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D'un paragraphe d'Histoire de Claude Simon
crédit photo anthropia # blog
Magnifique évocation de la voix-chorale par le narrateur, de ce qui fonde le goût de, ce qu’enfant on ressent dans la pureté de cette « ligne claire » de montée des voix, le narrateur ne sait pas à quoi l’accès, comme un mur auquel on se heurte, même pas un mur, un point, le point de fin de phrase, comme barrière psychique, ce qui se joue justement dans ce livre, Histoire, de Claude Simon.
Et les points n’ont pas toujours cette valeur, ils ne sont la plupart du temps que cet espace donné au lecteur de compléter la phrase, la pensée, l’élan ou à l’auteur de nous laisser en plan, comme un aparté qu’il se ferait ou un continuum qui s’enfoncerait dans la terre pour faire résurgence un peu plus loin.
Ce qui se glisse dans ce point-là, dans ce paragraphe, qui s’achève sur « de quelque chose à quoi elles. », est la frontière, l’impensé, voire l’incompréhension du narrateur de toute idée de transcendance, qu’il réduit à un « moyen », un » avant-goût », un « ersatz », entretenant l’amalgame avec la musique, certes ce que n’est pas la musique, nul ne prétend qu’elle l’incarne, mais il s’agit ici d’autre chose, de l’ aspiration de cette « fiancée du Seigneur », qui vise à l’éternité, la verticalité d’une relation à Dieu. C’est l’idée d’absolu, cette sublimation recherchée dans la prime jeunesse, qui semble échapper. La voix, partie de derrière le maître-autel, achève le mystère. Née de nulle part identifiable, comment saurait-elle aller vers un lieu au-delà.
La voix vue comme « ligne claire », le dessin, mais du côté du perceptible quand-même, on croit pouvoir l’entendre, mais quand les « bataillons » arrivent, les chœurs, on ne sait plus si on n’a pas été uniquement dans la partition, c’est-à-dire dans une compréhension mentale, intellectualisée de la musique, comme si elle ne se donnait à lui que via sa médiation, l’écriture, le dessin des notes, les « signes bizarres », croches, doubles croches, triples croches, perçus comme « des harpons des lances dressées », « descendant s’échelonnant s’enchevêtrant », les autres portées venant s’opposer à la partie soprano. Une sorte de carte versus le territoire, autre manière de réduire la matière.
On en comprend l’idée de violence, parce que la partie solo aurait à résister, ne pas se faire embarquer dans les autres parties, ce que tout chanteur craint dans ses débuts, se méfier de ces notes où on s’approche singulièrement de l’autre, où on pourrait s’oublier, oublier sa propre ligne mélodique, partir, suivre l’autre dans sa vertigineuse pente, mais ce que tout chanteur un peu chevronné surmonte, sachant faire ce départ intérieur, suivre sa voix tout en écoutant le reste du chœur compléter, amplifier, souligner, caresser.
Mais ici la lutte qui se joue est d’ordre métaphysique, la voix solo tente d’échapper, d’atteindre le divin, tandis que les autres clefs luttent à couteaux tirés pour la retenir, l’empêcher d’atteindre ce quelque chose d’ « indéchiffrable pour moi ».
Ce paragraphe suivi d’une attaque horizontale contre le "slip" de Jésus, son sexe, le pagne qui le recouvre, la concupiscence attribuée aux filles, montre qu’il s’agit là de la bataille entre transcendance et immanence, qui laissent les jeunes hommes qui débattent mal à l’aise avec la diatribe d’un de leurs compagnons. Mais qui du fait qu’ils l’ont entendue blasphème en eux. Mise en mots, grammaire d’un symbolique qui échappe, magistrale leçon d’éducation sans le dire, ce qu’on perd dans la confusion sexuelle, celle des liens symboliques, la rupture des tabous, ce qui fait justement un des objets du livre.
« Comme si elle avait accès à des mystères que je. »
Tags : histoire, critique littéraire, Claude Simon
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