• Giuseppe Penone

    Pelle di marmo espine d'acacia

    Albina 2002

    Marianne Goodman

    Crédit Photo Anthropia

     

     

    Cinq ou six énigmes à déchiffrer ou du tort de n'être qu'un témoin auditif | 

     

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    Ma tête entre les barreaux de la grille d’entrée, les traces sur la route les longues traces grises pour les pneus sur le bitume et puis plus loin, la tache noire, presque ronde, et des toutes petites, juste à côté. Les taches, pour quoi ?

    Les marques au sol, c’était sa trace, c’était tout ce que je devinais.

     

     

     



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  • Bill Wrasdrow

    Car door armchair and incident 1981

    Crédit Photo Anthropia

     

     

    De la création de la cellule REAGIR un peu trop tard pour ce qui nous occupe | 

     

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    Tu sais, à cette époque, les rapports d’accidents étaient assez sommaires, on ne dessinait pas le corps à la craie sur le sol, on relevait à peine la longueur des traces de freinage et on entourait les traces d’un cercle de craie.

    C’est seulement en mille neuf-cent-quatre-vingt-trois, que le Programme REAGIR a été mis sur pied. J’avais rencontré par un hasard professionnel le délégué interministériel au ministère de l’Equipement, qui avait inventé le sigle, REAGIR. Ça signifiait « Réagir par des Enquêtes sur les Accidents graves et des Initiatives pour y Remédier ».

    Les principes étaient les suivants, à la suite d’un accident, le Préfet désignait une commission d’enquête comprenant la gendarmerie, la direction départementale de l’équipement, le SAMU ou les pompiers et la sécurité routière. La commission analysait les faits et mettait en place des dispositifs de sécurité, pour que ça n’arrive plus.

    En l'entendant, j’ai pensé qu’ils auraient dû s’en occuper quelques années plus tôt. Parce qu’en mille neuf-cent-soixante-six, ils n’avaient pas encore analysé les risques de la route en face de chez les grands-parents : pas de panneau de limitation de vitesse au début de la rue, pas de feu à l’intersection, pas de passage piétons. A peine une esquisse de trottoir. Tu ne t'en souviens sans doute pas, mais le portail du jardin donnait sur un chemin de terre, au même niveau que la chaussée. En termes de sécurité, ça ne valait pas grand chose.

     

     



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  • Monika Sosnowska

    The tired Room 3

    Installation view in Modern Institute Glasgow

    Crédit Photo Anthropia

     

    Entre Terre et Ciel, ça hésite, Jeu de Marelle : Rouge |

     

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    Un. Deux. Trois. Dans le couloir froid. Quatre. Cinq. Six. Tout près de la grille. Sept. Huit. Neuf. Au portail tout neuf. Dix. Onze. Douze. Elle sera toute rouge. Rejoindre la grille, hésiter, faut-il filer tout droit vers la route, le grand ciel ? Au moment de franchir le seuil, bifurquer à gauche pour contourner la maison et recommencer le tour sur un pied. Combien de fois refaire à l’envers ce circuit autour de la maison ? Continuer jusqu’à être à bout de souffle, et arrivée dans la cuisine se précipiter vers le robinet pour remplir le verre et boire des trillions de verres d’eau. Pour étouffer la voix.

     

     

     



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  • Peter Wuthrich

    Uncovered stories 2009

    Karsten greve Paris1

    Crédit Photo Anthropia

     

     

     

    Quant à la réminiscence, la chercher dans le lacis des circuits neuronaux non pratiqués depuis de longues années |

     

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    Reçu ce jour Madame M. Ai procédé à l’enregistrement du récit de Mme M. concernant l’événement dit N°1. par convention pour le présent compte-rendu

     « C’est la première fois que je me raconte la scène. Dans la cuisine, les femmes parlent, elles se disputent, une affaire de cadeau, je crois. Ma mère a offert un presse-purée électrique à ma grand-mère et ma grand-mère ne s’en sert pas ou quelque chose comme ça. Elle préfère son moulin à légumes manuel et ça énerve ma mère. Je ne me souviens pas si quelqu’un d’autre que ma mère et ma grand-mère était présent dans la pièce.

    A côté d’elles, je rêve, pliée en deux, le coude sur la table, la tête à même la nappe, occupée à tracer du doigt les motifs du tissu. En bruit de fond, j’entends leurs paroles, acides ; il y a de l’acrimonie entre elles, mais c’est sans importance, je ne les écoute que d’une oreille.

    Puis c’est le son aigu, le son qui fuse, qui déchire l’air d’une zébrure aigre de violon. Le brouhaha des femmes est interrompu.

    Dans la rue, quelqu’un crie, quelque chose comme « oh, mon Dieu, oh, mon Dieu ». Qui a crié ? Une voisine, je crois.

    Peut-être est-ce plus tard que le cri est poussé. Peut-être y a-t-il eu deux fois, les cris. Cela se mélange dans mon souvenir.

    Les femmes se précipitent à l’extérieur, en troupeau, ça grince, les pieds de chaises dérapent sur le parquet, les chaussures frappent sur le plancher, tout le monde sort en catastrophe. Comme si elles avaient besoin de voir, elles veulent voir la réalité, celle que révèlent le crissement strident et le son mat.

    Moi, je ne sors pas. Toutes affaires cessantes, je dois ne rien faire, ne pas bouger. Je sais qu’un drame s’est produit. Un contexte de drame, puis un événement. Il est advenu.

    Et tout de suite, je sais que c’est à moi que c’est arrivé, il est pour moi, je ne sais pas quoi, mais c’est pour moi, ce bruit sourd de choc je l’ai mis en réserve quelque part, je l’ai engrangé. Je suppose un résultat de drame, et je ne veux pas le voir.

    Qu’est-ce que je sais ? Rien. Je devine, je peux tout imaginer de loin sans m’approcher. Je suis au-dessus de tout ça, n’est-ce pas, c’est moi qui décide ce que je dois voir.

    Pourtant, une ombre menace dans ma tête, quelque chose de tragique, tout peut être arrivé.

    Alors je recule lentement, je me niche derrière la porte, tout près du poste de TSF de ma grand-Mère, le poste où elle écoute la radio de Suisse, le dimanche soir, les chœurs de Radio-Sottens, les vieilles voix sur des mandolines douces.

    Je me mets à attendre, derrière la porte.

    Puis j’entends le hurlement inhumain d’une femme : quelque chose comme, Non. Ça se prolonge très longtemps. C’est insupportable.».

     

     

     



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  • Banks Violette 3

    Unit no name (I may not climb the so called der but I can jump the schoolyard fence 2008

    Galerie Rodolphe Janssen Brussels 1

    Crédit Photo Anthropia

     

     

     

    Tentative par l’artiste de décrire les carcasses en détresse, à défaut de se souvenir |

     

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    Oui, je l’ai reconnue quand sa voiture a stoppé en plein milieu de la route, mais je n’voulais pas la mettre dans l’embarras, vous comprenez, j’travaille au Musée, et elle, elle vient pour préparer son expo, alors j’allais pas témoigner, en plus, ça m’aurait fait des ennuis au boulot. Ce qu’elle fait ? Nous, au Musée, on fait des papiers peints, on restaure les anciens, on en crée des nouveaux avec des artistes. Oui, à la manufacture, pas loin de la mairie, vous voyez ? Des beaux papiers peints du dix-neuvième siècle, vous savez qu’on voyait dans les salons bourgeois  de beaux panoramiques, sur la vie aux colonies. C’est beau, tout coloré, y a des bateaux, des demoiselles en crinoline avec des ombrelles, et pis des esclaves qui portent les malles. Oui, j’y travaille, je suis agent technique

    Ce qu’elle fait, c’est particulier. Au début, elle a dit qu’elle voulait faire des panneaux pour chambre de garçon, on a cru qu’elle voulait du Disney, des dessins animés, mais pas du tout, ma responsable a été assez étonnée, figurez-vous qu’elle lui a montré des photos d’un artiste américain, je crois qu’il s’appelle Gober, oui Robert Gober, qui a fait des papiers peints un peu comme dans une chambre d’enfant, bleu pâle et tout ça, mais quand elle y a regardé de plus près, c’était des arbres avec des pendus, on voit des gens du Ku-Ku-Klan avec leurs bonnets blancs sur la tête, en train de pendre des noirs aux arbres. C’est particulier, mettre des pendus dans une chambre d’enfant. Ben, elle, c’est un peu pareil. Elle veut mettre des autos sur le papier peint, des autos, mais toutes cabossées, comme dans une casse-auto. Elle nous a montrés ses dessins, presque des copies des plans de Léonard de Vinci, elle a fait des plans de pièces détachées, vous savez comme on faisait en dessin industriel, elle dessine au rothring, moi j’en ai fait au collège, et donc, sur les murs, on verra des dessins techniques, mais avec des ailes de voiture cabossées, des essieux avant accidentés, des arbres à came tout rayés, des courroies déchirées, des équipements hydrauliques tout tordus. C’est spécial. On s’demande où elle va chercher tout ça.

     

     

     



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