• Chroniques Ivryennes XII – Cargo cult

     

    Notre petite chatte maigrit, elle a peu d'appétit. Cette chatte qui d'ordinaire parle beaucoup, comme on dit en anglais, very talkative, il faut dire qu'elle est anglaise et qu'elle s'appelle Next (je raconterai un autre jour pourquoi), qui se mêle de nos conversations en grimpant sur le dossier des sièges pour se mettre à la hauteur de nos visages. Elle ne va pas bien, celle qui sait si bien exprimer d'habitude ses désirs de sortir dans le jardin, d'aller au lit, en miaulant avec un mouvement de tête vers le lieu choisi. Ou nous réveiller en venant caresser d'une patte douce le visage de son maître ou en lui léchant consciencieusement le visage, façon de dire, debout, tu vois, tu es déjà dans la salle de bain. Bref notre petite chatte souffre d'un mal mystérieux que nous ne savons diagnostiquer.

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    Elle court partout, elle a beau poil, elle a l'œil vif, elle sait se faire respecter de Perle, la chatte de la voisine, elle sait au jardin où enterrer ses secrets, se cacher derrière les bambous, monter sur les poubelles, escalader le mur. Mais elle maigrit. Et nous ne savons pas pourquoi elle laisse avec mépris nos gamelles de croquettes, nos bols de lait, les plats à l'ancienne, petits morceaux de viande hachée, bribes de poisson cuit. La chatte a neuf ans, est-ce un âge avancé pour une si frêle petite bête.

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    Alors, c'est décidé, on va chez le véto. Clinique vétérinaire devrions-nous dire, c'est dans la grand rue, pas compliqué. J'appelle, on prend rendez-vous. Le plus difficile est encore de la faire entrer dans le sac de voyage pour chat, ce n'est pas sa valise, c'est là où on la met, nuance. En fait, c'est notre sac de voyage à chat. Nous arrivons devant le 99.

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    A Ivry, il n'y a pas la palette complète des services et des commerces, comme dans d'autres villes de banlieue, mais il y a un vétérinaire. A moins d'aimer les supermarchés, les hypermarchés, les hyperhyper, parce que cela oui, on en a, bref, ceux que je n'aime guère fréquenter, il manque dans le centre ville, je ne sais pas moi, deux ou trois pressing, un photographe avec photomaton qui fonctionne, l'autre jour j'ai fait trois magasins pour trouver de quoi faire des photos d'identité. En fait je ne suis pas juste, le problème est qu'on trouve le centre ville avec rue commerçante au bord du périphérique, mais pour ceux qui vivent dowtown, près de la Mairie, et bien, c'est moins gai.



    Moins gai aussi parce qu'à Ivry, on surveille la taille des luminaires, je veux dire des enseignes, on évite la débauche publicitaire, les panneaux sont limités, la réclame est surveillée. Ce sont des lois municipales, il paraît que n'importe quelle ville pourrait éviter cette avalanche de pubs et de débauche lumineuse à tout va. Encore que j'aime la ville la nuit pour cela, pour cet arc-en-ciel permanent qu'on nous sert, ce qui compte ce ne sont plus les marques, ce sont juste les couleurs, la cadence des changements de lumière, le rythme quoi.

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    Ce mois-ci, à la Galerie Fernand Léger d'Ivry, un haut lieu de l'art contemporain,  il y a une exposition sur la publicité en train de se faire. L'exposition, organisée par Emmanuel Ropers, a été préparée par la curatrice Bettina Klein. Dimanche, il y avait une conférence sur ce thème, l'art et la pub.

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    La conférence s'intitule le mythe du cargo. Le mythe ou culte du cargo fait référence à un phénomène signalé dès la fin du dix-neuvième siècle, mais surtout observé pendant et après la seconde guerre mondiale dans certaines communautés mélanésiennes de Nouvelle-Guinée.


    Les populations indigènes voyaient les militaires américains construire des pistes d'atterrissage et des tours de contrôle permettant d'acheminer par avions-cargos des vivres, vêtements et autres biens de consommation. Le mode de vie des insulaires fut complètement bouleversé par cette arrivée massive de produits qui en réalité ne leur étaient pas destinés. Pourtant, ces acheminements avaient pour conséquence fâcheuse, entre autres, la destruction d'étendues de forêt vierge et de zones habitées.


    A la fin de la guerre, ce trafic aérien s'arrêta. Pour aussitôt être reconduit, cette fois sous la forme d'un mythe, par les populations indigènes qui se mirent à copier les dispositifs observés chez les militaires occupants : ils construisirent des pistes d'atterrissage et des tours de contrôle factices en bois ainsi que des avions grandeur nature en paille, allumèrent des feux de signalement, espérant à leur tour bénéficier de cette manne.




    Certains de leurs prophètes clamaient que les blancs possédaient ces biens à tort, car les dieux les leur avaient confiés seulement pour les redistribuer aux indigènes, qui en furent spoliés. En anglais, « cargo cult » désigne aussi le comportement d'un groupe social qui, en imitant de manière superficielle les activités de personnes fortunées, espère acquérir la même prospérité, voire le même bonheur.

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    L'exposition nous entraîne sur plusieurs pistes autour de la publicité. Photos des Vitrines de Prague entre 1978 et 1996, d'Iren Stehli, où elle donne à voir l'évolution des contenus de ces vitrines : peu à peu les produits de propagande, une photo de Staline, une petite sculpture de Lénine, les vieilles conserves d'antan sont remplacées par des canettes de coca flambant neuves et autres signes de la modernité. Un discours en remplace un autre. Des portraits géants des leaders communistes sont remplacés par les portraits géants des leaders capitalistes, qui sont des produits. Nous vouons notre culte à Mac Do, Coca, Starbucks.




    Fascinante, la vidéo de Harun Farocki, montrant des phtographes publicitaires au travail, en train de créer des natures mortes contemporaines : un plateau de fromage, une bière mousseuse à souhait, une montre de luxe. Comment on crée le désir à coups de position de l'objet, de mousse sensuelle, de courbe naturelle, on cisèle, on ombre, on révèle. Harun Farocki établit un rapport entre ces artisans et les maîtres flamands du dix-septième siècle dans leur art de la nature morte. Ici repris pour des visées mercantiles.





    A noter aussi la toile de Bernard Rancillac, Notre Sainte Mère la Vache de 1966, montrant la fameuse boîte de vache-qui-rit, illuminant de sa forme solaire un couple indien avec enfant famélique, qui nous rappelle qu'il fut un temps où l'Inde, avant d'être le pays de Bollywood et de la nouvelle économie, était le pays de la faim face aux vaches sacrées.

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    Et puis parce que certains résistent, apprenez que Gilberto Kassab, le maire de Sâo Paulo, a annoncé en automne dernier la création d'une loi dont l'application devrait prochainement faire disparaître tous les grands dispositifs publicitaires de sa ville, qu'il considère comme une véritable pollution visuelle.  



    Apprenez aussi que les bus RATP « enveloppés de pub » le sont de moins en moins, depuis que des anti-pub français les ont envahis, se sont couchés dedans, devant, bref qu'ils ont tant lutté, que le rapport coût-bénéfice a fait renoncer à cette modalité du transport « pubique ».



    Face à tout ça, je me sens dans l'entre-deux. J'aime bien la musique et pas du tout la musak qu'on nous assène dans les restaurants, dans les rues piétonnes, dans les magasins. J'aime les néons, les lumières de nuit, elles me rassurent, elles me réjouissent. Je n'aime pas l'invasion de l'espace public par les affiches de toutes tailles, les marques en haut des tours. J'aime les autos, mais pas qu'on manipule mes intentions d'achat par le son de la portière qui se ferme. Je n'aime pas les chips, mais que ma chère tête blonde soit influencée par le bruit sec du sac qu'on ouvre, me gêne. J'aime les petits pains de mon boulanger artisanal, mais je n'aimerais pas un boulangerie réchauffe-pain, qui diffuse des parfums de vanille chaude, pour me faire espérer la brioche à l'ancienne.



    Qu'Ivry, ma ville, ait pensé à m'éviter l'invasion de la pub et des marques à tout va me réjouit. Mais qu'Ivry soit cet endroit où certaines enseignes sont indigentes, comme dans les républiques d'outre-terre, je n'aime pas. 
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    Mon vétérinaire, lui, n'a pas le droit à la publicité. La vitrine est sobre, une petite pancarte le signale, c'est tout. La salle d'attente fait année cinquante, carrelée de beige et marron. Pas de pub, bon, mais un petit effort sur le design ne serait pas du luxe. 


    Quant à Next. Rien de grave. Il paraît qu'elle s'ennuie, qu'elle a du stress, un peu de Prozac peut-être. Je me demande si je ne vais pas l'inscrire à Meetic. Pour qu'elle surfe, ce serait mieux non ?


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