• Vincent Mauger

    Des abcysses désordonnées

    L'onde - Centre d'art contemporain (Vélizy)

    crédit photo anthropia # blog

     

     

     

    Ceci est un texte sur l’opération qui consiste à réaliser la forme d’un mandrin de perceuse électrique à l’aide d’une machine à fraiser, apprentissage fait dans un atelier des Etablissements Peugeot à Mandeure, juste à la limite d’Audincourt (25), un de ces vieux ateliers où j’ai découvert longtemps après que ma grand-mère paternelle avait travaillé comme ouvrière avant de se marier, les « hasards » du destin.

    Cette fraiseuse sur laquelle j’ai œuvré de septembre 1974 à janvier 1975 ou quelque chose comme ça, apprenant ce rythme des 2/8, me levant à quatre heures du mat’ certaines semaines et rentrant à ving-deux heures en alternance, expérimentant la vie d’ouvrière et l’odeur d’huile sur soi qu’on n’arrive pas à éliminer à la douche, qui vous poursuit le reste de la journée. J’avais envie de connaître ce métier, je n’y étais pas « établie », pas d’engagement politique là, juste curieuse, ayant vécu comme fille de cadre dans un paysage ouvrier, je n’étais pas mécontente de me frotter à cette expérience, comme d’aller voir le dessous des cartes de la région. Et puis j’étais fascinée par la vie de Jack London, je me sentais l’envie de tout comprendre du monde, comme lui, devenir reporter de la vie des gens.

    Une expérimentation de cinq mois, en-dehors de la vie d’étudiante, suffisante pour prendre le rythme intérieur, qui me montrait ce qu’était le sort de certains copains, Marylin, Martine ou Denis, qui n’avaient pas eu la chance de poursuivre au Lycée Cuvier comme mes plus proches amis et moi, suffisante aussi parce que j’y ai vécu des solidarités, de vraies rencontres humaines.

    Ma première honte dans cet atelier où j’étais arrivée avec un travailleur immigré m’est venue de l’attitude du contremaître qui, à la lecture de mon CV, s’était redressé en me disant comme si j’étais en visite industrielle, « vous êtes ici dans l’atelier des perceuses électriques, composé à 70% de femmes et 30% d’hommes » et suit un long exposé, puis, comme en aparté à l’homme triste à côté de moi, « et toi tu prends le balai et tu balaies ». Rouge au front. Et aussi les blouses blanches qui descendaient des bureaux pour voir la bête curieuse. C’est aussi, à cette occasion, que de vieilles ouvrières, des vraies de vraies, de belles fatiguées à la voix brute, m’avaient fait ressentir l’inanité de ma présence en m’insultant à la pause-déjeuner : « mais qu’est-ce que tu fous là ?, fous le camp, échappe-toi d’ici, toi qui as cette chance », comme si mon DEUG tout frais m’interdisait de traîner dans la limaille de fer. J’ai pensé plus tard que c’était ma grand-mère décédée durant la guerre qui, à travers elles, m’avait parlé, j’ai une lettre où elle exprime son regret d’avoir été empêchée d’études.

    J’avais été envoyée à l’usine en mission d’intérim, c’était l’année de la mort de mon grand-père, je vivais chez mes grands-parents et donnais un coup de main à ma grand-mère maternelle, avant de travailler quelques mois au Syndicat d’initiative de Montbéliard avec mon amie Françoise, puis un an à Montpellier, et ce fut mon départ pour l’Allemagne.

    C’était une machine exigeante, avec forte cadence, j’y ai peiné beaucoup, sans doute pour cela qu’en ai fait à l’époque une chanson, Dans la machine, et que la bécane continue de me hanter, ce qui m’a aidé à retrouver ces sensations puissantes, même si très différentes du texte ci-dessous, c’était plutôt une chanson-reportage sur la condition ouvrière.

     


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    Dans ma machine

     

    Il avait pris son dôme droit dans sa main, de son empreinte usée il avait recouvert le pignon dressé, cet immédiat élan que sa pointe prenait pour aller vers l’outil humain, sa surface tressaillait, il suffisait du pouce de cette main-là, tous les pouces n'y parvenaient pas, il aurait pu s'arrêter le pouce, tout était déjà là, l’huile de refroidissement derrière son barrage, l’arc bandé de course folle, le souffle étrange de la mise en tension, et puis les dents, et ce frémissement qui courait sur les rondeurs, le capot, et la rougeur aussi du mécanisme, comme d'indicible chaleur sur le bouton allumé, il n'en fallait que ce pouce de l’ouvrier, et de sa voix, je vais t'enfiler, et les yeux froids du regard, mon régleur, cette certitude aigüe du bleu, presqu'une indifférence qui se cherche plus bas, on va se synchroniser, les mots de précision, enfiler, synchroniser, on attend la fabrique, on est prêt, et qui se met en branle, comme une mécanique qui cherche ses pignons, ses dents vont accrocher, le moyeu inspiré, quand ça sera bloqué, le bruit que fait l'instant bloqué, le sait que va marcher, et le rouage bouger, la vis et puis le pas-de-vis et puis l'écrou à bouche, la symphonie mécanique va pouvoir, les lèvres de caoutchouc qui se ferment, ces lèvres qui s'abattent, qui se collent aussi, plus d’interstice visible, et alors c’est la danse et on y est dedans, les dents qui relèvent, aspirent, déchirent, convoquée de tout le tremblement, l'emprise de tout le corps, là qu'est la pierre quand elle devient vivante, elle chante, il est un mur vibrant, une cascade enchantée, l'ombre de cette arme qui creuse et vient scander, le satin caressé, la gueule dans sa gueule, ça commence comme ça la fraisure au couteau, il a forcé l'hostie, il hostile, il milite, il exécute, elle son petit soldat, la casanière invite, ouvre la porte, entrez, entrez, mon cher, et ne se fait pas dire, le militaire, au garde-à-vous du métal, au pas de charge, la baïonnette au poing, son groin, ronflement de mordu, il halète, le cul du bras moteur à la rescousse, ça trépane, la machine s’emballe, et la fraise s’enflamme, conspiration du pire, et elle dans son œil, dans le même mouvement, elle dans son seuil, simultanéité, la respire, hiatus à la frontière, juste là qu'on ne voit plus, juste à l'intersection, on aimerait se pencher regarder, théorie de l'ensemble, ça inclut, une méthodologie de tous les bras qui s'ancrent, la raie sur son filin, ça repart en avant, sait plus qu'à perte ou à raison, dans l'antre noire, les jambes à chaud trébuchent, la rectitude du lien, quand se lève la dive, bouteille dans la mer, et le bateau il tangue, tribord, bâbord, en rappel sous spi, et ramène sous la baume, et la rame rameur, rameur rame, oh, oh, un engrenage, me wikispeede, est un système mécanique, rire oui, il, composé de deux roues dentées engrenées, et j’engraine ce qu’il me dégaine, toujours voulu ça, le système pneumatique et propulsion fluide, oh ma pompe, le mouvement souhaité, oh ma voile, l’organe moteur et l’organe entraîné, parfois ça rate, ça hésite, ça se trompe de chemin, alors, alors, on freine, on s’amuse, c’est bien, on relève le capot, et puis la trombe reprend, quand le couplage met le beat, ça répète, on rempile, la grosse caisse plus d’hommage, plus temps de balayage, massacre Caterpillar à monstre dans la veine, rouge, rouge le vaisseau, en redemande, et là aussi, et là encore, et moi aussi, et toi toujours, version patine, rosa, rosa, rosam, joystick à la mano, rogne à tempo, plus de frein, la machina elle bute, à fond l’effervescence remontée tout du long, la main qui s’accroche, arrache la froissure, pilonne et puis pilonne, comblement entrepris, comblement arrivé, et puis enfin, le mandrin à la fête, overflowing, overflown, over, o, elle est faite la pièce.

     

     

     



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  • crédit photo anthropia # blog

     

     

     

     

     

    Le plus souvent, elle s’installe au bord du petit canal, celui à surface brillante, parfois il y faut le jet d’une pierre pour qu’il se trouble, elle aime cette entrée qui cogne, comme une porte au-dessus d’un escalier qu’on ouvre tout soudain pour se retrouver de plain-pied à la lumière, un jour cru ou malicieux, ou au bord de la pluie, un inondé de soleil, ou caché derrière les persiennes, et de trouver le pas qui franchit, emportant son propre regard écarquillé ou fermé, selon les jours, de noir désir ou d’estive en montagne, elle se sait arriver quelque part.

    Au dérangé d’un souffle, la risée quelquefois s'amorce ou va plus loin et s’emporte, léchant les piles de pierre, elle ne sait toujours dire tant elle se compte souvent dans les frimas du hameau, ces jours d’automne où elle franchit rapidement la courbe d’un pont sans même y jeter les yeux, mais quand elle prend le temps d’une reconnaissance en bonne et due forme, elle sourit elle aussi, le signe est si rare, celui qui semble attendre, qui a la présence des mélopées, si éloignées des ritournelles de salon, et parfois c’est une erreur, elle prend pour mouvement ce qui n’est que la conséquence appliquée d’un rebond sur le quai, et elle passe.

    Comme ça là aussi qu’elle prend sa part, à phrases entières,  le cours de la vie, les belles aventures, la légèreté, le peu de chose mais qui conduit à l’autre rivage.

    Et puis soudain, la tempête arrive et là dans son ciré, elle prend les vagues à elle seule données, son visage ruisselle, alors elle est sûre qu’elle préfère depuis toujours le grand vent aux petits détours, celui qui arrache à la terre, qui mène à l’enfantement d’un livre dans la transpiration d’un corps. Et dans le tremblement qui la saisit, elle écrit.

     

     


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  • Artiste inconnu (merci pour toute information)

    Musée des Arts Buissonniers

    Saint-Sever du Moustier (Aveyron)

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    Ils étaient attablés, le continu sourire de la commissure gauche des lèves de Félix à l’étirement de celles d’Idris à sa droite, attrapée au virage la complice grimace, ils s’affairaient penchés sur le même sur le même, le grand projet du jour, ils y allaient avec force et vigueur, ils iraient jusqu’au bout, rien ne résisterait à cet appel du petit creux dans le ventre l’excitation des neurones avant que de savoir, faudrait le faire durer cet instant contenant, tous soucis et devoirs et récriminations des donzelles quelque part toute sollicitation écartés de l’espace en terrasse, il était éternel le moment du suspens, comme de deux vies l’interruption à nulle autre pareil, ça addicte, ça tressaille, ça emporte les soupirs, ça cristallise le sens, pour une seule direction quel code aura-t-on à l’issue du  mouvement, car ils frottent nos deux garnements, la gymnastique du bras du doigt et puis des yeux, leur sport à eux, les athlètes sur la piste héros des Olympiques, ça fabrique un souvenir, non davantage c’était épique, comme de la grande finale ou du sprint à la corde, sur la table le carton, le million, le million et puis deux anisettes.

     

     


     

     


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  • Anish Kappur

    Monumenta

    Grand Palais

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    En haut de la page l'anneau vous apparaît il vous emmène faire un tour un ravissement de nuptialité pas il se dresse en planche-contact la nage à plat vous la faites avec lui sur vous cette accroche à la sphère aréolée la première photo la chair grège le globe au satellite érectile est-ce de Titan la pointe le photographe maîtrise les fins fonds dès le premier cadre vous êtes à Cap Canaveral ou sur la sonde Cassini-Huygens l'atterrisseur et l'orbiteur à jamais associés ou plus exactement face à l’écran et vous contemplez Saturne le grand ballon gonflé d’hydrogène et d’hélium l’oblate sphéroïde comptez jusqu’à six à partir du soleil cette soirée sur le Causse où tu vois par-dessus les collines par-delà les forêts au profilé de l'ombre sur bleu le dernier signe de lune ce quartier pour finir dans la nuit et par l'étrange lucarne à ton œil emboîtée tu distingues enthousiaste le cri pas retenu je vois l'anneau je vois l'anneau le blues du blues qui danse et frissonne autour de l'astre jadis étoile dans le doigt pointé de ton ancêtre il te faisait rêver un mot pour tourner qui mettait en mouvement l'ourse et puis la polaire ce que le poète ignorait il n'est qu'une planète au jonc serti de glace et de poussière mais rêve en vous toujours le mythe irrésistible en matière de prose qui mène à Cérigo les bandes parallèles ça monde ça multiplie le pixel est un système qui vous comble on veut lire on veut profond on veut le savoir éternel dans le tâtonnement du savant et il tâte le servant le provocateur il s'aventure au-delà du paisible il titille il subodore il hypothèse il transgresse ne respecte rien corrompt les mathématiques jamais là où il faut il enchâsse les théories il malaxe les terres lointaines abolit la divinité de ses certitudes provisoires le tout qu’il sait jusqu'à la prochaine fois et les sphères d'accourir demi-cercles en dunes l'intersection se fait noire puis d'un ovale à la peau granuleuse on part vers le trait l'arc éclairé de sa surface polie et le public applaudit, oui, oui, la forme est grise comme une ogive et le bleu et l’orange et ce choc d’une comète, comment croit le témoin à la loupe compte-fil est-ce une réalité ce point imaginaire qui vise loin pour la cible est-ce recomposé pour une fiction le big data zéro un zéro un quel est l'appareil quel est le flash quelle est l’installation la numérique surface est-elle une chimère mais vous vous en moquez vous partie en voyage et vous y croyez à ce que vous voyez sur la toile éphémère les cascades en dia et ça défile et ça descend vous là fascinée par un passage à plein vous déracinée et file à plage 2 et puis 3 et puis 4 et si s'arrête un jour comment lui sans la table le fond est aux confins qu'on n'aperçoit pas qu'on devine qu’un neutre ne saurait pratiquer on croit que sans limite mais ça bute très vite qu'une gaze la fusée elle fait vrille et s’affaisse en fumée et dit qu’elle parcourt le million cinq cent mille kilomètres mais elle alunit une escale son passager repart en orbite c'est si loin l’apparence ça trompe et ne convainc alors cette fois une interpellation décidé il est sommé dès demain le grand angle les lentilles les optiques raisonnées le protocole live pour des orages à longue durée ou vortex de sang réplique à trois pétales un direct la télé-réalité du net-plan la cristallisation pas en série de shooting la mitraillette non le déroulé du film et les sons aussi micro tendu dans l’opération plus de filtre plus de calque pas de recadrage non plus au lasso peut-être mais pas le leurre d’un stylo qui pique bouts de couleur et copie-colle renonce à l’effet au ton automatique au contraste un guerrier qui accourt pointe et livre sans ambages sans peur le bât ne blesse et comment ça ferait l’imagines étincelles dans les yeux les bouches rouges approchées de l’oculaire l’oculaire en retour le chant des bulles comme des mots éphémères imprimés sur neurones des cycles à heures fixes le compteur à rebours et puis l’écho du scientifique qui erre qui dirait aparté les doutes et les secrets et puis retour zoom sensations plus poussées essais-erreurs tentatives parfois la mise au point mais en transparence il dirait je fais un effort pour être au plus près et le comptage des vingt-neuf années en révolution un rythme lent on s’habitue pas comme lassitude mais comme ancrage on retourne au support et ça appartient la confiance dans la mire ça étincelle ça surprend ça miroite l’accoutumance à peau les cratères les reliefs un long travelling et ce brun qui flirte avec une tache au sol un gros plan l’opiniâtreté du bleuté on se demande d’où viennent les veines du corps de cette galaxie les reflets des lasers une caméra et sa poursuite en faut-il des lumières pour éclairer les aspérités ou attend-on l’heure du soleil pour démasquer le vrai le tremblement dans la pupille la marque blanche dans celle que contemple sans médiation sans ambition autre que le voir l’être pur la configuration d’un hasard créé il y a longtemps pas un en voie de mort qui brille aux derniers feux un qui perdure et fier s’impose dans les siècles une légende et comment ça ferait si jamais plus l’explorateur ne mettait au mystère ce qui compte ne scellait ses ressorts de sa mécanique le moteur de sa géographie les hauteurs de sa sédimentation les strates élémentaires de sa scintigraphie aux rayons les organes et leurs petits tourments reconstruction du spectre son histoire et ses cyclones Saturne je te vois et toi me vois-tu suis-je pour toi comme toi pour moi le plus extrême de l’extrême le plus ancien de l’ancien le plus étrange de l’étrange sommes-nous l’un à l’autre la fin et l’origine la quadrature du cercle les quatre saisons en enfer la symphonie des mondes échappés mais que projette le texte des fors intérieurs l’irruption d’un volcan une lave en effusion qui trace les lignes de fuite que glèbe sur la terre et là-haut quoi dans ces masses y sent-on le froid ou le chaud et à quelle source se désaltère-t-on quand il n’y a pas d’eau te souviens-tu dans ces marches au désert des oasis qu’on n’atteint l’apnée guette le manque de souffle quand au pied du mont tu pries un psaume un prophète la syntaxe de l’espérance n’espère pas la phrase trébuche à trop aller recule-toi fais un pas aborde le rivage ce phare n’est pas pour toi tu n’en es ni l’arpenteur ni le calculateur un passant peut-être et si le grand nuage n’est que mirage qu’impermanence et invention alors bug sur la page code 404 message d'erreur.

     

    Merci aux sites qui ont inspiré ce texte :

    http://www.flickr.com/photos/ugordan/

    http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article3738

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Saturne_%28plan%C3%A8te%29

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Le_P%C3%A8lerinage_%C3%A0_l%27%C3%AEle_de_Cyth%C3%A8re

     





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  • Body Techniques

    (after A line in Ireland, Richard Long, 1974),

    2007/Série de 8 photographies

    Carey Young

    Exposition au Quartier (Quimper)

    crédit photo anthropia # blog

     

    Tentative pour un CV de pensée valorisant la vie de l'esprit, ce qui m'a marqué

     

    Qu’est-ce que je faisais en 1983 ?

    La bifurcation, c’est sans doute là qu’elle a eu lieu.

    J’étais partie pour la création, cinéma à Besançon –ce film sur les mains au travail, un montage de mains d’ouvriers, de potier, etc., et puis l’analyse filmique avec cette élève de Langlois et histoire de l’art-, puis à Montpellier à Paul Valery (souvenir surtout de chanter dans les restaurants), puis l’Allemagne avec cette année de musique, puis retour à Paris, travail avec RV sur projet dictionnaire des "Noms de pays", sur un projet de constitution écologique, les combats anti-nucléaires, Plogoff, la coopérative bio du XVème, la période vivifiante avec les amis, Jean, et là Paris VIII, de 1981 à 1984, Licence, maîtrise et DEA, juste avant connu les cours de Deleuze en 1980 à Vincennes, les gens assis dans le couloir, on n’entendait pas bien, ça faisait un peu trop gourou pour moi, juste avant le déménagement de Vincennes à Saint-Denis, souvenirs marquants les cours avec Ludovic Janvier, ceux avec Hélène Cixous (sur la pelouse du Château de Vincennes le samedi avec les traductions provisoires des textes de Clarice Lispector) et puis Marie-Claire Boons sur Lacan (lu les Fragments d’un discours amoureux), étudiante travailleuse, et là chansons, groupe, tours de chant en cabaret et en maisons de la culture, l’ArTanière aussi rue de la Glacière, ce lieu où j’ai rencontré Bernard Haillant, sa poésie, trois passages en TV (n’aimais pas les gens creux, le temps à attendre dans la coulisse pour passer une chanson).

    1983, c’est la bifurcation amoureuse, rencontre de JB (en fait, interviewé deux ans avant pour les besoins d’une émission). L’écriture dans la revue Types, le numéro qui invitait des femmes à écrire, les groupes mixtes où on passait des heures à réinventer les relations hommes/femmes, post-féminisme radical, jamais été ma bataille, Psychanalyse & Politique, on disait Psychetpo, pas ma position, en écho aux manifs quelques années plus tôt, la tentative de créer un centre avortement-contraception à l’Hôpital Saint-Antoine, l’échec, la comparaison avec l’Allemagne où on avait mis à peine un an pour en créer un à Mannheim, quelle différence dans le dialogue avec les élus, on était pris au sérieux là-bas, la bataille pour Bercy aussi, bataille pour sauver le vieux village, la chanson sur France Culture, gagnée, pour se voir imposer le POPB Bercy, on a échappé au centre commercial en hauteur voulu par Giscard mais en échange les ridicules façades de gazon sur la pyramide aztèque se moquant de nos élans et le mode de tonte du gazon, ont osé inventer les tondeuses à filins, et on a finalement eu le centre commercial dans les pavillons eux-mêmes, finalement on l’a perdue, cette bataille-là, comme les autres avant nous avaient perdu celle des Halles, et puis Radio-Tomate, les émissions « Du rêve sur la planche », le CINEL avec Guattari, les cours rue de Condé, sais plus, confonds avec les soirées chez Régis –même rue ?- beaucoup plus tard autour de l’élaboration des Cours de médiologie générale, et du projet qu’on avait fait pour l’Expo de Séville, croisé certains soirs Bernard Stiegler, avant d’aller à sa soutenance de thèse, souvenir de Régis dans sa cuisine en train de dire qu’ils se faisaient signe avec Félix de cuisine à cuisine à travers la cour, peut-être que c’était rue de Tournon qu’on se retrouvait, souvenir du grand divan où on se mettait les uns à côté des autres les jambes repliées en tailleur et souvenir de la soutenance de Régis, le grand tra-la-la intellectuello-bourgeois parisien.

    Un pedigree, sans doute, mes tatouages, qui ont fait que j’ai pu résister presqu’une décennie, élevage de bébé qu’on dit, ma belle réussite, jamais regretté, dix ans pour digérer les expériences tous azimuts, dix ans pour éviter de l’intérieur d’une boîte l’envoi à Cherbourg, passage obligé des jeunes consultants, dix ans pour préparer l’écriture, puis trois romans jamais édités. Heureusement qu’il y avait la lecture pour tenir dans l’aridité de ce monde où j’ai œuvré, fait une carrière comme on dit, tenté l’anthropologie sociale pour y comprendre quelque chose à ce monde d’hommes de la technique, créé ma SARL, s’appelait Moderato ou Tarquinia ou peut-être bien Stein, j'oublie, c'était il y a si longtemps, (mon test c’était les clients capables de dire le titre entier, il ne s’en est trouvé qu’un pour me le dire, mon chouchou), et surtout fait une longue psychanalyse, cinq ans de lecture de la bible avec les psys, quelques morts sur le chemin, fréquenté les rabbins intellos aussi, Lévinas un peu, avant qu’il ne meure, Bernheim très peu, Ouaknin davantage, puis un an de tentative approfondie chez les massortis, cherché mes racines en Allemagne (notes, photos, journal, de quoi alimenter un bouquin), dix ans pour aboutir à l’art contemporain, puis dix ans encore pour faire la synthèse de ce qui comptait pour moi, pour arriver à ce qui de toujours a été mon point de départ, écrire, mais comment. L’aventure du blog. Un mort sur le chemin. L’achat et la décoration d’un appartement. Et puis l’arrivée à Proust. Voilà.

    Un détour, mais qu’est-ce que t’as fichu tout ce temps, un détour, tant de choses à traverser pour avoir l’esprit libre.




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