• La suture

    Crédit photo anthropia # blog

     

     

     

     

    En quatrième de couverture, il est dit que ce poète est franc-comtois né au Havre. Dans mon histoire, deux lieux entrechoqués, ça fait sèmes, et lui passe par-dessus, on aurait pu dire est Normand, parti vivre en Franche-Comté. Mais on ne le dit pas. Un va-et-vient, ça s’enracine dans la Zup, ripé le sol, tôt ou tard on zappe ce monde-là. Et on fuit dans la seule ville qui vaille.

     « C’est des gens qui vont où ça… ?! » dit ce texte, Passants, de Patrice Cazelles, « c’est des gens qui s’aventurent dans quoi qui passe ? », cet incipit qui lance la trajectoire, on part, dans cette poésie sonore dont on ne sait d’où ça parle, dans la diction de Cécile Duval, ce soir-là aux Toboggans Poétiques, ils étaient de toute éternité ces « surdoués d’la question existentielle  ou même pas existentielle  ou même pas d’la question », des personnages ontiques, une grande manif de spectres qui avancent sûrs d’eux.

    Déguster chaque texte de cet opuscule, MATIERE MANIERE, de la mer à la terre, « J’apparente ou pas la terre à croire… des bidons couché de renvers… » « … c’est comble en artifice ici, mais j’aime bien… », « c’est la plage qui me regarde, pas moi la mer qui voit », un parcours synaptique, où la matière se cueille, où la manière s’exerce sans faconde, où « La Meuse écarte les bras » et en reste « l’image tête à tête d’herbes inversées ».

    Et puis des majuscules, beaucoup de majuscules « ENFANT ENFIN FANTASSIN DES MOTS AFFOISSE VIVANT… LA MISERABLE METRIQUE D’UN CRI VALIDE MAL L’ESSENCE DU BABIL PERDU ».

    Ça cherche, une langue, ça se cherche, « j’ai du mal à joindre les deux trous : la vie la mort, plus qu’à sauter… ça plisse entre eux, mal repassé dans n’importe quel sens… ça tombe pas bien la vie, t’as l’air d’une gaufre la d’dans… t’es usiné… t’es embouti».

    « Si tout n’était rien », un être qui tente, la poésie.

     


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  • Florence Reymond

    détail

     

     

    La fraîche évidence

    Dominique Sampiero

    Extraits

    ©Editions Lettres vives

     

    Je range tes lettres comme des papillons ou je ne sais quoi. Comme des pages de lumière vivante qui battent des ailes avant qu’on repousse le tiroir. Je les entends remuer la nuit, le jour. Tu sais à quelle vitesse s’éteignent ces brasiers qui nous font croire plus vivants. Cette sorte d’amour. On a beau tourner la page, c’est encore la blancheur. On n’entre jamais ici, on effleure.

    Tu dis «je vais à la rencontre» et tu marches vers toi-même. Tu coules à pic dans le matin, tentes un premier pas. La fin du jour est tienne. Semence cachée, tu entres dans le désordre de ton village. Tu ne reconnais plus ta nudité, ni ce qui chuchote en toi. Tu demeures là et tu pleures, sans royaume, sans frontière, dans le prodige de la nuit et du renoncement. C’est cela le premier mot, un endroit d’herbes longues, de vipères, de coupures sur la peau. Rien devant toi. Le premier pas.


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  • Ann Véronica Janssens

    Galerie Air de Paris

     

     

    Lu le polar de la rentrée, mille feuille de 660 pages d'une série qui ne compterait qu'un épisode d'une seule saison. C’est un rituel chez moi depuis l’enfance, me mettre en vacance signifie généralement lire un roman policier, une saga, d’une traite sans culpabilité, chacun autour sachant qu’il n’a aucune chance de m’en dévier, la vacance étant justement ce suspens du vol du temps, en rupture avec la vie ordinaire.

    La vérité sur l'affaire Harry Quebert, a occupé mon temps de ce jour de 10h à minuit, avec plus ou moins les quarts d’heure d’une collation, d’un thé, d’un rapide dîner.

    Du genre Bildungsroman déguisé en thriller, ce livre de Joël Dicker est un « piègeturner », suffisamment bien fichu pour qu’on ne voie pas le temps passer.

    Je ne vais pas raconter l’histoire de la petite Nola qui disparaît puis réapparaît en squelette, l’enquête qui s’ensuit, tout ça sur fond de panne d’écrivain, de transmission entre le vieux professeur et le jeune ambitieux.

    Belle ouvrage d’un plutôt bon artisan, donner douze heures de plaisir à une femme n’est pas négligeable, même si in fine tout ça est assez Canada dry.

    Un des thèmes qui court tout au long, la reconnaissance au maître, est-on toujours obligé d'en passer par là ? L'impression que les petits garçons ont plaisir à se trouver de grands maîtres pour se hausser du col, même s’il se révèle que celui-là, de maître, en est sans doute un grand, dans sa façon de ne jamais se trouver au rendez-vous des certitudes.

    Alors à lire si on vous l’offre pour Noël.

     


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  • Heinrich Luber

    Performance

    Herr Krebssinger

    Robert Koller, bariton

    Galerie Stampa

    Art Basel

    Crédit Photo Anthropia

     

     

    La confession d'un bâtard du siècle

    Ludovic Janvier

    Fayard/Roman

    19 €

     

    Ah, je te tiens, bâtard, pris en flagrant délit de tentation de pathos, tu te la jouerais victime, on pleurerait sur toi. Dear bastard, donc. Ceci est une tentative de réponse, celle de Marguerite au Maître, tu ne vas pas te mettre à renier ton statut, vendeur d’âmes. Toi, qui m’as appris à lire, par ce double bégaiement, le tien et celui que tu infligeais aux textes : tu ânnonais les textes, Ludovic, à la fac le soir jusqu’à pas d’heure, tu suçais du Kafka jusqu’à la moelle, mot à mot, son par son, en français, en allemand, tu mettais Marthe Robert au pilori, pis que pendre. Avec toi, Ludo, lire était jouissance, approcher le sens des mots, un acte sexuel.

    Je tiens ma vengeance textuelle, après ce rouge aux joues que tu m’infligeas commentant mon commentaire du texte de Kafka.

    « Le premier signe de la connaissance est le désir de mourir. Cette vie apparaît insupportable, une autre, inaccessible. On n’a plus honte de vouloir mourir ; on demande à quitter la vieille cellule que l’ont hait pour être transféré dans une cellule nouvelle que l’on apprendra à haïr. Un reste de foi continue en même temps à vous faire croire que, pendant le transfert, le maître passera par hasard dans le couloir, regardera le prisonnier et dira : « Celui-là, vous ne le remettrez pas en prison, il viendra chez moi ».

    Je m’étais effondrée en pleurs dans les lignes et t’avais rendu mon devoir. "Auto-apitoiement, pathos", avais-tu noté péremptoire au stylo rouge (oui, rouge, tu osas). Péremptoire, à l’écrit tu l’étais bien davantage qu’à l’oral, péremptoire, le souffle, là, ne butait pas. J’ai dû relire les Préparatifs de noce à la campagne encore et encore, jusqu’à ce qu’un jour enfin je comprenne. L’humour, Kafka. Le maître n’a pas de majuscule, le chouka se moque de lui-même, pris dans ses fantasmes sm, il creuse le non-amour du père jusqu’à la corde, jusqu’à ce que ça ne fasse plus mal parce que le pus est parti. A cette condition seulement, on peut écrire, plus de pathos, juste l’écriture la cinglante, avec panache la traversée des affects. L’humour, Kafka. J’entends d’ici ton commentaire. Ah, ah, ah, auras-tu ri de ton rire africain, c’est si vrai quand tu l’écris, que ton rire est bachique, hirsute, haïtien, entre foutre et meurtre, on avait vaguement peur quand tu riais, en même temps tu nous tenais dans ton verbe heurté.

    Voilà toute envie de vengeance envolée. De fait, j’hésite. La confession d’un bâtard du siècle vibre sur la tangente. L’humour n’est jamais loin, le pathos à peine effleuré, on la sent la tentation, les chaussures rafistolées à l’élastique, et s’il était seul, le « on m’a né » ne serait que le borborygme d’un bébé barbare, alors qu’il s’enchâsse dans un incipit qui cherche l’exacte formulation de ce qui s’appelle ne pas naître. Au commencement donc, tu n’es pas né.

    Comment commence le quant-à-soi quand on bégaie, qu’on est enfant d’une mulâtresse qui vous abandonne à la campagne les premières années où tout se joue, qu’on fait pipi sur soi plus souvent qu’à son tour. « Je suis le petit garçon qu’on appelle Ludo. Ludo, par-ci, Ludo par-là. Ça veut dire que je commence », dis-tu. Et tu décris, cette sensation de soleil « Quand je reviens de chez marraine par le métro, le fameux soleil orange plein la tête et le ventre lourd, c’est vrai que je me sens moi ». On ne dit pas mieux les balbutiements d’être.

    Je n’irai guère plus loin pour ne pas déflorer ; les émois sexuels, l’apprentissage de la littérature, les pleurs sur l’Innommable de Beckett. Sans oublier l’amour du sport, la guerre d’Algérie, la découverte de Martin Luther King, ou l’opéra. Wozzeck et moi, comme Wozzeck et toi, un peu d’identification ne saurait nuire (ici).

    Et enfin le devenir écrivain, là aussi ça bégaie, qui ne sauve rien du tout. Pas de happy end. A l’orée de la fin, qu’est-ce qui reste ? Le sale bilan d’une sale vie ? Ou l’inépuisable tentative d’être, comme espérance ? D’ailleurs, ça finit sur 68, avec une belle liste de slogans soixante-huitards, tous collés à la queue-leu-leu, comme effet de traîne de cette gigantesque partouze créative.

     Et sans doute  n’ai-je pas compris les amours tarifées, mais j’ai aimé les scènes de baisade, comme aurait dit Flaubert. Et j’ai été plus sensible à Rina Ketty qu’à Fausto Coppi, ou bien était-ce, j’oublie.

    En refermant les pages tard dans la nuit, je ne sais pas si j’ai lu de l’auto-fiction ou de la poésie en prose. Un roman, oui. Dès qu’une vérité dépasse cinq mots, c’est du roman, nous rappelles-tu avec Jules Renard. Confession d’un nègre blanc aurait supprimé le suspens. Privilégier le bâtard n’est pas certain. Pour moi, tu as été le meilleur pisteur de mots qui soit. Mais ça, c’est pour le Part Two.


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  • Shawna Dempsey and Lorri Millan

    Forrest Guards 1997

    Performance Lesbian National Parks and Services

    Photo Donal Lee Courtesy

    The Banffcenter

    My Winnipeg

    Maison Rouge Paris

     

    Un incipit est sensé vous donner envie de lire la suite.

    Voici celui de "Même les cow-girls ont du vague à l'âme" de Tom Robbins (Gallmeister).

    On m'a offert le livre. C'est l'inconvénient avec les livres qu'on vous offre, vous n'avez pas pu exercer votre sacro-saint libre-arbitre, vous savez, ce petit quelque chose qui vous donne l'impression que vous savez que ce sera bon ou mauvais, la trace d'une critique où vous avez subodoré qu'il y avait là quelque chose pour vous, ou la dithyrambe finalement pas si excessive que ça d'un ami, en qui vous avez toute confiance.

    Le problème avec Harry, c'est que ce n'est pas un ami proche et que je ne connais pas ses goûts en matière de littérature. Alors s'il dit que ce livre est bon, qu'est-ce que j'en sais moi ?

    Et depuis quelques jours, je tourne autour, j'ouvre, je pioche au milieu, sans savoir s'il fera partie de mon étagère de livres à lire ou de celle de ceux qui sont au Purgatoire éternel (ni enfer, ni paradis, l'étagère de mon indifférence, qui une fois décrétée est cruelle, puisqu'elle ne revient pas en arrière, ou rarement. Je ne me souviens pas de la dernière fois où je suis allée repêcher un livre sur cette étagère. Enfin j'ai bien dû le faire au moins une fois, sinon, j'auras jeté les livres, ne les aurais pas gardés. Sauf que je ne jette jamais les livres, donc ce n'est pas une preuve de ce que je m'autorise ou pas à repêcher les Indifférents).

    Etant encore dans cet état transitoire, j'ai décidé de lire l'incipit. Je viens de le recopier, là, en presqu'entier. Et je ne sais pas si je vais lire plus loin, alors que je trouve ça plutôt réussi.

    Serait-ce que lire le livre serait donner à Harry un pouvoir sur moi que je lui refuse. Que tente-t-il à me mettre une heure dans son choix de livre, à me faire perdre une heure à penser à lui, indirectement, mais en lisant forcément, je serai tentée ? Bon, mais après tout, je pourrai toujours m'arrêter à la seconde où je penserai qu'Harry me prend pour un cow-girl ou qu'il voudrait que je le sois, sa call-girl, enfin vous m'avez compris, parce que quand il a prononcé le titre, il n'a pas dit Kao, il a dit KOO, et donc dans ma tête, j'ai associé, KOOll-girl.

    En fait ne serait-ce pas plutôt moi qui phantasme ? Que c'est une offre déguisée ? Un clin d'oeil ? Tu projette, voilà, une fois de plus. Quand Harry rencontre Sally, mais il ne s'appelle pas Harry, et moi, je ne suis pas Sally. Donc oublions.

    Enfin, bref, voici l'incipit.

     

     

    « Les amibes ne laissent pas de fossiles. Elles n'ont pas d'os. (Pas de dents, pas de boucle de ceinture, pas d'anneau nuptial); Il est par conséquent impossible de déterminer depuis quand les amibes sont sur terre.

    .... Il y a cependant une chose certaine : étant donné que les amibes se reproduisent par division indirecte et intinterrompue, transmettant tout sans toutefois rien abandonner, la première amibe apparue vit encore. Qu'elle ait quatre milliards ou seulemnet trois cents ans, elle est parmi nous aujourd'hui.

    Où ?

    Ma foi, la première amibe est peut-être en train de faire la planche dans une piscine de luxe à Hollywood, Californie. »

     

    Alors, à vous de voir.

     

     



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