• Journal d'écriture : Casse-auto #3 reconfiguré

    Reportage dans un club d'aviron

    crédit photo anthropia # blog

     

     

     

     

    Ils vous ont relâchée, mais d’abord, l’origine, il veut voir, interruption par la police, ils ont dit madeleineau, trop petite, vous vous relevez, vous appuyez d’un coude pour le voir contempler, presqu’un tacon on est, à peine sortie de la frayère, scruter mon origine d’où t’es née ?, la première journée en mer, il est là l’ours, tout près, et vous auriez quitté la rivière, même pas trouvé de capelans sur le site d’engraissement, vous cabotiez le long des golfes clairs l’âme légère, il dicte, vous les yeux baissés, vous étiez première, enfin je croyais, vous aviez tout à conquérir, et puis non, mais il faut que ça cesse ce lent apprentissage, vous l’affrontez, le voir, entendre, sentir, goûter, presque grande quoi, vous depuis vos fosses vous surveilliez, vous croyiez maîtriser, et là il est passé, les trois premières secondes vous osez, et tiens cette mouche, cet éclat, à la troisième je crois, la rouge, l’est pour vous, vous avez pris l’élan, vous l’avez accrochée, et puis vous retombez, accepter le départ, lâcher-prise. Ça pique, c’est ça la déchirure, et le sang qui clignote, c’est le rouge un signe que la couleur revient, ça pique, on croit que non, et puis ça tire aussi, on t’emporte, la proie suis devenue, m’ont hissée au filin, l’avançon, toute tentative de sectionner le lien sera sanctionnée de giclure pire encore, envie de reculer, de lui échapper, je n’y vois plus, lumière polarisée, où je suis là en l’air flottant comme un drapeau, dans la nasse déjà, mon terrain c’est l’eau, c’est la douceur, la vague, le corps qui lui résiste un courant, une caresse, j’ai ma part là, mais pas là-haut malmenée, j’ai besoin de cachette et lui de m’en extraire, c’est son phare dans ma gueule, le leur, mais lui sans eux enfin, ils sont là tout à coup m’ont saisi à pleins bras, moi au féminin, je bouscule, je m’ondule, vous voulez faire l’anguille, mais ils ont arrimé le corps de la saumonette, dans le filet déjà. Qui va me rédimer. Ils vous ont mesurée, la longueur et la taille, vous sentiez le sang couler près de l’œil la narine et puis la gueule aussi, le triangle qui s’affaisse, votre seule tête est là et on vous la prend, pas de son quand l’onde vibratoire ne cogne aucun signal, vous êtes sans musique, le monde est infernal, sa sonate est en vous, vous savez toujours la reconnaître quand vous l’entendez, mais là ça postillonne et gravite, ils disent haut et fort plein de mots, mais ça ne parle pas, le brouhaha du monde.

    Et puis m’ont relâchée, rejetée plutôt à la mer, mes écailles impavides quand mon corps fendait l’air, rejetée en arrière, pas d’angle de vision, encore sanguinolente, il faut se basculer en trois mètres c’est rapide par la torsion, les muscles, mon fuseau s’engage et puis le volte face, redresser l’axe de pénétration, pas de plat, d’un réflexe salvateur je plonge à angle droit. Vous entrez donc direct la gueule encore blessée dans la bleue, un dernier éclair c’est l’éclat de surface, puis rendue à votre matière, vous frétillez sauvée là sous la ligne, la lumière a baissé, elle diffuse, elle est la douce fraîcheur, la tranquille évidence, des lignes se dessinent, ici je suis chez moi, mais vous poursuivez, mue par on ne sait quoi, il est un rendez-vous que la survie vous donne, tout à coup vous plongez, bien plus qu’à l’ordinaire, dans la froide profondeur, ici moins de repères, est-ce le bon chemin, plus haut vous aviez retrouvé votre odeur diluée, votre vision à trois cent degrés, votre coup d’œil à quinze mètres, vous espériez le mouvement des objets pour ajuster à soixante centimètres, le calcul, peut-être encore la chasse, quelques crustacés feraient bien votre affaire, mais la trajectoire a été plus longue que prévue, c’est l’abolition de toute couleur qui fait sas, votre rêve, une plongée dans l’obscur, rien de négocié, vous vous enfoncez, vous tournez le dos à la pêche, le quittez, est-il encore là à tenir le filin, suit-il à distance ?, vous entrez à l’intérieur d’une fosse très large, vous ne pensez pas, le saumon ne pense pas, mais ici ne sent plus, ne voit plus, ne goûte plus, le saumon va aveugle vers le champ du passé, peut-être une lueur tout au fond là-bas, un halo qui appelle, si loin, faut-il donc traverser, vais-je oser, vous n’avez pas le choix, seule luciole dans ce temps, votre nageoire oriente, le corps prend le courant, position descente presqu’à la verticale, c’est si loin encore, coups de queue, vous seriez presqu’au fond, mais dessous la route se prolonge, elle se rétrécit même, vous ajustez la direction, la lueur comme une flèche, ça dure et dure toujours, le froid s’est précisé, vos écailles épousent la parfaite forme de votre être, vous faites front, une citadelle, et la lumière insiste, de ce bel oranger diffracté mais réel, vous reprenez courage, allez ça vaut la peine, quand vous vous heurtez sec à la roche taillée, des blocs du plus ancien, par la vitesse l’entaille, le sang à nouveau, l’exercice signale qu’ici sont plaies multiples que vous croyiez scellées. Tiens peut-être ici ce gant de veau rêche qui tire votre bras, et là cet autre absent qui marche en solitude. Coup de queue pour l’élan, est-ce le final, celui qui mène à la lumière enfin, mais d’où vient-elle, d’où vient que tout s’éclaire soudain et ces feux de Bengale de quelle source naissent-ils pour donner forme à l’atelier immense, ça y est vous y entrez dans le bassin orange, un volume de crypte, des arches en son sommet, des pilastres cannelés, des chapiteaux sculptés, de pierre granitique, et tout ça dans le flou, dans l’arrondi de l’eau, vous peinez à voir les lignes claires, tant l’eau a pris la couleur d’un bain de mandarine, les parfums naissent ainsi dans le rêve, ils tracent un chemin d’entêtement qui vous met en arrêt, vous êtes arrivée, c’est là qu’était le nous, et lui s’est profilé, vous le reconnaissez, il est le Peintre, dans son antre, de grands tréteaux de bois, son chevalet, la cohorte de boîtes sur l’étagère, et quand vous le voyez, sur les murs taillés, s’allument des vitraux, ouvrant soudain des touches de couleur, des triangles, des losanges, des cercles d’opalescence, du bleu, du jaune, du rouge, du vert et puis de l’ocre, et ce fort violet qui choque dans l’orange, tout scintille et votre cœur veut aller là vers l’ombre, l’eau s’est comme aplatie, votre fuseau se creuse de taille et puis de buste, de jambes aussi, à la main qu’il vous tend vous tendez votre bras, deux marches et puis voilà que vous sortez à l’air, ici vous respirez, il vous invite à peindre l’œuvre un monochrome jaune, d’un jaune électrique, un jaune qui rayonne, un jaune sans rouge pour l’assombrir, un jaune presque froid à force d’être citronné. Le pigment de la toile fait lien avec ce grand bocal là-bas, la couleur il faut la fabriquer, il a toutes les patiences, et vous apprend les gestes. La toile est carrée, en jute tendu sur des châssis de bois tendre. Deux couches suffiront, la toile résistera. Le peintre vous désigne l’huile de lin, il délaie la poudre, quelques cuillers seulement. Elle irradie, souvenir d’un morceau d’uranium, un matin, le Patineur l’avait rangé entre le schiste et le mica, le morceau brûlait, traces de temps maudits, quelques veines vert de gris, l’irradiation au cœur de la roche, invisible, comme au cœur de cet homme, la guerre et ses dommages. Collatéraux. Mais ce que vous cherchez s’appelle incandescence. Non la robe teintée soleil qui éblouirait, mais la certitude d’un astre, oh, seulement un objet, qui absorbe le regard, qui l’accueille à l’intérieur sans le refouler, un lieu où méditer, dans la couleur fluo, je vois des lapins bleus, des circonvolutions noires, le tableau m'imprime, c’est ça une œuvre d’art, quand elle vous console, retravaille avec vous les pâles réminiscences, les effleure, les caresse, sans autre prétention que d’être lieu pour vous.

    Vous croyez que vous allez peindre maintenant, tout de suite, vous imaginiez que peindre était immédiat, et vous découvrez la matière, la cuisine, l’arrière-boutique, des mains dedans, des mains qui s’y complaisent à faire jaillir des doigts la pâte jaunâtre, le Peintre pétrit le corps de la peinture, et en cela il dit, l’effort avant l’acte, le sale de l’esthétique, le puant de la beauté. Et vous voyez ses muscles et ses épaules appuyés au geste de la spatule, va-et-vient sur la plaque de marbre, le Peintre se donne du mal, il transpire, il mélange, c’est physique, c’est moral, la couleur ne se donne qu’à celui qui y met du sien, elle se gagne. Et il me la malaxe, et il me la fabrique un filament épais de matière de citron, le peintre se fait regard, l’outil de mon travail, venu à ma table lire par-dessus l’épaule, il comprend mon intention, c’est cela qu’il a fait. Et puis l’attente, la préparation, cette lente gestation en soi et sur la toile, il faut y revenir en personne, j’y serai. Le pinceau il faut le choisir, large, pas trop, vous détestez les pinceaux qui perdent leurs poils, ils perdent tous leurs poils. Vous peignez, vous déroulez, sans fantaisie, toute inquiète de la trace, qui ne serait pas droite, des sillons trop marqués sur la toile, quand la couleur est unique, on ne voit que l’outil, que le support, surface. Vous peignez. C’est ainsi qu’on dit. Qui t’a fait Peintre ? Le Peintre. Mais vous ne vous êtes jamais pensée Peintre. Vous peignez comme vous repeindriez votre salon, poussivement, ennuyeusement, pressée que ça finisse. Vous voulez sitôt fait le monochrome au mur. Comme une pensée magique, sans la transe, ni le processus, sans la gamme opératoire. Vous le savez pourtant qu’il faut lire, réécrire, changer le mot, en prendre un autre, et pour ceux-là les effacer. Pourquoi donc la peinture, l’art qui tache, échapperait à la règle, on n’aurait pas à attendre, ni à faire sécher, ni à revenir pour redonner la seconde couche, corriger, retirer la poussière, bien finir sur la tranche, éviter de déposer ce paquet de matière là sur l’angle, doser la pression pour que l’effet soit uniforme ? Le Peintre me nomme, enfant impatiente. Vous l’êtes. Passent les jours, les semaines, vous mettez votre désir au pas, vous l’avez jugulé, attends, vous comprenez que le tableau se fera par surcroît, par la bande, dans un coin de l'inconscient, ça attend, ça viendra, faut ce qu'il faut. Et puis enfin il est là, vous le tenez à même la main, il vous brûle comme une torah qui attend son tabernacle, car l’œuvre n’est que ça, elle cherche sa cimaise, vous échapper, car elle échappe à l’intention, elle devient sa propre proposition. Le Peintre vous dit, le soleil, c’est le Patineur. Et vous dites, paix à.


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