• D-Day de Mina, les trois jours

    crédit anthropia # blog

     

     

     

    Depuis ma rencontre avec Mina, ça doit faire un peu plus de deux ans, elle a connu trois maisons. Et hier, vendredi, elle semblait sur le pied de guerre, élégante, une jupe gris métal et verte mais veste noir au col abîmé, les cheveux tirés en queue de cheval, elle m’a annoncé que la police avait à nouveau abattu leurs cabanes, ils logeaient près de l’hôpital Delafontaine, elle a dit « le commissariat », comme si c’était toute l’institution qui les avait chassés, cet effort qu’elle fait pour prononcer les mots appris dans l’urgence, elle était à nouveau à la rue avec Robert, « vous dormez où, dans le parc de la légion d’honneur ? » (dans son cas, s’appellerait plutôt légion d’horreurs),  me souviens que l’an passé aussi avaient rasé le camp après la fête des tulipes, genre le parc est libre ne vont pas déranger, alors j’ai associé, mais elle n’a pas vraiment répondu, j’ai pensé que c’était peut-être pire,  n’avais aucune image à mettre pour la visualiser ailleurs, peut-être juste une photo de Bruno Serralongue, dans la Jungle de Calais, ces hommes dans les arbres, des ombres.

    Mais elle, elle parle. Elle dit, c’était mardi qu’ils sont venus, elle compte sur sa main, mardi, mercredi, jeudi, et là on est vendredi, ça fait trois jours presque quatre, elle me les aligne là tout soudain les trois jours difficiles, et surtout les trois nuits, qui la mettent hors d’elle, la secouent, c’est tout son corps pourtant assis par terre qui semble debout, la colonne redressée de toutes ses forces, elle insiste, trois jours, trois jours. Et c’est sûr, c’est trois jours sans cabane.

    Elle a précisé que les policiers avaient piqué tous ses sacs de vêtements et de matériel, elle hochait la tête, désespoir, elle montrait un endroit à son côté, je regardais, rien, comme un membre fantôme, un sac disparu, voilà plus rien, elle me le convoquait là, ce tout-sac si important, sa vie, son stock de trucs indispensables, je parvenais à me souvenir de livres, de la Nintendo de Robert avec du rabe de piles, du carnet de vaccination du chien, Rexy, et d’ailleurs où il était lui, pas pensé à lui sur le moment, Mina était obligée de reconstruire tout à nouveau, j’imaginais les papiers, les photos, les casseroles, la bouteille d’huile, le réchaud, la couette, sa coquille patiemment constituée, envolée. Et Mina qui comptait ces jours de sans, qui montrait le non-lieu du sac, ce sens aigu de la réalité, qui pose des mots sur le monde perdu, parce qu’il est indispensable de le faire renaître.

    Son menton qui se relève, cette volonté. La regarde, elle et Robert, sur leur trente-et-un, bien coiffés, si grand calme qui se force à apparaître, tous les deux, cherchant les stratégies pour regagner des donateurs, de l’argent, des biens en tous genres. Ce moment où l’angoisse a ressurgi mais qu’il faut la cacher, cette peur du néant qui te pousse à te ressaisir, à simuler la légèreté, on ne prête qu’aux légers, faut pas faire peur, faut faire bon sourire.

    Suis passée devant elle, y avait du monde autour, me suis retournée, ai fait un signe, m’a dit, « ça va ? », répondu « viens tout à l’heure ». Rentrée au magasin, fait mes courses, pensé à des bonbons pour Robert, et lui s’est pointé comme par hasard à ma caisse demandant de la monnaie à la caissière en échange d’un billet, comme si c’était ça le sujet, et moi en train de ramasser mes courses regardant Robert bien habillé, bien coiffé, propre sur lui, et parlant son meilleur français, lui ai filé les bonbons et on a discuté de l’école, mais juste les yeux, les yeux, pas l’alerte, pas l’abois, pas l’aguet, plus marécageux que tout ça, mais quoi.

    Et c’est en sortant que j’ai appris ce que les yeux de Robert tentaient si bien de camoufler, le branle-bas de combat de survie.

     


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