• Portrait de la femme au collier d'ambre

    Oeuvre inconnue de Ben Dov (détail)

    crédit photo anthropia # blog

    collection personnelle

     

     

     

     

    Les tableaux chez moi ne sont pas accrochés, je sais à quand remonte cette pratique, au jour où j’ai emménagé dans cet appartement aux murs de béton tellement durs que même ma perceuse à percussion Peugeot, robuste de chez robuste, a souffert d’une ou deux tentatives finalement réussies de poser un tableau blanc à aimants et une applique, mais à quel prix, j’ai alors décidé de reporter l’acte d’accrocher et ai posé mes tableaux sur les meubles bas ou contre le mur à même le sol, ceci me permettant une rotation des œuvres, à ces cimaises improvisées, l’occasion de revoir des tableaux que j’avais un peu rangés au purgatoire.

    C’est ainsi que La Femme au collier d’ambre, je l’appelle ainsi, est réapparue récemment dans mon angle de vision. Je l’avais achetée pas cher chez une copine aux Puces de Saint-Ouen. Elle m’avait dit, c’est un peintre mineur. Mais je n’approuvais pas, sa Femme au collier m’intéressait, puis j’ai découvert que c’était sans doute, pas vu l’œuvre répertoriée mais maternité probable d’après la signature, un Hannah Ben Dov, première période, j’ai supposé du temps où elle faisait du figuratif dans les années trente, avant de faire ses belles œuvres d’abstraction gestuelle (clic). En fait j'ai supposé, parce que je ne connais pas d'autre Ben Dov pouvant être contemporaine des peintres du début du vingtième.

    J’ai assez peu d’art antérieur aux années quatre-vingt chez moi, mais j’ai fait exception pour cette femme, parce qu’elle exerçait sur moi une fascination, je dirais littéraire, elle était emblématique, il me semblait, de toutes ces héroïnes de roman soumises, et son regard pensif, son air presque sévère évoquait tout à la fois la gourme bourgeoise et la tristesse ontologique des femmes d'une époque révolue, pour les femmes je dirais qu'elle s'achevait dans les années soixante avec la fin des corsets.

    Et parce que je ne sais rien de cette femme, même si son visage m'est vaguement familier -bouteille à la mer que je lance aux lecteurs- j’ai décidé d’en faire un portrait d'écriture.

    MàJ 5 juillet 2014

    Ma bouteille à la mer a trouvé Alain Umhauer qui a posté hier un commentaire, qui creuse le portrait d'Hanna (sans h) Ben Dov, le voici en ajout à mon portrait.


    "Hanna est née à Jérusalem en 1919 et décédée à Nogent-sur-Marne (Maison des Artistes) en 2009. Elle a fait partie de ce qu'on a appelé "la seconde école de Paris". Du temps de Montparnasse, son atelier jouxtait celui de Brancusi, qui s'était lié d'amitié avec elle. Plus tard, elle a installé son atelier à la Ruche et, presque jusqu'à sa mort, a vécu dans le quartier de Saint-Michel, rue Gît-le-Coeur précisément. Sa dernière exposition a eu lieu dans les locaux des Editions Caractères, rue de l'Arbalète. Hanna avait, dans les 50, fait l'acquisition d'une maison à Labeaume, dans l'Ardèche. Elle a d'ailleurs légué son oeuvre à la commune. Elle vivait par et pour la peinture. Une journée sans peindre était une journée fichue."

    (Alain si vous me lisez, merci de me redonner le lien que je ne peux ouvrir)

    Ce qui me touche c'est qu'elle ait vécu à La Ruche que je fréquentais souvent quand je vivais rue du Hameau dans le XVème entre 1985 et 2002, peut-être aurais-je pu la rencontrer comme j'ai rencontré d'autres artistes de ce lieu si fort dans ces années-là.


     

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    Portrait de la femme au collier d’ambre

     

    Rien. Rien ne savoir d’elle.

    Première impression, surmoïque, d’ailleurs pour ça que je l’avais mise au rancart, l’effet d’une popesse, figure religieuse, au-dessus des contingences du monde, le col fermé, la gourme de la bourgeoise, le raz-du-cou clôturant sa poitrine, enfermant son long cou dans des oubliettes de seins, doit pas aimer s’envoyer en l’air. Envie de la décoiffer.

    D’un autre temps, ça qui me fascine, du temps où les femmes ne vivaient pas, leur chaos intérieur bien cloîtré, ça que je me dis, le temps de l’absolue pudeur, où une femme ne délivre rien d’elle, surtout occupée de paraître, luttant de toutes ses forces pour ne rien laisser paraître.

    Son paraître à elle, muet, les mots comme étouffés dans la commissure des lèvres sèches, presqu’un trait rose, n’a pas de bouche, la bouche c’est obscène, la barrière du souffle, on l’imagine parler entre ses dents, tout doucement, mais d’un doux qui claque sans discussion possible, ne disant que le minimum. La dureté d’une femme phallique, ne laissant approcher que des hommes aimants, cherchant son approbation, ne la leur délivrant que du bout des.

    Fascinant, cet art des femmes d’un autre siècle, fruit d’un long apprentissage de geisha.

    Puis soudain émue. Un petit bout de femme. Le regard grave, les yeux baissés, les prunelles noires dont elle semble vouloir effacer toute passion, occupée à ne pas laisser le ciel s’y refléter, le fruit d’une expérience déçue, le marécage intime, la désespérance qui transperce, elle n’a plus la force d’aimer, n’est qu’un petit oiseau, qu’un cerveau qui bute à l’intérieur du front, bute, bute, qui pose ses questions sans solution. Mais qu’est-ce qui m’est arrivé ? Ce serait le portrait du Qu'est-ce qui m'est arrivé ?

    C’est là que les Emma, les Anna, les Jeanne, les Béatrix/ce et toutes les autres filles perdues de la vie et de la littérature –jusqu'à ces âmes des prisons du début du XXème- ont germé à partir de cette infinie solitude de l’après, quand plus rien n’est à dire, mais à qui ?, quand le joux/le joue de l’homme a toujours raison, quand elles « n’ont plus que leurs yeux pour pleurer », comme disait ma grand-mère, «et comme on fait son lit », et « tant va la cruche », les proverbes, la désespérance des sans-voix.

    N’aura pas de nom ma femme au collier d’ambre, l’oléorésine qui porte la mémoire l'a perdu, ne reste que la pierre pour réchauffer, et point de jeunesse éternelle chez elle, la jeunesse a passé.

    Rien ne savoir d’elle. Rien. Le portrait triste. Aurais pu l’appeler ainsi. Comme on dit valse triste, stoned en sortie de bal.

    L’énigme de la femme au collier d’ambre.

     

     

     



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  • Commentaires

    1
    UMHAUER Alain
    Vendredi 4 Juillet 2014 à 13:15
    Hanna Ben Dov
    Hanna est née à Jérusalem en 1919 et décédée à Nogent-sur-Marne (Maison des Artistes) en 2009. Elle a fait partie de ce qu'on a appelé "la seconde école de Paris". Du temps de Montparnasse, son atelier jouxtait celui de Brancusi, qui s'était lié d'amitié avec elle. Plus tard, elle a installé son atelier à la Ruche et, presque jusqu'à sa mort, a vécu dans le quartier de Saint-Michel, rue Gît-le-Coeur précisément. Sa dernière exposition a eu lieu dans les locaux des Editions Caractères, rue de l'Arbalète. Hanna avait, dans les 50, fait l'acquisition d'une maison à Labeaume, dans l'Ardèche. Elle a d'ailleurs légué son oeuvre à la commune. Elle vivait par et pour la peinture. Une journée sans peindre était une journée fichue. https://www.google.fr/search?q=hannah+ben+dov&newwindow=1&rlz=1C1AVSF_frFR586FR586&espv=2&tbm=isch&tbo=u&source=univ&sa=X&ei=SGK1U-T8B6OQ0QXqjIHgDQ&ved=0CCcQsAQ&biw=1600&bih=775 Alain Umhauer, un proche ami
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