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    Ce jour de printemps[i], la barrière revêt l’exacte couleur du ciel, elle vient d’être peinte pour la première fois d’un bleu pâle presque nuageux, assorti aux volets de la maison. Elle clôture un chemin juste goudronné dont le noir anthracite relève la teinte. Elle pourrait paraître élégante si les tubes qui en servent de cadre n’avaient de ces arrondis aux quatre angles qu’on aimait dans les années soixante et un diamètre tel qu’une main d’adulte n’en peut faire le tour, quant à une main d’enfant on a tout fait pour l’en dissuader[ii]

     

    Dans ce climat continental, les peintures s’écaillent au soleil, celle-ci avait encore de la résistance, si récente, mais qui sait ce que les dards d’un été font aux pigments, aux huiles et aux solvants posés avec précaution la saison d’avant. Le portail avait son heure de gloire et c’était celle-ci, m’as-tu-vu, deux mètres cinquante de haut, serrure soudée à même les montants, coffre vertical d’un côté, gâche en face, le tout doté d’épais joints de soudure, à pousser elle tient bon, la barrière, elle a la solidité voulue, après tout à quoi sert une barrière sinon à fermer[iii], la fierté d’une maison, sa fiabilité[iv].

     

    Sur la photo, elle est entrouverte, créant un angle obtus[v] juste ombré de l’éclat d’un soleil d’automne, en signent la saison quelques feuilles mortes au sol, tombées de deux tilleuls placés de chaque côté du chemin mais hors du cadre, on n’en voit que le reflet porté, qu’on observerait à scruter l’image à la recherche des symétries que forment dans les carrés des V[vi] métalliques peints de la même couleur. L’ouverture laisse apparaître une serrure, dont on voit le pêne demi-tour et de profil les deux poignées torsadées, travail sans doute d’un ferronnier[vii].

     

    A cette saison, la neige[viii] parvient sans peine à se maintenir sur l’arrondi des bords, ce qui n’était sans doute pas l’intention du propriétaire, qui avait conçu l’ouvrage, et qui regrettait déjà le parti pris robuste qui avait animé son intention. Car le glacis une fois formé s’attaque au métal sans que l’antirouille de couleur orange n’y puisse rien. Et le souvenir des scintillements au soleil froid de l’hiver ne sont que piètre consolation quand on contemplera plus tard les dégâts étendus et qu’il faudra se remettre à l’ouvrage[ix].

     

     

     

     

     

     



    [i] Le glacis du printemps, cet état où on n’est pas encore soi, juste posé sur une toile en devenir ce bleu Klein et ce vert acide d’un printemps franc-comtois, quand la timidité paralyse la verdure, l’explosion intérieure fait sève, mais ne peut encore parler.

     

    [ii] La femme regarde cette main d’enfant qui tente d’enserrer le tube entre ses doigts d’un pouce à l’index, désir d’en faire le tour, de comprendre dans ce cercle du réel le tout d’une construction, d’une famille, d’un récit et sans doute aussi cette limite de l’histoire, qu’elle ne peut seule, elle l’admet.

     

    Elle sent une main d’homme présente sur la sienne, qui appuie sur sa main, qui lui dit, faites le tour.

     

    L’homme la regarde.

    -          Vous n’êtes pas seule.

     

    Elle n’ose pas lever les yeux, prise dans cette attente qu’il fasse.

    Il ne fait pas.

    Peut-être faut-il se contenter d’attendre. Ou pas. (Omission du point d’interrogation).

     

    De quelle taille est la main de celui qui parvient. La femme ne le sait pas, croit bien qu’elle ne l’a jamais su.

     

    Elle ignore aussi le pourquoi de ces mots, là, sur la phrase.

     

    La barrière, le point extrême dans la propriété avant de s’échapper.

     

    -          Phil, va chercher le courrier à la barrière.

    Pourquoi jamais à moi, demandé.

     

    La femme va chercher son courrier chaque matin. Elle sourit, elle rit.

     

    L’homme lui met la lettre dans la main.

    -          C’est pour vous, un message.

     

     

    [iii] La femme se retourne, voit le geste impatient, un gant de veau au doigt pointé sur le sol, une voix sèche lui intime de rentrer.

     

    Fermer. Puissance de Bettina, non, d’elle seule l’impuissance qui ne s’autorise pas.

     

    [iv] La femme sur un banc assise découvre la clef de voûte, l’entablement et la cariatide qui le porte sur sa tête, ne peut quitter le mur. Elle danse en l’honneur d’Artémis, mais que supporte-t-elle de la déesse sauvage ?

     

    [v] Elle lit obus, la femme, elle lit la guerre dans cet angle.

    -          La guerre, faudrait la mettre en prison.

    Le seul mot de l’enfance retenu, celui qu’ils se glissent entre eux, regard entendu.

     

    C’était du Liban la guerre que parlait l’enfant, celle que la Mère supérieure racontait dans les longues lettres de Beyrouth.

     

    Appréhender la guerre comme être vivant, comme être néfaste, comme une puissance du Mal et répondre par la sanction à la grande criminelle. Son affaire, la guerre, sa première chanson était de guerre, trois cordes même pas pincées, une mélopée, sa première émission de radio libre sur la guerre au Liban.

     

    Vécu dans les bruits de bombes et de massacres : Vietnam, Israël guerre des six jours, Liban, Liban, Liban, Israël Kippur Sabra et Chatila, guerre du Golfe, Rwanda, Erythrée et Ethiopie, Bosnie, Kosovo,  Irak, Afghanistan, Syrie. Jamais connu la guerre autrement que dans l’esprit. Ou peut-être ce climat à Manheim.

     

    [vi] Le V de la technique, sa lutte contre l’histoire, l’obstination stérile à nier l’évidence. Le Patineur avait ça dans sa manche, combat contre la mort. Il riait d’essayer ou plutôt il oubliait.

     

    [vii] L’art du propriétaire, le Patineur.

     

    [viii] Le frimas, glaciation de la joue, quand elle se fait surface. Impavidité des émotions, la rougeur aussi, la brûlure du soir quand on rentre, le grand froid contient les extrêmes, a ce pouvoir de faire le grand écart, l’enfant contient ce grand écart en lui, l’enfant des grands froids sait la rudesse des saisons, à hue et à dia il résiste. Apprentissage de la résistance.

     

    L’homme lui saisit le bras.

    -          Vous ne lâchez pas prise.

    -          Je prends et j’ai peur d’être lâche.

    -          J’aime votre air d’être heureux.

    -          J’ai longtemps appris à l’être.

     

    Il appartient à la femme de faire le positif de la vie de l’enfant, ce sera la saga joyeuse et magique.

     

    [ix] La femme sait que là réside son renoncement à l’objet, au faire de ses mains, d’avoir contemplé les travaux et les jours à s’obstiner pour rien, que là l’enfant a préféré les spectres, le lien direct aux êtres par les mots, les signes et les symboles plutôt que rouille et désespérance.

     

    Résurrection des sèmes. Attirer les morts et les survivants dans la lumière de l’été, travelling des vies de peu au rire du projecteur. Recovery.

     

     



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    « Surdéterminé ». Me souviens très précisément de ce jour de fac où j’ai découvert le mot, c’était un cours de sémiologie sur Barthes, sur S/Z plus exactement, je ne pouvais aller qu’à un cours sur deux, j’en faisais deux fois plus les cours où j’allais, mais du coup mon absence le cours suivant devait se remarquer et le prof me semblait me regarder d’un air bizarre, donc un jour, parce que, je ne sais pas bien pourquoi, je crois que je craignais de me faire recaler sur cette U.V., ou parce que ne fréquenter qu’un cours sur deux me rendait la sémiologie un peu absconse, que je culpabilisais sans doute d’être une étudiante salariée (paradoxe tout de même), enfin toujours est-il qu’un jour j’ai pondu un essai de trente pages, non demandé, mais ça qui était bien dans cette fac, on était d’emblée posé comme chercheur de savoir, les formes d’investissement étaient reconnues, recommandées et les profs savaient s’y ouvrir, donc j’ai écrit un texte qui s’appelait « Qu’attendre de la sémiologie ? », en fait je me souviens d’une autre raison à ce texte, je trouvais que le prof, élève de Barthes, butait parfois sur des apories dans son cours, comme des points aveugles  à lui-même dans lesquels il se débattait, du coup ça rendait la théorie sous-jacente difficile à embrasser, et qu’aussi des passages de S/Z ne me convainquaient pas, par exemple cette métaphore de l’huile que Barthes va chercher pour son carré sémiotique, non, il y avait des points faibles dans ce savoir et je me suis mise à écrire ce que j’en comprenais, ce qui me semblait vraiment passionnant et les zones d’ombre, celles de Barthes, du prof, ou de moi-même dans mon incompréhension. Je ne crois pas que ce soit de la vanité, ça me vient plutôt du tutoiement de Dieu que ma mère pratiquait dans ses prières quand mon père vousoyait, j’ai toujours interrogé le maître, pouvant aussi bien le croire incompétent que génial, mon autorisation de ne jamais accepter une hiérarchie ou une loi que je n’ai trouvée bénéfique pour moi. Et j’ai rendu le paper, bien noté le truc, et évidemment sur les effets-miroirs ça a fait réagir, sans pourtant me convaincre, à nouveau, il me renvoyait mon incompréhension face écran, mais sans plus expliquer, donc zéro partout, balle au centre.

    Pourquoi je pense à « surdéterminé », parce que ce mot prend dans ma vie depuis quelques temps un sens très fort. Attention, « surdéterminé » n’a rien à voir avec la définition du verbe, « influencer quelque chose ou quelqu’un par un choix bien précis », encore qu’on pourrait s’interroger sur la littérature ou les réseaux sociaux, comme facteur psy d’influence, facteur au double sens de « porteur de nouvelles » et d’ « agent semant le trouble », par exemple suis souvent en double conduite devant les tweets, je les lis, les relis pour en voir toute la portée chargée, en vois l’impact en moi, la correspondance avec des affects, des pensées, des doutes que j’ai, en analyse les conditions d’émission, qui pour parler, qui est l’énonciateur, son intérêt, son jeu, avec un D.E.A. Texte, idéologie, société, on est à bonne école, remontent les théories de Lukàcs, Goldmann, Genette, Bakhtine, Greimas, Saussure, Starobinski, etc., ma grande école de pensée, ma fac, souvent on ignore ou on loupe certains aspects, parce que le dialogisme se fait en écho à autre chose qu’on n’a pas lu, au passé qu’on n’a pas connu, idem de tous ces textes sur les sites ou les blogs dont on sent pour ceux plus anciens qu’ils charrient la même épaisseur que ceux récents, qu’ils ont donc été pensés pour d’autres, qu’on nous les ressort de temps en temps pour faire ding dong, mais qu’on n’est jamais qu’un insecte dans la grande danse des mouches au travers des années, grande innocence donc, et influence sans doute, mais jamais autre que celle renvoyée à sa propre analyse, toujours garder son filin et avancer son chemin en pensant à ce qu’on peut laisser influencer, oui, c’est le mot, se laisser influencer, comme on fait un choix, même en reconnaissant la manipulation au passage, mais la lire dans l’ambivalence de l’autre texte ou dans son intention, tendre à ça, détecter les intentions derrière les assertions ou les à-peu-près présentés à soi et faire prudence, pas une grande habitude, mais l’ai apprise avec l’âge.

    Tout ça pour arriver à ce mot « surdéterminé » au sens où je le pense aujourd’hui. Comment dire, j’ai beaucoup œuvré avec l’Ere du soupçon de Sarraute, mon travail de D.E.A. s’intitulait « Critique de la critique », j’ai lu avec des maîtres, sachant à la fois dévoiler sans que le sens ne s’avilisse, jamais compris ces gens qui pensent qu’en analysant on appauvrirait, toujours estimé que la grande fac de mon époque, c’était Paris VIII, une copine arrivée de la Sorbonne me montrait qu’on en était toujours là-bas à texte/biographie de l’auteur, certes ça a son importance, mais ça ne parle pas du texte, ça parle de l’auteur, et puis l'analyse historico-critique, ça perd en proximité des mots, bref je pensais que mes études m’avaient tout appris de la condition du texte, et puis cette année en lisant Proust, j’ai découvert qu’il ne se laissait pas aisément comprendre –au sens d’enfermer- dans ces catégories, c’est la lecture de François Bon, Proust est une fiction, qui sort ces jours-ci en librairie, qui m’a aidée à saisir les strates, la profondeur, les lignes de force du récit, qu’il y avait des tenseurs, une danse des thèmes, une approche hypnotique du texte par sa répétition, sa boucle temporelle jamais complètement fermée, ses translations, ses mouvements qui n’ont rien de browniens, la perception des paysages, des personnages en répliques, et ça a ouvert dans mon écriture quelque chose en lien avec ce mot « surdéterminé », ça m’a fait écrire mes textes dans une polyphonie, au sens de Bakhtine, le dialogisme, mais aussi dans cet entretien infini entre les niveaux de pensée, les correspondances internes, la contradiction, l’ambivalence, la tension intérieure en résonnance avec les mots, tout ça investi dans le corps du texte, et curieusement, la poésie m’est revenue, celle à côté de laquelle j’étais passée à la fac, celle de mon adolescence ou des grands moments de ma vie, ces temps d’intense intensité, je crois que j'avais négligé la poésie.

    Suis allée glaner ce texte qui dit cérébralement mais aussi poétiquement quelque chose de ce travail que je n’avais pas fait.

    « Dans chaque réseau, les unités (phonétiques, sémantiques, syntagmatiques) se présentent comme des sommets (signifiants) d’un graphe (infini du code total), de sorte qu’ils sont des éléments surdéterminés du processus signifiant. De plus, chaque sommet est multidéterminé, c’est-à-dire qu’il renvoie nécessairement à un autre sommet (rapport corrélatif), ce qui en fait un système dialogique. Ainsi, les signifiant sont mouvants, c’est pourquoi la structure signifiante qu’ils forment (le langage poétique) est un gramme mouvant; un paragramme.

    …le langage poétique permet d’échapper au caractère figé de la signification du langage courant. Par exemple, la phrase « la table est verte » prononcée lors d’une visite chez un marchand de meubles renverrait, dans le langage courant, à un objet « table » qui est « vert ». Le même ensemble inséré dans un poème pourrait renvoyer à bien d’autres choses : « table de la loi », « espoir », « nature », par exemple; l’univocité (rapport 0-1) est ici impossible. Le signifiant n’a pas de sens figé (monologique), il obéit à la loi de la permutation. Cette action du signifiant (action paragrammatique) permet, tout comme l’a démontré Saussure avec ses anagrammes (voir Starobinski, 1971), de chercher la signification « à travers un signifiant démantelé par un sens insistant en action » (Kristeva, 1969c : 231). Tout comme la logique des anagrammes (au sens propre) consiste à transposer les lettres d’un mot pour en former un autre, le paragramme se compose de sommets dont la signification, parce qu’elle s’actualise dans la corrélation, reste tributaire d’une logique de la pluri-détermination du sens. Aussi, le langage poétique est-il non seulement un lieu signifiant dynamique (paragrammatique), mais également le lieu de l’infinité des possibles signifiants en vertu de la liberté combinatoire qu’il met en place. Le langage poétique est la seule pratique linguistique qui transgresse la loi (0-1) ou, pour mieux dire, le découpage linéaire du signe en Sa-Sé (signifiant-signifié). »

    In Johanne Prud’homme et Lyne Légaré (2006), « Sémiologie des paragrammes », dans Louis Hébert (dir.), Signo [en ligne], Rimouski (Québec)

    Ce que  j’ai découvert cette année c’est la conclusion que je n’avais pas écrite à ce « Qu’attendre de la sémiologie ? », cette possibilité d’un texte à l’intérieur du texte de prose, un dialogue qui se nourrirait des mots de la surface pour les circonvenir (ô le doux mot, tourner autour), leur faire rendre leur jus comme on exprime le coing dans son torchon poreux, ce tremblement du réel que j’appelais de mes vœux, la vibration qui ne soit plus d’un bébé le réflexe de succion, mais bien l’acte d’auteure, d’amoureuse des mots, le voici, quelque chose qui suscite la compétence d’intuition et de suggestion, qui échappe au lecteur innocent, qui ne fait pas pour autant du lecteur averti un coupable, le texte qui résiste, qu’aucune découpe des mots en quatre ne saurait démontrer, peut-être ce que d’aucun appelait l’infra-texte.

    Et comme toujours pour moi, la compréhension invite à l’autre part, celle de la vie, développer cette subtilité gagnée dans toutes les strates du quotidien, la poésie à la fenêtre, clair-obscur d’un appartement, couleur et sensibilité. 

     

     

     

     

     


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    D’un homme vu un jour à la table d’un café où je buvais un verre avec de ses amis, de ma frayeur devant son visage, du chemin fait durant la conversation, jusqu’à ce qu’acclimate. Les phrases de Lévinas sur le visage, jamais oubliées.

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    A propos de l’arpenteur, portrait

     

    Boursoufflure de tête, s’il avait vécu à Paris, un casting l’aurait identifié, pour une cour des miracles ou au cirque de Lang, couvert de bosses, juste la tête, la méprise d’un Dieu qui, trop bu ce jour-là échappé dans ses rêves hargneux de l’homme incomplet, ce glébeux, se serait vengé.

    Là, dans le jardin, arpentant les distances, il n’était que trop-plein de pensées, de ces questions de lui qui l’avaient envahi depuis depuis. Mais il avait à mesurer, il mesurerait, quand il franchissait les mètres sa tête pesait l’allée à longueur de ses pas, l’obstination faite homme comment l’aimer la bête, poursuivait son idée et audibles ses mots, juste le chuchotis des j’y arriverai, j’y arriverai, l’arpenteur arpentait la salve d’hypothèses, combien de centimètres, combien de millimètres, à genoux puis à terre pour guetter tout au fond le pied du tilleul tapi dans les fougères, et quand sonnait l’heure, la fatidique échelle prise à son tour de pic, il redressait vainqueur sa toison en montagnes, notait dans le calepin les bribes de chiffres qu’on aurait voulu lire dans l’espace à l’arrière, mais qui, pour risquer de surprendre par derrière l’homme qui de ses pieds agite le terrain, tourne bruyant sans plus attention au péquin qui piétine, qu’à se faire renverser on s’expose, le bossu de la tête n’avait que solitude et manque en soi de ces instants où trime la fierté, il était mal-aimé d’où viens-tu charmante qui lui tendrait les bras, ne la cherchait même pas persuadé que rien jamais, constant dans l’absence à ce monde qui voue à gémonies le laid et le distant, le diable même si cœur, même vibrant au-dedans ; la perte de ses pleurs personne ne l’aura vue, le pauvre d’intérieur gémissait sa hantise.

     

     


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    Suite à la disparition de son ami, la narratrice revient sur quelques questions restées en suspens. Essai pour fil du roman.

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    Elle était gironde la petite, il lui avait parlé, ma jalousie, - j'devrais un peu perdre de là, mais bon m'en fous, suis pas candidate à Miss Univers, ni d'ailleurs à Miss Monde, ni d'ailleurs à Miss Europe, ni d'ailleurs à Miss France, ni d'ailleurs à Miss Ile-de-France, ni d'ailleurs à Miss 9-3, ni d'ailleurs à Miss Saint-Denis, ni d'ailleurs à Miss Quartier du Théâtre, ni d'ailleurs à Miss-mon immeuble, ni d'ailleurs à Miss-mon appartement, ni d'ailleurs à Miss-ma chaise, ni d'ailleurs à Miss-le-clou-de-cette-chaise, ni d'ailleurs à Miss-Métal, ni d'ailleurs à Miss-Atome, ni d'ailleurs à Miss, ras le bol, nano quelque chose, on peut encore pénétrer plus profond, aller dans l'amibe, j'imagine une Miss-Amibe, ou tiens une Miss-Abîme-, l'accent circonflexe de cime est tombé, (j'suis tombée par terre, pourquoi la Mgen David, la première chose que j'ai vue en entrant dans la ville, c'était mon nom, au-dessus d'un magasin, voilà, j'étais de ce pays-là, ils me demandaient where are you jew from ?, savais pas comment répondre, et s'il y avait à répondre), mais j'aurais bien voulu que, quand il l'avait dit, heureux, dont acte, mais ça disait une autre musique, (douée en détection du, merci qui ? Bettina, c'est ça ton problème, tu analyses trop), si ça s'trouve ça n'avait rien à voir avec ça, d'ailleurs sa question, et c'est vrai que, j'avais regardé de côté, si déçue, triviale la question, j'avais répondu, mon pedigree, le tribunal, ben sa curiosité, voilà, le seul moment où, la voix, toujours l'obsession de la voix, quand il avait dit je reviendrai, une promesse, pour qui, pour elle ?, - comme ce court où deux êtres, au début, chacun parle son sabir, on comprend rien à la bande-son, ils s'approchent, ils s'approchent, se parlent, se parlent mais on comprend rien, puis se touchent, s'embrassent, et là miracle, c'est en français dans le texte, puis à nouveau les conversations, ça se complique, puis plus rien on comprend plus rien, end of the story-, ben oui, faudrait ne faire collection que de ces instants-là, ces petits moments où, (entre vingt et trente, ah là la, mais ces voix-là je les ai oubliées), quand j'ai appris à baisser les yeux, quand dès que je voyais que c'était, je les baissais, et alors là la voix tu l'oublies jamais, et  il m'avait demandé pour la porte, où elle était, (celle avec la Mgen David, m'étais cassée la figure sur les marches du quartier arabe, l'autre ville, quand j'avais vu la Mgen, ma cheville avait flageolé, j'avais laissé tomber mon sac, et les gens des boutiques s'étaient précipités, une chaise, m'avait donné un verre d'eau, j'ai pas pensé tout de suite à l'aide, et puis si, si, c'était ça, juste humains, ai eu le temps de me remettre), de la chance, toujours des gens sympas dans ma vie au moment où, je tourne mes virages, juste au moment où je ne sais plus, y en a un qui s'pointe et hop, j'aurais dû, mes intuitions, plus tôt faire confiance, partir et trouver les bagages qu'il faut au moment où, je le sais, pas trop tard, -cette phrase que Marie a dite, comme c'était déjà, ah oui, ce qui compte c'est de se lever au moins une fois, même peut-être une seconde avant de la perdre la vie, sur son lit, sa patiente qui s'était levée, toute écrasée sur le lit, y avait plus qu'à partir, et elle, elle s'est levée, métaphore, oui, mais dans sa parole, se lever dans sa parole, dire la phrase qu'il faut, Mehr Licht, trouver la lumière, ça qui compte, mais à quoi ça lui a servi, à ce que Marie me le dise et aussi à d'autres que la vieille s'est levée dans la parole-, et ça m'a servi, pour la suite et le petit, comme ça, y avait régulièrement des petits éclairs de bande-son, (mes petites affaires autour de moi, dos au mur, yeux baissés, mais, ça valait le coup), tenir le lien pour régulièrement ces petits instants, ça menaçait, pas une troisième fois, c'était comme ça, on s'enlisait, on se perdait, puis toujours un regard et de nouveau le petit bout d'inconscient qui revenait bien transparent, et on repartait, valait toujours le coup, ça l'amour, un langage de morse, tit-tit-tit-tit puis là, le mot, tu le comprends et ça vaut le coup, -entre nous toujours des hasards, je m'étais trompée d'heure, ou j'avais garé ma voiture là, j'avais posté, quoi déjà, le seul lieu frais à l'autre bout-, c'est ça à partir du moment où t'as compris que pour que le bout d'inconscient revienne faut juste le hasard, un peu aidé quand-même, fais confiance ça va reviendir  et ça revient, magie, juste voulu ça, personne n'en aurait rien su, c'était simple, mais c'est jamais simple, pas juste voulu ça, voulais toujours plus. Et là maintenant, juste ce filet de voix rouge, ça sème en rouge, et la phrase on sait pas pourquoi il l'avait dite. Et plus là pour le dire.

     

     

     


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    Le propriétaire l’avait peinte lui-même, cette barrière. S’il n’avait protesté longtemps de son rêve d’écrire et de peindre, on aurait pu croire qu’il n’avait eu de goût que pour la technique et comme drapeau, cette barrière, et peut-être y mettait-il d’autant plus d’énergie et de savoir-faire qu’il n’aura su peindre dans sa courte retraite que la moitié d’un tableau, celui d’un mur dont on voit encore le dessin de ce que manque ; les pierres s’enchâssent d'abord en roches rousses, puis s'évade le gris, géométrie d'une couleur en devenir, un mur s'évanescant sur la toile blanche, trace de l’absence qui l'a frappée, et pour l’écriture, le grenier n’a jamais révélé où se situait le manuscrit que sa cousine avait dit, perdu sans doute. Que pouvait le jeune homme sidéré dans sa mémoire sinon humer pour toujours l’air à souffre, alors les mots aimés avant maturité obligée, disparus.

    De ses libres instants, toujours à fabriquer, forger, il gardait d’un apprentissage auprès de son père, le goût du fer forgé, les poignées sont là, et couder les tubes, souder ces V contre la défaite. Est-ce de lui aussi, l’envie de copier l’air du temps, les formes, il gardera de cet appétit du moderne l’art du jeter, il a jeté beaucoup, le petit salon bridge aux fauteuils de cuir vert, le bibus de bois noir aux douze volumes du dictionnaire, qui trônait à côté, les trois longues plumes de paon dans ce long vase sombre de métal martelé, qui donnaient à l’ensemble un côté années folles, même la lourde table de salle à manger de bois massif aux bords ronds avec ses chaises assorties, si lourdes à porter quand il fallait balayer. Tous jetés, sauf les dictionnaires.

    Il avait fait tabula rasa, on est dans ces temps où le design surgissait et ses matières de l'époque, skaï et synthétique, remplacèrent le cuir. Il avait l’amour du plastique, de son odeur, de la pellicule transparente qui enveloppait les fauteuils noirs et gris, -les poils gris du salon, l’odieux aspect de ces sièges à pelage-, son kitsch, une provocation, résista de justesse au papier peint soixante-dix orange, et plus tard dans la maison blanche, recouvrit les murs d’agglo façon Mahogany grands hôtels, reddish-brown tropical hardwood, nous avions des lambris dans notre grand hôtel, il avait rapporté l’idée de ses voyages professionnels.

    Dans un autre genre, il avait repeint le toit et les murs de la vieille maison d’une peinture de l’usine, pimpants comme une 404, les tuiles mécaniques avaient perdu leur orange, étaient devenues d’un brun suspect, rien du mordoré des lauzes à l’ancienne, ni de ce marronné gris des tuiles canal chic bon genre, elles étaient laquées brillant comme le blanc des murs de la maison, plus faciles à nettoyer, lui riait, tu prends ton jet et la maison est comme après le lavage-auto. Chez nous, on lavait la maison tous les mois. Vaguement honte de cette fantaisie, regardais les voisins quand les voisins regardaient l’arroseur de l’auto immobile. Qu’est-ce que je comprenais, un « ça n’se faisait pas », peut-être lu dans les yeux muets de Bettina. Il n’en avait cure, jamais soumis aux conventions, n’avait pas de temps à perdre.

    Il possédait tous les métiers, creusait les fondations et armait le ciment pour les murs du chemin, coulait le béton, avait acheté sa bétonnière, fort utile tout le temps que dura le chantier de la nouvelle maison, dirigeait les ouvriers qui posaient le bitume et ceux de la pelleteuse en verger plus tard.

    Tous les métiers, sans en avoir jamais appris aucun, de ces manuels, ce qui faisait que chaque objet possédait ce je-ne-sais-quoi, jamais parfaitement ce qu’aurait fait un artisan, toujours une touche différente, pas raté non plus, mais non-conforme, sa technique jouait toujours un petit tour à sa manière, pas patinée façon classique, maîtrisée mais pas dans l’art du compagnon. C’est que son apprendre venait de l’imprégné, pas de l’inculqué, comme en bain du pays, la langue pénètre. Il devrait faire avec son apprendre au retour d'Indochine.

    Il était homme-orchestre mais d’un orchestre à tour à bois, à établi, à ponceuse et perceuse, le toc-toc de la mixeuse de ciment, manutentionnaire des sacs de cinquante kilos, charrieur de sable, porteur d’eau, il dirigeait ses musiciens (la plupart du temps, lui, et nous aussi, à tenir, à attendre, à passer la clef, le seau, les clous) d’une main de maître, savait ce qu’il voulait, le chantier de sa vie, des projets techniques, le risque de sa vie, des achats en tous genres, le garage devint un atelier, l’atelier prit ses extensions.

    Combien de temps à déménager tout ça qui avait emménagé dans une maison proche de Paris, j’ai vu les ferrailleurs, les ai beaucoup fréquentés, qui veut de ma scie circulaire de la petite scie sauteuse et de ce bloc-moteur ?, jamais eu autant à consulter les lexiques de termes techniques pour rédiger les annonces sur ebay, et tous les ustensiles de sa cuisine souterraine, rangés selon dessins au mur, l’objet accroché on ne voyait rien dépasser, parfaite concomitance du patron, n’en manquaient pas un pour concocter les plats du jour, sans parler des kilomètres de poutres, planches, laine de verre, plaques de placo, cornières métalliques, lavabo à installer, baignoire pour future salle de bain à l’étage, m2 de carrelage, paquets de lames de parquet à poser, achetés en promo pour le second permis de construire, j’ai tout débarrassé, vaguement coupable, l’impression d’enterrer son âme technique, cette énergie à prévoir, ses mains usées d’avoir su faire, le revers lumineux du passé, et, sans doute que, dans l’obsolescence des objets invendables, vu revenir les fantômes qu’il portait, je l’enterrais lui et les autres, ceux que je n’avais pas connus, obsolètes et invendables.

    Pour me sauver, un ami artiste passa et remplit sa voiture, retour de la technique à l’art, et pour me remercier, me promit un ours, une sculpture d’ours dans le bois, un massif, un volumineux, en bois clair, comme un de ceux vus à l'une de ses expositions, je m’étais promis qu’il serait le premier d’un bestiaire, en ai rêvé de ce recomposé, l’ai imaginée cette famille, celle de l’ours, du saumon et de l’oiseau. Compte bien aller la chercher un jour.


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