la matière, la cuisine, la tambouille, l'arrière-boutique de l'acte de peindre, la boutique obscure, la camera negra, le lieu de la projection fantasmatique sur d'abord ce caca. Il y a d'abord du caca dans la peinture, des mains dedans, des mains qui s'y complaisent, de la grosse matière fécale, qui rejaillit entre les doigts, qu'on pétrit. Le corps de la peinture, le sale de l'esthétique, le puant de la beauté.

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    Le peintre mélange, je vois le corps du peintre, ses muscles, sa minuscule spatule va et vient sur la plaque de marbre, le peintre se donne du mal, il transpire, il mélange, il fabrique ma peinture, c'est physique, c'est moral, il faut y mettre du sien, la couleur ne se donne pas, elle se gagne. Il me fait ma couleur, il me la malaxe, du pigment dans l'huile de lin, vient se fabriquer un filament épais de matière de citron, fluorescente dans l'ombre de l'atelier, il est tard, on est le soir. Le peintre est mon pinceau.

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    Et puis il y a l'attente. Ce ne sera pas ce soir. Il faut revenir. Je reviens.

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    Le pinceau, il faut le choisir, large, pas trop, je déteste les pinceaux qui perdent leurs poils. Ils perdent tous leurs poils. Je peins, je déroule, sans fantaisie, toute inquiète de la trace, qui ne serait pas droite, des sillons trop marqués sur la toile, quand la couleur est unique, on ne voit plus que l'outil, que le support, support, surface. Je peins. C'est ainsi qu'on dit. Mais je ne me suis jamais pensée, peintre. Je peins donc comme je repeins le salon, poussivement, ennuyeusement, pressée que cela finisse.

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    Je veux sitôt pensé le monochrome au mur. Comme une pensée magique, sans la transe, sans le processus, sans la gamme opératoire. Je le sais pourtant, qu'il faut lire, réécrire, changer le mot, en prendre un autre. Pourquoi dans la peinture, cet art qui tache, on n'aurait pas à attendre, à faire sécher, à repasser une seconde couche, à corriger, à retirer cette poussière, à finir sur la tranche, à éviter de déposer un paquet de matière sur l'angle, à doser la pression pour que l'effet soit le même. Le peintre me nomme, enfant impatiente. Je le suis.

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    Passent les jours, les semaines, j'ai mis mon désir au pas, je l'ai jugulé, attends, j'ai compris que le tableau se fera par surcroît, par la bande, dans un coin de l'inconscient, ça attend, ça viendra, faut ce qui faut.

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    Je l'ai sorti de l'atelier du peintre, le tenant à même la main, sans emballage, je l'ai déposé sur le siège arrière de la voiture. Pendant les dix mètres, entre l'atelier et l'auto, deux hommes m'en ont volé le regard, l'un a dit, c'est beau ce jaune. Mon larcin, je l'emporte, il me brûle comme une torah qu'on tient dans la main.

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    Au mur, chez moi, je l'ai découvert enfin mon monochrome jaune fluo. Il a modifié l'espace. Il fait voir ce qu'il y a autour, le grand carré monochrome orange, qui ne va pas jusqu'au plafond, qui ne fait pas toute la largeur, déjà un monochrome, mis là aux premiers jours de mon arrivée, un orange pâle, un orange délicat, pas un orange qui écrase, et de l'autre côté le tableau bleu, jaune, orange, cette abstraction mystérieuse. L'astre entre les deux distille sa lumière, comme un soleil d'hiver, il me rappelle qu'il est des jours chaleureux.

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    Ah oui, T. m'a dit, ton soleil, c'est ton père.

    Il est mort le soleil. Il est mort dans un été brûlant, il y a quelques années.

    Dans la couleur fluo, je vois des lapins bleus, des circonvolutions noires. Le tableau m'imprime.

    Les ombres me quittent, elles s'accrochent à la vibration, dreamcatcher des folies familiales.

     



     

     


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