• Chroniques Ivryennes III - Installation-Basket

     








     

    Je marche dans Ivry, le chemin des crêtes, au milieu des jardins, des terrains de sport, le sentier secret que les automobiles ignorent. J'arrive au chemin des dames, juste à côté du Bouddha-Fontaine, et avise un rappeur, désoeuvré, visière à l'arrière, qui fait quelques paniers, seul sur le grand terrain.<?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p><o:p> </o:p><o:p> 



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    J'amorce une descente, je m'approche, un goût inextinguible de basket m'envahit, une petite madeleine de Proust, trempée dans le thé de mon enfance, quand je dribblais avec succès. J'observe qu'il m'observe. On s'attend. A qui parlera le premier ? Il a quinze ans. Honneur aux anciens, je commence. Est-ce que Vous m'autorisez à faire quelques paniers avec Vous. <o:p> </o:p><o:p> </o:p><o:p> 



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    J'avoue, j'ai fait exprès, le Vous, pour marquer le coup de mon profond respect et qu'avec mes salutations les plus respectueuses et mes remerciements les plus sincères, il saura m'agréer, agréer mon grand âge à ses côtés, acceptant mes circonvolutions pour mieux regarder mon évolution basketistique. En hésitant, regard d'étonnement, naïveté vite réprimée, yeux méprisant sur mes guiboles, grand seigneur, y a personne autour, risque rien plus grand que moi, pourrais être sa mère, enfin pourquoi pas. Il fait un microscopique signe. Affirmatif.<o:p> </o:p><o:p> </o:p><o:p> 



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    Je la joue subtil, pleine d'humilité, merci, je prends le ballon quand il veut bien me l'accorder, pas à chaque fois qu'il met un panier ou qu'il shoote, ce serait trop lui demander. Enfin c'est mon tour, je vise, mets quelques paniers, moue de surprise, puis je dribble, fais mon fameux Trois-Pas qui marche à tous les coups, regard incrédule. Il commence à penser qu'il est tombé sur une ancienne internationale, une entraîneuse de la NBA, mais en fait j'étais juste sélectionnée régionale. Je le glisse dans la conversation. Bon ça fait son petit effet. On croirait presque qu'on est copain. Il joue. Il me regarde. Me passe la balle en regardant à droite et à gauche façon j'l'ai pas fait, mais il le fait. Je m'étonne du poids du ballon, de la hauteur des filets. Je demande où il l'a acheté. On parle, quoi. Lui a cet accent d'aucun pays, celui de la banlieue, qu'on retrouve chez les bourgeois du XVème qui se pâment devant leurs héros du neuf-trois..



    Intuition qu'il est en train de se faire avoir, que je suis une détourneuse d'adolescents en chasse, reprend la balle et se la garde deux ou trois tours. Puis non je n'ai pas l'air, me la repasse. C'est sûr cette improbable partie ne va pas durer longtemps.
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    Catastrophe, trois casquettes apparaissent au loin. Je sais que mes dernières secondes sont comptées. Il parle. Il dit je continue tout seul. En fait il va continuer avec les casquettes. Mais je sais qu'il ne sert à rien de lutter. Le clan d'abord. Je salue, façon japonaise, trois fois, dis merci et m'en vais pleine du délicieux velouté de main que le ballon m'a fabriqué en quelques minutes. Le plaisir d'un panier, le délicieux bruit du ballon amorti, le blocage avant le jet de ballon en suspension, le corps n'oublie rien.<o:p> </o:p><o:p> </o:p><o:p> 



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    Je pars bien décidée à réitérer l'événement. L'après-midi je passe par inadvertance devant un Décago et j'achète le ballon, taille sept, pas en cuir, pas homologué, ils n'en font pas. Jeunesse retrouvée, je fais résonner la maison du bruit mat qui énerve tout le monde qui ne dribble pas. <o:p> </o:p><o:p> </o:p><o:p> 



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    Le lendemain matin, les clans dorment à cette heure-là, je reviens. Personne sur le terrain. En douce, en cachette, je prends mon petit déjeuner de madeleines, tout plein, un délice. J'avise en haut, sur le chemin des dames, un chinois qui lit un livre en tournant autour du Bouddha-Niagara. Il marche, insensiblement descend le sentier qui longe le terrain, arrive sur le bitume et s'approche de moi. Est-ce que je peux faire quelques passes ?



    Le jeu infini s'est poursuivi, celui qui ouvre des perspectives inouïes de rencontres impossibles. A mon tour, je minaude, je regarde les guiboles, la petite taille du monsieur et d'un air supérieur agrée l'intrus. Il me remercie. Puis nous jouons l'éternel duo basketteur, je mets un panier, tu dribbles, tu en mets un, je reprends en suspension et je rejoue à mon tour. Délice. Il me dit qu'il est un universitaire chinois et qu'il s'entraîne avec ses étudiants à Pékin. Mais depuis son arrivée en France, il n'en a pas eu l'occasion. Il est professeur de français. C'est sûr, pas de basket. Car à part quelques effets de style, il est moyen. Mais le plaisir est là. Nous jouons une vingtaine de minutes. Puis tel un deus ex machina, la sirène de midi retentit, premier mercredi du mois. Je regarde ma montre et arrête la partie. C'est mon tour, celui qui a le ballon a le pouvoir. Je le quitte en souriant. Et repars finir ma promenade.
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    Je ne suis pas allée voir le lendemain soir si le Chinois était venu avec son ballon jouer au duo basketteur avec un nouveau quidam. La chaîne ininterrompue des « prête-moi ton ballon » se poursuivra sans moi.




     







     





     


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