• <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>

     

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    Je suis à la banque, la banque où je retire de l'argent, la banque où j'en dépose, la banque où j'ai fait mon prêt, la banque près de chez moi, la banque qui me veut du bien, la banque qui me doit des comptes, bref la banque.

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    J'attends dans la queue. Deux, trois personnes. Devant moi, une petite femme africaine, la quarantaine, le boubou, avec une veste en tweed, mélange cinquante-cinquante, façon robusta.

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    Elle se retourne vers moi, me jette un regard d'épuisement, ses yeux fixent rapidement un ciel incertain, à qui elle n'adresse manifestement aucune prière, pour retomber sur mon visage, aussi vite qu'ils étaient montés, elle fait une moue, elle est fatiguée, elle n'aime pas attendre, elle ne dit rien, parce qu'elle sait que cela ne sert à rien.

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    Madame, elle se remet dans l'axe pour faire face à l'employé de la banque. Il est assis, nous sommes debout. Elle s'approche, se penche pour se faire entendre. Elle dit, je veux ouvrir un compte. Il lui demande les papiers. Elle sort de son cabas des documents, un passeport étranger, qu'elle pose sur le bureau.

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    Visage vaguement dédaigneux de l'employé, son buste recule sur le dossier, il touche du bout des doigts ce que l'autre a empoigné à pleines mains. Il regarde. Très vite, son visage s'immobilise, impassible. Il dit, attendez, je vais voir.

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    La femme se retourne pour me regarder. Nouveau soupir. C'est long.

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    Puis une employée s'approche, les joues rouges, les yeux sur le qui-vive, elle vient se mettre debout à côté de la chaise, se penche vers la femme et lui murmure d'un jet : partez vite, il vient d'appeler la police.

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    Je vois le dos de la femme tressaillir, le corps se met à trembler, elle ramasse très vite ses documents, fourgue le tout dans son sac, puis se retourne pour sortir. Elle a le visage grimaçant et en larmes. Elle fuit, la honte est sur elle, elle est la paria.

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    Je sors derrière elle. Je ne peux pas rester dans la queue à faire comme si de rien n'était, à dire bonjour au monsieur, à traiter mes petites affaires bien tranquillement entre Français de souche.

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    La femme est déjà loin. Moi, je marche dans la rue, sans bien savoir ce que je veux faire, je ne suis pas sûre de vouloir rester dans cette banque. Existe-t-il en France un réseau bancaire non-délateur, un patron qui a pris parti, qui a dit, pas ça chez nous. Cela existe-t-il ? Merci de me le faire savoir.

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    Vais-je rester dans cette France-là, quand on annoncera bientôt le Ministère de l'Immigration et de l'Identité Nationale ? Quand les rafles se généraliseront, en douce, quand on interdira les vidéos sur Dailymotion, pour s'assurer de l'impunité ? A quand les disparitions sans suite ? Quand je vois la vie qu'il mène à ces personnes, je pense qu'il est capable de pire.

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    Cette nuit, j'ai cru comprendre que l'acide avait coulé sur le dos et dans les yeux des jeunes, pire que des gaz lacrymogènes. Cette nuit, j'ai vu des gens qui se disaient mes amis acclamer Néo-Lepen. Cette nuit, j'ai vu des Français mous se vautrer à plat-ventre devant un nain. Je ne sais plus dans quelle France je vis. Elle est où, la patrie des droits de l'homme ?

     

     

     

     

     


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     Ce matin, en allant faire mes courses dans Ivry, telle n'est pas ma surprise de tomber sur une affiche à la Une de l'abribus du coin, où trône plein mur je ne sais quelle marque de voiture, ou d'équipement automobile ou encore de grande surface à quatre roues, ne comptez pas sur moi pour que je me souvienne, ils n'auront pas réussi leur coup, ceux-là, s'ils pensent que ça marche sur mon genre de psychologie. Enfin, je ne crois pas être le cœur de cible.

    Bref je déchiffre et je me retrouve peu de temps après dans une situation proche de l'Ohio. Incompréhensible.

    Je retente et je retiens ce que je vais vous dire Supéquiption, enfin quelque chose dans le genre, c'est dire si c'est efficace. Enfin pour faire court, je comprends à la troisième relecture du commentaire associé qu'il s'agit de traduire, par ce mot valise à l'allemande -mot valise à l'allemande, comprendre mots qui s'agglutinent jusqu'à faire un nouveau concept-, l'idée d'une période de réduction pour un super équipement automobile. D'où le sup, l'équip et le tion. Je pense que le publicitaire qui a pondu cela devait être très fatigué, le stress des périodes électorales peut-être.

    Et justement, je me suis demandée ce qui l'avait inspiré, d'où il tirait l'idée que cela pouvait être vendeur pour un équipementier de se loger à l'enseigne des mots inventés.

    Evidemment, j'associe aux dernières gorges chaudes de cette campagne, quand tous tirent à boulets rouges sur les créations langagières d'une de mes candidates favorites. Bien sûr, il surfe sur l'humour, la moquerie misogyne envers les mots d'esprit de certaines femmes, pour mobiliser en une manip' la méquitude.  Ils se retrouvent bien là les mecs, les vrais, les machos s'y connaissant en matière de tuning, prêts à tous les sacrifices familiaux pour s'acheter le dernier siège en cuir façon zèbre ou le reconditionnement de leur porte de voiture pour en sortir un bruit mat, sourd, bref qui évoquerait le nec plus ultra de la modernité et de celui qui en a. Des c...., je veux dire.

    Publicité de connivence, le mot est lâché. Il faut évoquer l'esprit mec, l'entre-nous, la meilleure façon de s'en sortir consistant à les opposer à celles venues de Vénus, façon guerre des sexes et conflits ménagers autour des priorités budgétaires. Le tion étant là pour promettre la paix des ménages, puisqu'avec les réductions, on pourrait acheter cette petite veste blanche si mignonne et quand-même acheter le dernier GPS de chez Pionneer. J'ai l'air de m'y connaître, mais c'est parce que la semaine dernière un chauffeur de taxi m'a présenté en vrai vendeur Darty le truc en question, équipé d'une télé et d'un ordinateur de bord.

    Je tente de résister à l'idée d'un pseudo-complot anti-ségolénien, comment les directions générales des grands groupes utilisent la pub pour faire passer subliminalement des coups de griffe à la candidate à abattre.

    Rassérénée, je poursuis mon chemin, tourne à droite après le parc et là je tombe sur une pub pour Ikéa. Votez Ikéa. Non c'en est trop, mon sang ne fait qu'un tour. Il y a du protocole là-dessous.

    Pour vérifier si mon intuition est fondée, je rebrousse chemin jusqu'à la maison et en surfant je tombe alors sur un site, qui établit un parallèle entre la pub Ikéa et la pub UMP.

    Oui, on peut sans entrer dans un état paroxystique hors de propos penser que les entreprises du CAC 40, du Nasdaq, -et même celles qui ne sont pas cotées comme Ikéa-, ont choisi leur camp et profitent de leurs colossaux budgets de com pour faire campagne pour Sarkozy.

    La Commission Electorale de la Nation aurait pu peut-être s'interroger sur la requalification en budgets de campagne de ces fonds si opportunément et discrètement apportés à l'UMP. Rappelons que les entreprises n'ont pas le droit de financer les partis politiques en France.

    Alors à mon tour, laissez-moi apporter ma contribution et proposer un mot valise, un mot magique, pour faire la promotion de ma candidate favorite, que direz-vous de supercalifragilisticexpialidocious, plus sympa, moins agressif, pas basé sur la sinistrose, et tout à fait capable de changer notre quotidien. C'est la chanson fameuse de Mary Poppins, dont je vous livre le refrain à entonner tous en chœur.



    [Tous ensemble] Supercalifragilisticexpialidocious !
    Supercalifragilisticexpialidocious !





     http://www.politiquecafe.com/actualite/la-france-dapres-ou-quand-lump-joue-a-ikea/


     

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    Notre petite chatte maigrit, elle a peu d'appétit. Cette chatte qui d'ordinaire parle beaucoup, comme on dit en anglais, very talkative, il faut dire qu'elle est anglaise et qu'elle s'appelle Next (je raconterai un autre jour pourquoi), qui se mêle de nos conversations en grimpant sur le dossier des sièges pour se mettre à la hauteur de nos visages. Elle ne va pas bien, celle qui sait si bien exprimer d'habitude ses désirs de sortir dans le jardin, d'aller au lit, en miaulant avec un mouvement de tête vers le lieu choisi. Ou nous réveiller en venant caresser d'une patte douce le visage de son maître ou en lui léchant consciencieusement le visage, façon de dire, debout, tu vois, tu es déjà dans la salle de bain. Bref notre petite chatte souffre d'un mal mystérieux que nous ne savons diagnostiquer.

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    Elle court partout, elle a beau poil, elle a l'œil vif, elle sait se faire respecter de Perle, la chatte de la voisine, elle sait au jardin où enterrer ses secrets, se cacher derrière les bambous, monter sur les poubelles, escalader le mur. Mais elle maigrit. Et nous ne savons pas pourquoi elle laisse avec mépris nos gamelles de croquettes, nos bols de lait, les plats à l'ancienne, petits morceaux de viande hachée, bribes de poisson cuit. La chatte a neuf ans, est-ce un âge avancé pour une si frêle petite bête.

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    Alors, c'est décidé, on va chez le véto. Clinique vétérinaire devrions-nous dire, c'est dans la grand rue, pas compliqué. J'appelle, on prend rendez-vous. Le plus difficile est encore de la faire entrer dans le sac de voyage pour chat, ce n'est pas sa valise, c'est là où on la met, nuance. En fait, c'est notre sac de voyage à chat. Nous arrivons devant le 99.

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    A Ivry, il n'y a pas la palette complète des services et des commerces, comme dans d'autres villes de banlieue, mais il y a un vétérinaire. A moins d'aimer les supermarchés, les hypermarchés, les hyperhyper, parce que cela oui, on en a, bref, ceux que je n'aime guère fréquenter, il manque dans le centre ville, je ne sais pas moi, deux ou trois pressing, un photographe avec photomaton qui fonctionne, l'autre jour j'ai fait trois magasins pour trouver de quoi faire des photos d'identité. En fait je ne suis pas juste, le problème est qu'on trouve le centre ville avec rue commerçante au bord du périphérique, mais pour ceux qui vivent dowtown, près de la Mairie, et bien, c'est moins gai.



    Moins gai aussi parce qu'à Ivry, on surveille la taille des luminaires, je veux dire des enseignes, on évite la débauche publicitaire, les panneaux sont limités, la réclame est surveillée. Ce sont des lois municipales, il paraît que n'importe quelle ville pourrait éviter cette avalanche de pubs et de débauche lumineuse à tout va. Encore que j'aime la ville la nuit pour cela, pour cet arc-en-ciel permanent qu'on nous sert, ce qui compte ce ne sont plus les marques, ce sont juste les couleurs, la cadence des changements de lumière, le rythme quoi.

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    Ce mois-ci, à la Galerie Fernand Léger d'Ivry, un haut lieu de l'art contemporain,  il y a une exposition sur la publicité en train de se faire. L'exposition, organisée par Emmanuel Ropers, a été préparée par la curatrice Bettina Klein. Dimanche, il y avait une conférence sur ce thème, l'art et la pub.

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    La conférence s'intitule le mythe du cargo. Le mythe ou culte du cargo fait référence à un phénomène signalé dès la fin du dix-neuvième siècle, mais surtout observé pendant et après la seconde guerre mondiale dans certaines communautés mélanésiennes de Nouvelle-Guinée.


    Les populations indigènes voyaient les militaires américains construire des pistes d'atterrissage et des tours de contrôle permettant d'acheminer par avions-cargos des vivres, vêtements et autres biens de consommation. Le mode de vie des insulaires fut complètement bouleversé par cette arrivée massive de produits qui en réalité ne leur étaient pas destinés. Pourtant, ces acheminements avaient pour conséquence fâcheuse, entre autres, la destruction d'étendues de forêt vierge et de zones habitées.


    A la fin de la guerre, ce trafic aérien s'arrêta. Pour aussitôt être reconduit, cette fois sous la forme d'un mythe, par les populations indigènes qui se mirent à copier les dispositifs observés chez les militaires occupants : ils construisirent des pistes d'atterrissage et des tours de contrôle factices en bois ainsi que des avions grandeur nature en paille, allumèrent des feux de signalement, espérant à leur tour bénéficier de cette manne.




    Certains de leurs prophètes clamaient que les blancs possédaient ces biens à tort, car les dieux les leur avaient confiés seulement pour les redistribuer aux indigènes, qui en furent spoliés. En anglais, « cargo cult » désigne aussi le comportement d'un groupe social qui, en imitant de manière superficielle les activités de personnes fortunées, espère acquérir la même prospérité, voire le même bonheur.

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    L'exposition nous entraîne sur plusieurs pistes autour de la publicité. Photos des Vitrines de Prague entre 1978 et 1996, d'Iren Stehli, où elle donne à voir l'évolution des contenus de ces vitrines : peu à peu les produits de propagande, une photo de Staline, une petite sculpture de Lénine, les vieilles conserves d'antan sont remplacées par des canettes de coca flambant neuves et autres signes de la modernité. Un discours en remplace un autre. Des portraits géants des leaders communistes sont remplacés par les portraits géants des leaders capitalistes, qui sont des produits. Nous vouons notre culte à Mac Do, Coca, Starbucks.




    Fascinante, la vidéo de Harun Farocki, montrant des phtographes publicitaires au travail, en train de créer des natures mortes contemporaines : un plateau de fromage, une bière mousseuse à souhait, une montre de luxe. Comment on crée le désir à coups de position de l'objet, de mousse sensuelle, de courbe naturelle, on cisèle, on ombre, on révèle. Harun Farocki établit un rapport entre ces artisans et les maîtres flamands du dix-septième siècle dans leur art de la nature morte. Ici repris pour des visées mercantiles.





    A noter aussi la toile de Bernard Rancillac, Notre Sainte Mère la Vache de 1966, montrant la fameuse boîte de vache-qui-rit, illuminant de sa forme solaire un couple indien avec enfant famélique, qui nous rappelle qu'il fut un temps où l'Inde, avant d'être le pays de Bollywood et de la nouvelle économie, était le pays de la faim face aux vaches sacrées.

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    Et puis parce que certains résistent, apprenez que Gilberto Kassab, le maire de Sâo Paulo, a annoncé en automne dernier la création d'une loi dont l'application devrait prochainement faire disparaître tous les grands dispositifs publicitaires de sa ville, qu'il considère comme une véritable pollution visuelle.  



    Apprenez aussi que les bus RATP « enveloppés de pub » le sont de moins en moins, depuis que des anti-pub français les ont envahis, se sont couchés dedans, devant, bref qu'ils ont tant lutté, que le rapport coût-bénéfice a fait renoncer à cette modalité du transport « pubique ».



    Face à tout ça, je me sens dans l'entre-deux. J'aime bien la musique et pas du tout la musak qu'on nous assène dans les restaurants, dans les rues piétonnes, dans les magasins. J'aime les néons, les lumières de nuit, elles me rassurent, elles me réjouissent. Je n'aime pas l'invasion de l'espace public par les affiches de toutes tailles, les marques en haut des tours. J'aime les autos, mais pas qu'on manipule mes intentions d'achat par le son de la portière qui se ferme. Je n'aime pas les chips, mais que ma chère tête blonde soit influencée par le bruit sec du sac qu'on ouvre, me gêne. J'aime les petits pains de mon boulanger artisanal, mais je n'aimerais pas un boulangerie réchauffe-pain, qui diffuse des parfums de vanille chaude, pour me faire espérer la brioche à l'ancienne.



    Qu'Ivry, ma ville, ait pensé à m'éviter l'invasion de la pub et des marques à tout va me réjouit. Mais qu'Ivry soit cet endroit où certaines enseignes sont indigentes, comme dans les républiques d'outre-terre, je n'aime pas. 
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    Mon vétérinaire, lui, n'a pas le droit à la publicité. La vitrine est sobre, une petite pancarte le signale, c'est tout. La salle d'attente fait année cinquante, carrelée de beige et marron. Pas de pub, bon, mais un petit effort sur le design ne serait pas du luxe. 


    Quant à Next. Rien de grave. Il paraît qu'elle s'ennuie, qu'elle a du stress, un peu de Prozac peut-être. Je me demande si je ne vais pas l'inscrire à Meetic. Pour qu'elle surfe, ce serait mieux non ?


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    Ce soir, on dîne à la maison, on, c'est mon fils, son amie et moi. De ces repas tranquilles, chaleureux, les lumières tamisées, serre ton bonheur, dit René Char, ce soir, je le serrais bien fort.


    L'amie de mon fils, nous l'appellerons Sandra, me raconte alors sa dernière sortie. Elle est allée à une soirée, qu'elle a quittée le matin à 6 heures.


    Elle monte dans le tram avec trois amies et un vague copain. On est près de la porte de Versailles à Paris. Dans le tram, un petit groupe de jeunes nantis encore boutonneux, vêtements coûteux, s'excitent tous seuls, Paris s'éveille et ils n'ont pas sommeil. Ils ont seize, dix-sept ans, la vie leur appartient, le tram aussi. Autour, quelques nuitards, un ou deux travailleuses pauvres qui se rendent dans les bureaux pour y faire le ménage.

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    Sandra en montant se permet une remarque devant la cacophonie du groupe de fêtards. Ohé, moins de bruit. Un de la bande se retourne, le visage aussitôt plein de haine, et commence à l'insulter, violemment, avec des mots rarement employés tant ils sont orduriers. Sandra, ceinture noire de karaté, se tait, saisie d'effroi devant le visage révulsé que l'autre lui présente. Son jeune voisin, jeune ado filiforme, se lève et dit aux autres, mais taisez-vous enfin, elle n'a rien fait, il n'y a pas de problème.

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    Le haineux se rue alors sur lui et lui dit, tu vois mon front ? L'autre va pour répondre, oui et alors ?, aussitôt l'autre lui met un coup de boule hallucinant sur le nez. Il a pris de l'élan, a orienté sa tête, et sans que personne ne puisse le prévoir, donné un choc subit, qui fait chanceler le jeune homme.

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    Effondré, il tombe au cœur du petit groupe des hideux. La méduse se referme sur le corps, les malfrats le frappent de toutes leurs forces. Les filles essaient de s'interposer et sont renvoyées sur les banquettes autour. Sandra se retourne alors vers les autres voyageurs, qui sans bruit sont allés se réfugier au fond du wagon. Le sang gicle, pisse de plus en plus fort. Cris du jeune garçon, puis hurlements, Sandra dit, mon cœur palpitait, je ne savais pas quoi faire. Une des amies se jette par-dessus la mêlée pour aider le copain.

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    Le tram s'arrête alors à la station. Un homme sorti d'un deuxième wagon, monte dans le leur et commence à intervenir, il est grand, costaud. Il impressionne. Se joint tout à coup, ô miracle, un second qui vient du coin des lâches. Il était grand aussi celui-là, mais qu'attendait-il ? A cet instant, les cloportes commencent à se sentir en minorité, et juste avant que les portes ne se referment, sortent en courant de la voiture. Ils prennent toutefois le temps de faire un bras d'honneur, la scène s'achève quand le haineux se déculotte pour montrer sa face blême aux voyageurs. Une inhumanité en marche s'éloigne au loin.

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    Et Sandra commence alors sa harangue vers les couards du fond. Alors, vous n'avez rien fait. Vous n'êtes pas venus nous aider. Nous, on est de pauvres femmes, on n'y arrivait pas. Mais avec vous, tous ensemble, on aurait pu éviter ça. Le jeune homme a le visage explosé, il pleure de rage, la manche de sa veste tentant vainement de stopper l'hémorragie.

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    L'un dit, j'avais peur, je suis comme vous, pas bien épais. Un autre tourne la tête, gêné d'être pris à parti devant sa copine, et peut-être aussi de n'avoir rien fait. Un troisième dit, oui vous avez raison. Mais regardez votre copain, il n'aurait pas dû se mêler de ce qui se passait. Il a voulu vous défendre et voyez. C'est cela qui est le pire, dit Sandra, ils pensent qu'ils ont eu raison, que finalement, il n'y avait que des coups à prendre.

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    Redire l'histoire. Réécrire l'histoire. La transformer. Une histoire où une fille aurait dit, faites-moins fort, des garçons auraient commencé à l'insulter, trois ou quatre personnes, hommes et femmes, se seraient levés en disant, stop, arrêtez. Les autres se seraient calmés, seraient partis. La folie n'aurait jamais commencé.

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    Sandra m'a dit, tu vois, je me suis crue dans l'Espèce humaine de Robert Antelme. L'humanité zéro, une gargouille monstrueuse, un visage de haine qui montre son cul, un visage-cul. Un inhumain à tête d'homme rencontré sur le chemin, et de l'autre côté des êtres lâches qu'on rêverait ne jamais avoir croisés.

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    « Je rapporte ici ce que j'ai vécu. L'horreur n'est pas gigantesque. »  Dites-vous, Robert Antelme. Non, l'horreur n'est pas gigantesque, mais la béance entre-aperçue est vertigineuse.

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  • Hier j'ai rencontré Bartleby, Bartleby d'Ivry-sur-Seine.



    Il était chez le marchand de journaux, recomptant son appoint, sans cesse et sans cesse, de peur de se tromper dans les centimes d'euros.Il avait l'air sérieux, murmurant les mots magiques du comptage, re, sa, baya, rito, cassu, en plaquant dans sa main les pièces cuivrées si précieuses, les retournant d'un air gourmand et les blanches si laides, les regardant d'un air dégoûté. Je découvris ses yeux clairs quand il les leva sur moi, les yeux d'un communiste révolutionnaire, sûr de ses utopies, radieux comme un lendemain qui chante.




    Il leva ses yeux sur moi et son regard s'illumina. Nous ne nous étions jamais rencontrés. Il murmura quelque chose, dans un demi-quart de sourire, aussitôt effacé, qui le fit se détourner bien vite, pour que je ne saisisse pas les balbutiements ; ceux-ci se perdirent dans le présentoir du Parisien, qui entendit la fin de la phrase. Moi j'entendis juste quelque chose comme "va s'marrier".




    Bartleby quitta précipitamment le magasin, en oubliant son journal et en laissant sa petite monnaie. J'appris qu'il était coutumier du fait, qu'il reviendrait bientôt chercher et l'un et l'autre, que c'était sa façon à lui de ne pas partir, de rester encore, de mourir aussi un peu. En fait, je le vis revenir, en sortant, on se croisa, puis comme moi j'avais aussi oublié quelque chose je revins, à ce moment il repartait. Bartleby sautilla en l'air, coïncidence, il murmurait, on va s'marier, on va s'marier, c'est exprès.




    Quand Bartleby fût reparti, Gérald me raconta. Gérald c'est monmarchandd'journaux. On dit comme cela chez nous, va chez monmarchandd'journaux, car on se l'approprie celui qui nous pourvoit chaque jour en Libé, réservé, le mercredi en Canard déchaîné, de temps en temps en magazines, de toutes les sortes, nous sommes très friands de magazines.




    Gérald me raconta l'étrange histoire de Bartleby. Il avait un client qui vivait dans une HLM, on dit une, pas un, c'est une habitation à loyer modéré, donc je tiens à opposer la HLM, c'est mon droit, à ceux qui débitent par-ci, par-là du mon HLM viril et possessif.



    Donc un des clients de Gérald vivait sous l'appartement de Bartleby d'Ivry-sur-Seine. Et ce n'était pas une sinécure, de vivre dans une HLM sous l'appartement de Bartleby. Vous auriez vécu dans un Triplex, à double cloisons, laine de verre, plaque d'alu et insonorisation comprise, vous n'auriez pas eu les problèmes du client de Gérald. Mais voilà on était dans une HLM des années trente, quarante, cinquante, cela, l'histoire ne le dit pas, vous n'auriez pas supporté.




    Toutes les nuits, à l'heure du rossignol, Bartleby se mettait à vivre. Gymnastique de nuit, essai de pointage à la pétanque, cris de victoire et de lamentation quand le cochonnet se rapprochait ou se barrait. Bref, les nuits de Bartleby étaient plus belles que ses jours.





    Son voisin, nous l'appellerons Camille, c'est un nom qui va bien, pour sa gentillesse, sa quiétude, l'aspect camomille du personnage quoi, avait l'habitude de monter chez Bartleby et doucement, sans le paniquer, ni le secouer, lui dire, s'il te plaît, Bartleby, moins de bruit, ma donzelle ne parvient pas à s'endormir, arrête de taper avec ta boule sur le sol. Bartleby relevait alors la tête en disant, va s'marrier, va s'marrier. Bartleby passait son temps à dire va s'marrier, va s'marrier et Camille ne savait pas de qui il parlait, de lui ou de Camille avec sa donzelle. Pour le tranquilliser, Camille jouait parfois une demi-minute avec Bartleby en le laissant gagner, espérant ainsi le contenter et obtenir son adhésion à un projet d'endormissement somme toute assez raisonnable.




    Une fois Camille reparti, Bartleby reprenait de plus belle son raffût, cette petite mise en jambe l'ayant encouragé à intensifier son entraînement de sportir de haut niveau. Et la situation n'allait faire qu'empirer. Au fur et à mesure des années, Camille se sentit dépérir, il paraît qu'une mauvaise nuit suivie d'une journée de travail peu épanouissant, répétée comme cela pendant des années, est pernicieuse pour la santé. Les années passèrent, chaque soir, Camille montait, redescendait sans succès, rentrait chez lui l'âme en peine, et la donzelle rouspétait de plus en plus, criait, il en allait de son couple, de son ménage, de sa future famille, de son équilibre. Camille craignait le pire. Elle lui avait promis le mariage. Mais peut-être, oui peut-être, que finalement z'allaient finir par pas s'marrier.




    Un jour, il n'y tint plus. Il se décida enfin à prendre le taureau par les cornes, il allait être un homme, prendre les décisions qui s'imposent, bref faire que tout ça change, sinon. Il quitta précipitamment un matin l'appartement, s'engagea d'un pas résolu dans la cage d'escalier, et descendit chez le gardien pour affirmer son point de vue. Non ce n'était plus possible, il ne pouvait plus vivre là. Sa vie était un enfer, l'Office devait faire quelque chose.




    Il demanda son changement d'appartement, oh, juste un échange, il n'en pouvait plus. Il demanda à déménager trente années de vie dans l'immeuble, celle de ses parents, de ses frères et soeurs, puis la sienne, il demanda à échanger avec un autre appartement, ailleurs, même un plus petit, même un rien du tout, mais surtout, hein, un endroit où ne vivrait pas un Bartleby juste au-dessus, un endroit sans joueur de pétanque, sans sportif de haut niveau chargé de s'entraîner pour d'hypothétiques jeux d'été, d'hiver ou de printemps.




    L'Office fût compréhensif. On le changea d'appartement. Camille et sa donzelle purent enfin dormir. Mais comme dit Gérald, on ne se débarrasse pas de Bartleby comme ça. Depuis qu'il n'habitait plus sous l'appartement de Bartleby, Camille se posait des questions à son sujet. Que lui arrivait-il ? Comment se débrouillait-il sans son voisin du dessous. Cela le remuait tellement que régulièrement à l'heure où il aurait dû s'endormir, il s'habillait, sa donzelle se retournant d'un air excédé, et partait dans la nuit regarder la lumière à la fenêtre du deux-pièces de son ex-voisin. Il poussait la porte, montait les étages et sonnait à la porte de son ami.




    Pendant quelques minutes, il prenait des nouvelles, se laissait proposer un petit jeu, finissait par accepter, se baissait, empoignant les boules de pétanque et pointant, les lançait au plus près du cochonnet. Bartleby murmurait de plus en plus bas des choses que Camille comprenait de moins en moins. En descendant l'escalier, Camille pressait rapidement son oreille sur la porte de l'appartement d'en dessous, puis la conscience tranquille sortait de l'immeuble et rentrait chez lui.




    L'histoire ne dit pas si Camille continua à aller voir Bartleby. Mais il va bien, merci, je l'ai vu hier chez monmarchandd'journaux.




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