• Vincent Mauger

    Des abscisses désordonnées

    Micro-Onde

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    Voir sur le blog A l'abri du Temps : Recovery (roman en cours)

     

     

     

     

     

    Lundi 11 novembre

    De la guerre, de l’amour et de l’oubli. J’ai marché.

     

    Mardi 12 novembre

    De la guerre, de l’amour et de l’oubli. J’ai piscine.

     

    Mercredi 13 novembre

    De la guerre et de l’oubli. Je lâche l’autre affaire. La persienne me tord les boyaux. J’ai finalement piscine.

     

    Jeudi 14 novembre

    De la guerre et de l’oubli.

    Je trouve une nouvelle piste pour le premier qui intègre la possibilité d’une ILLE. Je l’écris, Il sera à chaque épisode de mes années, parce qu’il a toujours été là, comme à travers, mon général dans tous les généraux, vais-je oser. Oui, juste faire attention à bien le reconnaître, et le prix, c’était pas donné à l’époque. Je le paie, il rembourse.

    Je poste la première mouture, Duras dit « unité et harmonie », j’ai intitulé le chapter sur Scrivener, « tranquille », j’en avais un autre qui disait « joyeuse », revenir à plus joyeux, sans faire galoper mes chevaux.

    Pour « cadre », souvenir de la métaphore du creusement/creusage, métaphore de Cuvier, par Stephen King dans On writing, quand il dit qu’il faut creuser assez large pour attraper le « bone » et ne pas le casser, pas trop pour ne pas se retrouver à balayer trop large, il me semble que j’y suis.

    L'ai vu le King à La grande librairie, un homme ordinaire. Enfin.

    J’ai réglé le  « problème de structure » et le « facteur temps » de l'écriture et du récit, le « thème de l’histoire » devient « les thèmes », ça ouvre vers la fin, l’espoir.

    Après le solo de blues, élégie, le tempo vengeur, élégie.

     

    Vendredi 15 novembre

    Resservir les plats du passé au rêveur à peine réveillé, le rire, mes amis, vous le saviez qu’après il y avait ce torchon ?, ça sonne, interpréter sans savoir, ça cogne, se servir pour en faire de l’alluvion, faire du pourri avec la chair, ça s’appelle comment, juste rien. Trouvé la bonne métaphore. Les trois lettres que j’avais trappées la veille dans le texte sont revenues là. Intérêt pour comprendre comment ça dérape dans la tête des marchands, quel élan du méchant ça tricote et ça fait comment après. Mais pourquoi moi ? Elégie. La belle émission du soir, bon choix.

    Le plus étonnant c’est le souvenir, ma mémoire à trous, leur mémoire à oreilles d’éléphant. Mais l’aime, jamais mon écriture comme, une grande, grecque à tout jamais, mes quelques bribes jamais oubliées, et ses textes sous mon oreiller. Le tatouage est le tatou sans âge qui effleure à jamais le paysage des arbres. Et mon amie Violette, dit-elle ? Jamais revue depuis l’enfant dans sa chaise.

    Pour « personnages », « expérience » et « dialogue », c’est complet. Heureusement que leurs épaules. On les compte, peu mais puissants. Danse avec le loup.

    Reste « style », mais « l’unité », reste « style », mais « l’unité », ampoulé ou dépouillé, dépouillé passe partout, ampoulé heurte. L’intermittence du flash ou le tamisé tout du long ? « L’unité », reste « style », l’albatros empêtré, ma polka d’un autre temps.

    Résultat, stabulation libre, lecture des tables, amitiés, chansons de femmes, poésie au café, ce poète pas connu qui te dit, c’était bien votre texte, vraiment en contact tout du long, et quand tu penses à contact, tu penses à.  L’alpha et l’oméga. Même les poètes inconnus qui ne te connaissent pas le voient. Alors.

    Et puis le soir, le multivox que j’aime, là, et de quelque Egée-lit.


    Samedi 16 novembre

    Il y a eu soleil. Mais de quoi.

    Et dans tout ça pas rappelé le député, ni ma chère Walkyrie. A faire aujourd’hui, avec la préparation du voyage et quelques épitours. Et puis à nouveau les détours, ouragan, et ma bague perdue, et puis le monsieur de la revue qui dit, j'ai aimé votre texte. Alors.

     

    Dimanche 17 novembre

    Plus que jamais.

    Et ma bague retrouvée, passée au majeur.

     

     



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  • Ni EssayagE, ni Essayag

    crédit photo anthropia # blog

     

     

     

     

    Lundi

    Me suis coupée. Plus rien en pharmacie. C’est toujours dans ces moments-là qu’on se sent personne, une pauvre petite chose, et puis on se durcit, on dit, faut s’accrocher et ça passera. Mais ça pissait le sang.

    Et me suis demandée comment ils faisaient au XVIIIème siècle pour se soigner quand ils s’étaient coupés. Ai donc recherché l’entrée « coton » dans mon Encyclopédie favorite, Diderot et d’Alembert of course (1751 à 1772) :

    COTON - sub. m. (Hist. nat. Ornitholog.) petits d'un oiseau de l'Amérique, qu'on appelle diable ou diablotin : il paroît que ce sont les becs-figues du pays. C'est un mets fort délicat. Voyez DIABLE.

    Ça commençait bien, je ne suis bien sûr pas allée voir DIABLE, ça me suffisait, mon coton n’était pas là.


    Puis j’ai descendu l’empilement des paragraphes, pas moins de cinquante-deux, quand COTIT ou COTOUAL avant et après n’en comptent qu’un, sans oublier les apparentés en cottonée, cottonner, cotonneux, cotonnier, cottonine ou cottonis, non, ce n’était pas une mince affaire le coton au XVIIIème.

    Alors bien sûr, j’ai trouvé la plante, connaissant l’opulence de l’Inde au XVIIème siècle grâce à sa culture-miracle, et comment les Anglais l’en avaient dépossédée pour la mettre à genoux par leurs propres filatures, j’étais sûre de pouvoir coulisser ici définition ; en fait, trouvé un ravissement :

    at. bot.) xilon ; genre de plante à fleur monopétale, en forme de cloche, ouverte & découpée, du fond de laquelle s'éleve un tuyau pyramidal, ordinairement chargé d'étamines. Le calice pousse un pistil qui enfile la partie inférieure de la fleur, & le tuyau, & qui devient dans la suite un fruit arrondi, divisé intérieurement en quatre ou cinq loges. Ce fruit s'ouvre par le haut, pour laisser sortir les semences qui sont enveloppées d'une espece de laine propre à être filée, appellée coton du nom de la plante. Tournefort.

    Délicate attention, on ajoute même certaines qualités qui méritent toutefois patience.

    Le P. du Tertre, le P. Labat, M. Frezier, &c. disent que l'arbuste qui porte le coton s'éleve à la hauteur de huit à neuf piés ; qu'il a l'écorce brune, & que sa feuille est divisée en trois : lorsque sa gousse est mûre & qu'elle commence à se sécher, elle s'ouvre d'elle-même ; alors le coton qui y étoit extrêmement resserré sort, s'étend, & si l'on ne se hâte de le cueillir, le vent en enleve une partie considérable qui se disperse entre les feuilles & les branches de l'arbre, s'y attache & se perd. Il est d'une grande blancheur, & rempli de graines noires de la grosseur du pois, auxquelles il est tellement adhérent, que ce ne seroit pas sans beaucoup de travail & de patience qu'on parviendroit à l'éplucher à la main. Aussi a-t-on imaginé de petits moulins à cet usage, dont nous parlerons ailleurs.

    Si seulement.

     

    Mais trêve de tergiversations. Ma recherche historique s’intéresse tout d’abord à l’usage du coton dans la pharmacopée, je poursuis donc ma recherche, passons sur les lieux où on la cultive, Antilles, Sicile, Pouille, Brésil ou dans l’Ile Sainte-Catherine, et sur le fait que « son fruit, sa coque ou gousse se noircit en mûrissant », qu’il y a une « sorte de coton qui rampe comme la vigne qu’on ne soûtiendroit pas sur des échalats », ce qui a retenu mon attention, c’est « qu'on tire de la fleur & de la feuille du cotonnier cuites ensemble sous la braise, une huile rousse & visqueuse propre à la guérison des ulceres ; que l'huile de la graine est un bon cosmétique, &c. ».

    On y vient, on va enfin me dire pour l’usage, la minute médicale. 

    Et là patatras,

    « Quoi qu'il en soit de ces propriétés, il est sûr que le coton mis sur les plaies en forme de tente, y occasionne l'inflammation. Leuvenoeck qui a recherché la cause de cet effet au microscope, a trouvé que les fibres du coton avoient deux côtés plats d'où il a conclu qu'elles avoient comme deux tranchans ; que ces tranchans plus fins que les molécules dont les fibres charnues sont composées, plus fermes, & plus roides, divisoient ces molécules, & occasionnoient par cette division l'inflammation. »

    Je ne m’en remets pas, cette promesse, ces messages, tout  un milieu, n'est que ça ?, une arme à deux tranchants, est-ce possible. Et me reviennent ces petites tragédies du quotidien, quand fiers petits soldats nous rentrions en larmes, quand Dieu notre père venait nous tamponner à floques nuageuses, deux siècles après, sortant tout le toutim, faisant son toubib, et je me dis qu'il a fallu attendre le numérique allié à la culture humaniste et encyclopédique pour qu'enfin on mette à horizontalité la position du soignant et du soigné, enfin presque.

    Ça ne me dit pas ce qu’ils posaient sur leurs plaies, mais la vérité, ça en soigne au moins une.

     

    Mardi

    M’étant coupé l’index gauche hier en épluchant mon potimarron, je sais je me répète, mais la redondance est la clef de la pédagogie, je suis partie en marche dans les rues avec l’idée d’un petit détour par chez mon pharmacien, La Pharmacie de la Cité, ça ne s’invente pas, et comme qui dirait l’impression que ce n’est pas pour la vie citoyenne qu’il lui a donné ce nom, en quête donc de coton hydro, hydro, c’est terrible, ce vieux mot remonté de l’enfance qui ne vient plus, dit-on hydrophile ou hydrofuge, inquiète de l’état de mes neurones du matin, mais saut périlleux arrière, un salto, plus facile à dire qu’à faire, et hop la vision de mes doigts mouillés dans la matière spongieuse me fait retrouver illico presto et via la racine grecque cette sensation connue du bon vieux phile, l’ami des jours tranquilles.

    Mais là, stop aux souvenirs, on me propose des compresses, des bandes adhésives, le kit d’urgence dans boîte à pharmacie du Lapin, mais pour ça c’est trop tard, j’ai déjà un jour de retard, on m’envoie malgré tout au rayon Tampons et j’ai droit aux lingettes et autres disques démaquillants, tous ces ersatz de la bande, oui c’est ça que je cherche, la bande de coton qu’on déroule à la taille qu’on veut, dont on prélève la bonne mesure selon nécessités, c’est si pratique la rusticité, point n’est besoin de ce formatage sous cellophane ou en sachet papier, le déroulé, comme ça vient. 

     

    J’en profite pour prendre de l’alcool, mais là à nouveau il faut s’attendre à tout, on ne trouve que l’alcool modifié, ils n’en font plus apparemment du vieil alcool à 90° qui brûlait ou même tiens du 70%, non, ça frelate, ça frelate, et je ne suis pas née de dernière pluie (qui date de tout à l’heure) pour savoir qu’on perd beaucoup à prendre la copie pour l’original.

     

     

    Mardi encore

    Je poursuis mon chemin et tombe sur les commerces, petits, grands, quelle différence si les prix et la qualité se donnent en transparence, mais là je découvre que même cette fois-ci, avec tout ce qu’on sait de cette boutique, moi chalande depuis tant de mois, ni essayagE, ni essayag ne sont possibles pour mon fin vêtement.

    Essayag, j’associe bien naturellement cette finale en ag à Azouz, l’ancien ministre de la Ville, et me dis que j’ai de la chance d’habiter une ville où va arriver le nouveau Tramway, la T8 pour ce qui me concerne, le beau gazon vert entre les rails comme à Paris, on va peut-être la gagner notre banlieue, ça aura été long, mais on y arrive enfin.

     

    Et en rentrant, dans mon cocon intérieur, bien réchauffée par mon carré Baudelaire en coton et soie qui s’insinue dans mon cou, je me console d’avoir manqué ce petit chemisier qui mettait si bien le buste en valeur en écoutant une scie sur Youtube.


    Débris de semaine : une affaire pas coton


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  • Construction insolite

    Saint-Sever-du-Moustier (Aveyron)

    crédit photo anthropia blog # org

     

     

    Samedi

    Avoir vu à Quimper, cette fin d’été, l’atelier de l’artiste plasticien, Thorsten Streichardt, regardé les pages, les crayons, les structures métalliques, les enregistreurs, tous ces outils pour réaliser la performance à l’IRCAM, et découvert lors de la Nuit Blanche à Paris comment la particularité d’un lieu magnifiait le tout, comment cet étonnant logiciel construit pour lui par un ingénieur de l’IRCAM amortissait le son, le transformait gardant davantage la structure rythmique que les notes, le public passant à l’étage devant un bouquet de micros placés sur le chemin caquetait, chantait, parlait, et à partir de ces bruits dévalant la pente de l’escalier par des câbles invisibles l’artiste au sous-sol composait en direct à l’aide de son propre instrument, celui de ses crayons de papier à même le kakemono disposé en fleur sur la forêt éclatée des barres chromées, le double sens d’une œuvre sa musique et sa réalisation plastique. Prolongement de l’étroite piste que trace cet homme, au plus juste d’un art à mi-chemin entre le conceptuel et le sensible, ici du physique et du sensuel où la mine de plomb gratte la matière du papier en rythme, l’objet représenté étant tout autant la musique obtenue que la sculpture-dessin représentée par les hachures sur la nappe circulaire faisant le tour de l’objet, et associant dans le même temps l’émetteur et le récepteur qu’est le public.

    Lui-même, altier dans sa jupe de cuir marron et son pull over blanc, prolongeant la « mise en scène ».

     

    Lundi, mardi, mercredi

    Sacrifié au protocole du trois jours par mois, regrouper les jours pour libérer du temps. Incursion dans une ville de banlieue, puis une ville inconnue bien sage et « proprette », gens sympas, avais umshalté dans ma tête.

     

    Jeudi

    C’est ça qui m’est difficile depuis cet été j’apprends à vaquer d’un cerveau l’autre, j’ai physiquement cette impression d’aller de ma tête rationnelle à ma tête créatrice, au début ça me prenait beaucoup de temps, il me fallait un SAS de décompression, je me sentais rouillée dans l’art du va-et-vient, comme une douche au sortir d’une salle des machines d’une centrale nucléaire, mais ça va de mieux en mieux, j’apprends à le faire plus vite, d’autant que pour la structuration des textes, il y a nécessité de l’aller-retour en permanence (analyse/synthèse).

    Apprendre à structurer le temps, pour le site, pour l’écriture, pour la lecture, freiner mes chevaux aussi, l’émotion tellement forte.

     

    Vendredi

    Voilà j’y suis-je m’y mets vraiment, et bien entendu le texte que j’avais décidé d’écrire passera après, que ce qui vient est l’autre montage, celui d’Anchorage, parce que celui-là est à finir, fermer cette page-là qui vient sans cesse polluer l’autre texte, finir la grande scène, réussir la finesse du montage cubiste, mon Demoiselle d’Avignon à moi, Vous/Je/On/Tu, la face, le profil et la nuque dans le même visage-texte.

     

    Et le soir testé les derniers poèmes au Café-Poésie de Fontenay et les gens aiment, ça va.

     

    Samedi

    BPI Expo Claude Simon. Y aller pour comprendre quelque chose de sa combinatoire, comment il se sort de l'enchevêtrement, du sens du passage par la couleur pour figurer le tout. Me disais qu’avec Scrivener, il aurait été aidé sans doute dans sa collection de bribes, de fragments, d’extraits. L’écriture à paragraphes comme résultante provisoire. Mon problème, le montage des demi-lignes.

    Emue par le petit carnet de sa grand-tante jurassienne, me rappelait celui de ma grand-mère conservé quelque part dans la maison.

    Tant aimé la longue liste des chevaux, un poème, et tellement de ces détails techniques, à partir du grand cahier de l’ancêtre maternel.

    Et les cartes postales d’Histoire, une correspondance, comme une preuve par neuf de ces collages dans le récit, encore frais dans ma tête.

     

    Samedi (c’est trop parfois deux expos la même journée) 

    A la Galerie Air de Paris, vu les 136 drawings de Mrzyk et Moriceau, série de dessins sexuels, savoureux.

    Revu le The Queens of the amazons and Achills de Dorothy Ianonne, plus clair que sur ma photo, (l'oeuvre coûte 16 000 euros, aïe) et d’autres dessins.

    Vu aussi le travail, Free Poetry, d’Allen Ruppersberg sur une phrase de Lautréamont nous invitant à composer notre propre poème en image : j’ai sélectionné cinq pages parmi une vingtaine, dûment homologuées par la galeriste, couverture et tampon à l’appui, et suis repartie avec mon « œuvre » sous le bras.

    J’ai assisté à la construction de la structure de bois par Hugues Decointet, « Drama Vox, petit théâtre de voix », sur fond de textes étranges, la lumière finale allumée dans le théâtre de voix avait quelque chose de magique (une lanterne, un théâtre et des voix de théâtre tout ça avec le monteur des pièces de bois).

     Je cite ci-après le texte de Marylène Malbert.

    « Frappé par la description de la voix de Samuel Beckett dans Les vies silencieuses de Samuel Beckett (Nathalie Léger, éditions Allia, 2006), HD sollicite comédiens, metteurs en scène et autres personnalités engagées dans le théâtre pour qu’ils décrivent la voix d’auteurs dramatiques contemporains dont ils étaient proches. A partir de ces témoignages d’une grande richesse, l’artiste isole les vocables servant au descriptif de la voix qu’il imprime sous forme d’index. Par ailleurs la matière sonore accumulée –un ensemble de didascalies vocales- est montée par HD de façon à dresser le portrait syncrétique de la voix d’un personnage de théâtre imaginaire. Restait à trouver la « mise en scène » adéquate pour diffuser cette polyphonie descriptive.

    C’est le bois que l’artiste choisit comme support au son sous la forme d’une construction modulable. Ni performance, ni pièce radiophonique, Drama Vox se présente littéralement comme un « petit théâtre de voix ». Un machiniste met silencieusement en mouvement des objets depuis lesquels sont diffusés des fragments de descriptions : un dialogue se crée entre la « silhouette vocale » et la pensée à voix haute du machiniste qui surgit elle aussi du dispositif, pour raconter en contrepoint la difficulté de décrire une voix. La manipulation des objets de bois qui renferment la matière sonore fait émerger le portrait vocal et révèle peu à peu une architecture. Son format réduit nous situe toutefois du côté de la maquette, qui n’est autre que la projection utopique d’un théâtre selon HD.

    Le lieu où la voix de l’écrivain s’abandonne au jeu des comédiens se dessine ainsi schématiquement, Drama Vox est un prélude au spectacle, à l’œuvre théâtrale même».

     

    Ce qui me frappe dans cette oeuvre, c’est la machinerie, faire œuvre de représentation sur le travail qui sert de substrat à la représentation, montrer le théâtre en construction, les pièces du kit en bois peu à peu assemblées, l'enchaînement des sons, leur double niveau de sens, la description des voix des auteurs par les acteurs plutôt que leurs textes-mêmes, l'interférence avec les constats du machiniste, c’est donc paradoxalement une déconstruction de l’acte de la représentation qu’est le théâtre, une mise en abyme vertigineuse du rôle de l'acteur et de l'auteur, un accent mis aussi sur l’oralité mais pas celle voulue par les écrivains cités ici (Besset, Duras, Gatti, Cixous, Ionesco, Novarina, Blin, Cadiot, Sarraute, Césaire, etc.). Illustration d'une certaine aporie du théâtre ou mise en impasse des textes dans cette instance de mise en scène ?

    Et me retrouve avec ce que dit Claude Simon dans sa conférence « Littérature et Mémoire » à propos du texte de Stendhal sur le Col du Saint-Bernard et de cet épisode où le narrateur à cheval avait peur de verser. L’auteur ne tente pas d’évoquer son propre souvenir de guerre, ou plutôt il se sert d’une gravure qui illustre la scène pour trouver les plans à décrire, gravure dont il n’épuise pas les détails de ses descriptions, nous dit Claude Simon, dont il ne prend que quelques bribes, rêvant aux mots qui auraient pu être ceux de J-J. Rousseau pour décrire une telle scène. L’événement lui-même finalement pris dans le prisme de quatre filtres, celui de son souvenir lié à une émotion, la peur, celui des images de la gravure qui propose un cadrage, et dont il sélectionne –nouveau filtre- justement ce qui se relie à son souvenir, et celui qu’il projette de ce qu’un Rousseau en aurait fait. Ou de la construction d’un temps de l’écriture qui fait toute l’obsession de Claude Simon.

    Comme ici il me semble, l’interrogation d’Hugues Decointet sur ce que serait l’espace ou le temps ou du comment la représentation dans l’œuvre contemporaine, proposant ses outils, son support, son propre périmètre, un lieu à soi. Que serait là finalement l’objet de la recherche en art.

    Et pensé aussi à cette note manuscrite de Claude Simon dans la marge de Le Temps Retrouvé de Proust (page 243 de sa version de poche) « très discutable » à propos d’une phrase marquée d’un signe ondulatoire tout du long, « De sorte que la littérature qui se contente de « décrire les choses », d’en donner seulement un misérable relevé de lignes et de surfaces, est celle qui, tout en s’appelant réaliste, est la plus éloignée de la réalité, celle qui nous appauvrit et nous attriste le plus, car elle coupe brusquement toute communication de notre moi présent avec le passé, dont les choses gardaient l’essence, et l’avenir, où elles nous incitent à le goûter de nouveau. C’est elle que l’art digne de ce nom doit exprimer, et, s’il y échoue, on peut encore tirer de son impuissance un enseignement (tandis qu’on n’en tire aucun des réussites du réalisme), à savoir que cette essence est en partie subjective et incommunicable».

    Et comme l’impression que Claude Simon y a aussi renoncé d’une certaine façon à la "réussite du réalisme", alors pourquoi ce « très discutable ».

     

    PS : et probablement la question de l'enregistrement dans tout ça, la reproduction mécanique ou pas, l'usage des robots, des logiciels, de la peinture, simples outils ou subvertive utilisation des extraits.

     



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    Vêtue de blanc, sœur missionnaire marche,

    dans cette banlieue arc-en-ciel,

    sentiment qu’elle a peut-être de visiter les trottoirs de Soweto,

    township noir.

     

    Pas de matchbox, pourtant ici, des immeubles solides,

    et les noms sur les boîtes aux lettres, le mélange absolu,

    ça fleure la Normandie,

    les migrations anciennes d’Espagne ou d’Italie,

    de Pologne aussi,

    ouvriers de la métallurgie de Saint-Denis,

    ou des ateliers mécaniques,

    et ceux des années soixante,

    les revenants d’Afrique du Nord,

    Sépharades et Kabyles sur le même bateau

    jusqu’aux exotiques d’aujourd’hui,

    le petit couple d’Indonésie

    ou le solitaire de Bolivie.


    Combien de nationalités dans mon immeuble ?

    Il faudrait écrire ces destins croisés, déjà fait et pourtant,

    qui les ont emmenés jusqu’ici.

     

    Le bâtiment plonge ses fondations

    dans la rivière souterraine, La Vieille Mer,

    c’est son nom et il s’écrit comme ça,

    un affluent de la Seine,

    d’où ces petites remontées d’eau dans le parking du deuxième sous-sol.


    Nappes phréatiques gorgées,

    rivière remontée prépare sa crue centenaire,

    la Grande,

    ce sera pour l’année prochaine, l’ai toujours pensé

    depuis que je suis arrivée,

    ai même le transistor à piles en cas de coupures d’électricité.

     

    Mais de la confluence d’où je regarde,

    d’un canal et d’une rivière,

    c’est pour les salles de la bibliothèque

    que je m’inquiète le plus,

    là-bas, à l’autre bout du chemin fluvial.

    Sous l’eau le jardin ?,

    et le floc-floc des moquettes en éponge ?,

    pour ça qu’on a étagé les livres, préférer les lecteurs à la nage

    que flottant à Lutèce les pages sacrées d’un monde oublié.

     

     

     

     



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    Lundi

    J’empoigne des paroles, mon métier, m’arrimer aux mots.

     

    Litanie des psys, en écho des paroles des perdus du grand labyrinthe institutionnel qui compte, compte ses sous et exige, prises dans les feux qu’il allume qualité, bienveillance, exigences, service et tout ça quand il t’escompte chaque action, qu’il éteint chaque élan de sa lance de pompier pyromane, comment tracer la route quand de toutes parts les auto-tamponneuses tamponnent, à hue et à dia, échappe la trajectoire, le plus malin n’y parvient. Alors se dire la chose, et dans l’espace du « je le vois » redresser la tête culpabilisée. Pas de suicide de la peur de n’y point parvenir, à l’impossible. Cet exacte intersection où je ne vais plus être.

    Bêtise des médecins, tout va bien, simple regard sur leur plan de vie, plein temps tranquille, ne creusent que la sainte hygiène et le Doliprane à l’heure qui leur plaît, les chères têtes blondes sont priées de ne pas pleurer, manque plus que la Codéïne.

     

    Mardi

    Entrer dans les cases d’un extranet idiot, qui contraint sans redonner, la maltraitance des technologies quand elles oublient l’intelligence. Botte en touche, envoie mail.

     

    Mercredi

    Tousse, tousse, le soleil se rétracte, ma peau qui n’indiffère pas, thermostat intérieur en pétard devant ce n’importe quoi.

     

    Jeudi

    Dormir, une grande marée qui submerge, les draps qui caressent les rêves, cocon, bien-être.

     

    Vendredi

    Cette femme d’un quartier nord qui met sa main dans la main des autres, ses seules pros à entrer dans la cité, la malodorante pauvreté retranchée, nouveaux camps, de concentration d’extrême tout, d’une République sans gardiens ils n’y entrent plus, comment l’imaginer même. Le récit d’une consultante qui vient nous dire et nous de l’écouter, les moignons, l’halluciné, le voleur, des cadavres à l’abandon des appartements, l’humain devenu bête qui crache, qui hurle et sort son pistolet, mais par-dessus tout, ces grandes tablées, les repas que la femme du quartier nord dresse, nickel chrome d’un Marius et Jeannette, tous ensemble, quand l’odeur des viandes et des sauces vient embaumer l’espace, transcender les putréfactions, et que le rire, le rire, rend le propre à l’homme, le redresse, le met à l’aplomb de sa pensée.

     

    Et le soir en écho, Maîtres-Chiens de Charles Pennequin, lu dans cet espace de Saint-Denis par Cécile Duval, et ces quelques phrases échappées, retenues, encodées en moi, dépasser le droit de citer par nécessité vitale.

     

    « car ces hommes oublient la parole, la parole vivante et vibrante et vibrionnante et impossible à digérer de chacun. »

     

    « nous avons tout perdu pour ainsi dire d’un projet véritable de l’homme qui n’était pas de sortir pour vivre, mais de rentrer pour expérimenter. »

     

    « Il n’y a pas une seule parole vraie. Toutes les paroles sont vraies et donc s’entortillent. Il n’y a pas de vérité sauf un entortillement. Non pas un entortillement de vérités, mais un amas d’impossibles à digérer. Car il y a l’autre tout le temps avec son propre entortillement et chaque entortillement est une façon de dire la vérité. »

     

    « Ou alors ramasser la parole tarée, c’est cela le projet d’écriture, ramasser la plus tarée des expériences qui est l’expérience que tout le monde laisse échapper mais que personne ne rattrape, car il pense que ce n’est pas important, que c’est misérable, »

     

    « Et le meilleur moyen d’assécher la langue c’est d’oublier de rire. « 

     

    « Nous écoutons notre propre absence et nous revenons au lieu de l’écrit. C’est le seul moyen de se revoir en vie dans la vie tout en étant vivant, c’est-à-dire absent de tout. » 

     

    « Il y a ceux qui ne s’embarrassent guère de passer pour des débiles à la télé, ceux-là sont les bons philosophes. Ils ne rient pas, ils sont cyniques. Ils rient mais dans les phrases. Leur rire est tourné dans la phrase. Leur rire est une sorte de grimace toute pliée dans la phrase. Tout comme les gens qui parlent dans la rue pour soi-disant ne rien dire. Ils ne disent pas rien puisqu’ils parlent de tout et de rien, comme les bons philosophes. » (Extraits de Maîtres-Chiens de Charles Pennequin) 

     

     

     



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