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    Rodzina - Marta Deskur (droits réservés)



    Artiste polonaise


     


    De Marta Deskur, j'ai acheté une oeuvre, toute simple. Une photo de femme voilée sur carrelage, une femme vue de dos, le voile artistiquement photographié. En fait est-ce une femme, nul ne le sait, c'est simplement la vision érotomaniaque d'un plissé d'étoffe, disposé en forme de voile vu de dos.


    Le cliché d'une femme dont on ne cherchera même pas à voir les yeux, tant l'interdit revendiqué de ne rien montrer est fort. Et ce cliché est développé sur un carreau de faïence, blanc, de ceux qu'on voit dans les salles de bain, les simples pièces d'eau, blanches ordinaires. Contraste de la photo religieuse sur le support lavable.


    Dans la salle d'intimité, au lieu du corps nu, apparaît le corps enveloppé, caché. Le corps caché dans la salle de bain. Même là où la femme peut se dénuder, elle est encore couverte. Pas d'accès à soi. Pas de lien à sa propre nudité. Devant ton miroir, ne te découvriras pas. Mémoire de couvent des jeunes filles occidentales des années cinquante. Actualité des femmes d'outre-terre.


     


    Marta Deskur nous parle de la femme dans la modernité étrange, dans la modernité où malgré tout elle est encore soumise.


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  • Au Café Intimité d'Ivry, on rencontre le monde entier. Le lieu n'est ni un lounge bar, ni un salon de thé. C'est un Kneippe, façon allemande ou autrichienne, un café comme chez soi, avec de longues tables et la perspective de croiser Untel ou Untel qu'on ne connaît pas.


    L'autre soir, Juan le Sud-Américain me fût présenté. Il dirige le magasin de décoration latino à Ivry. Juan n'est pas tout jeune. Il est arrivé en France au XXème siècle, dans les années soixante.


    On parle de tout, de rien. De la bretelle qui passe devant son magasin et que la Mairie veut mettre en sens interdit. Comment les clients viendront chez lui, s'ils ne peuvent se garer à côté. Comment sauront-ils qu'il existe si leur route ne passe plus devant le magasin. La Mairie a bien organisé une réunion, mais un samedi matin. Pour les magasins, le samedi matin, c'est le jour impossible, pas de réunions, pas de rendez-vous. Le samedi matin, c'est sacré pour les clients. Bon, ce n'est pas grave, une autre réunion aura sans doute lieu et les commerçants pourront dire leur dol et tout ira très bien.


    Est-ce pour cela qu'il se met à me raconter son passé ?

     
    Son histoire est toute alourdie par l'histoire de son père. Enfant, il vivait avec celui-ci dans la vallée de Yucay. Son père était un fermier d'origine italienne qui travaillait pour un Italien. Et tout allait bien. Bon an, mal an, on ne s'en sortait pas trop mal, à cette époque de l'entre-deux-guerres, productions multiples, ça se vendait bien.


    Puis Hitler signa un traité avec Mussolini et les Italiens du Pérou furent expropriés. Le père de Juan vit racheter la terre qu'il travaillait par un Japonais. C'était avant Pearl Harbour, les Japonais étaient les alliés des Américains.


    Alors le père se fît expolié. C'est le mot de Juan. Expolié. Et je l'ai repris, comme cela dans la conversation. Il me semblait évident ce mot. Expolié. Comme si je l'avais toujours entendu, j'étais même sûre qu'il existait dans le dictionnaire, résonnant comme spolié et comme expulsé tout à la fois.


    Un mot de lutte pour parler de la mobilisation de ces Italiens contre l'expropriation, ne pas se voir confisquer leurs terres, sur la base de ce qu'un dictateur, là-bas, très loin, avait pactisé avec le diable.


    Un mot compliqué qui fit que le père au lieu de mettre les baux ruraux au nom de son épouse péruvienne, tête de pioche, décida d'assumer son italianité face à tous pour le pire.


    Un mot alambiqué pour dire l'imbroglio juridique qui fit que son père intenta par dignité et pour défendre ses droits un procès à son propriétaire le Japonais, procès qui dura jusqu'après la mort du père, la mère restant seule pour se battre.

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    Un mot dur pour raconter l'impossibilité de rester sur les terres qui vous ont vu naître et la nécessité de refaire sa vie quand on a soixante ans.

     
    Il arriva du Pérou en 1960, Juan, issu d'une vallée d'Italiens qui furent expulsés par les Japonais avant que ceux-ci ne le soient à leur tour. Il s'installa à Ivry, ouvrit son magasin, fit de l'import export.


    Quarante années en France. Mais quand on rencontre Juan, quand on lui dit plus de deux mots, quand on engage une conversation, c'est le Pérou qui revient et cette histoire des années quarante. Avant que Pearl Harbour ne fasse aux Japonais ce que l'axe Rome-Berlin avait fait aux Italiens.


    Ce qu'il a appris, Juan, c'est qu'à une ou deux générations, on est pour toujours d'où l'on vient. Et Juan est comme son père, il revendique son histoire de Péruvien. Comme son père, enfin pas tout à fait.





     


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  • Bruce Nauman - Anthro-socio - Installation view (droits réservés)


     

    On three projection surfaces and six monitors, one sees the head of a man shown in different takes. While continually revolving about his own axis, in a variety of tonalities he sings «FEED ME/ EAT ME/ ANTHROPOLOGY,» «HELP ME/ HURT ME/ SOCIOLOGY,» and «FEED ME, HELP ME, EAT ME, HURT ME».


    In order to grasp the full effect of the installation «Anthro/Socio,» the space has to be entered. The calls heard from different directions irritate as much as the contradictory demands, aimed at the simplest of bodily needs and questioning them at the same time. The repetition of the alarming singsong, and multiple video shots of the singer, also create a disturbing moment. In «Anthro/ Socio,» not only because of the all-encompassing sensual experience does the viewer become part of the artwork; the installation also encourages viewers to give thought to the inherent qualities of subjects and objects, and to human beings in society.<?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" />
     

     


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  • Horloge solaire (droits réservés)


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    Le temps, c'est la vie.

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    Pourtant le temps n'a pas toujours existé, il fût un temps où le temps ne passait pas. L'époque où il n'y avait pas d'horloge. C'était le temps de la durés. En moi passaient les sensations de réveil, de faim, de plaisirs, de douleurs, de fin. J'étais ma propre pendule, à l'écoute de mon corps. Et je ne voyais pas le temps passer, il me passait dessus. Si je regardais dans le ciel, je voyais la course du soleil et la lune pointer sa face blême pour m'annoncer la nuit. Je disais, rendez-vous à la seconde lune, ugh. J'étais Ruth endormie et Booz me contemplait.

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    Quand vint l'horloge, vint le concept du temps. Quinze siècles pour l'inventer, une aventure humaine. Sept à huit ans pour le maîtriser quand on est enfant. Mais l'homme était encore dans la douceur angevine. Retrouvons-nous à midi sous l'horloge, et le temps passait à attendre, à quatre heures le goûter, de cinq à sept, la volupté, le dîner, le souper. C'était le temps où on avait le temps. Au moins le pense-t-on, aujourd'hui.

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    Je quittai les champs pour m'installer en ville. Enfin m'installer. Au bureau de placement, on me trouva un petit taf, à l'usine d'à côté. A moins de se faufiler dans les vestiaires, après la sirène le retardataire était puni. Le contremaître retirait dix minutes du salaire hebdomadaire. Sous la grande chronométreuse de l'atelier, les ouvriers ployaient sous le joug. Le temps était extérieur, une contrainte, un assujettissement. On avait des primes de panier, quarante pièces en une heure, la même chose toute la journée. Quand vinrent les dimanches à la campagne, les patrons croyaient qu'on irait boire aux guinguettes de bord de Marne. Quand arrivèrent les congés d'une semaine, ils en étaient sûrs, on ne reviendrait plus, entre l'enfer de la plage et celui des hauts-fourneaux, on aurait tôt fait de choisir la dolce vita et le farniente.

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    Mais tant va la cruche à l'eau et l'âne à son pieu, qu'à la fin, peu à peu, l'horaire de travail s'imprima dans ma tête. Je rouspétais quand mon amoureux était en retard, et je n'attendais plus que le réveil sonne pour me lever. On n'avait plus besoin de contremaître, le petit chef, c'était soi, soi au garde-à-vous de soi.

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    Puis le temps devint anglo-saxon, am, pm, sept rendez-vous par jour, toutes les heures. Vol annoncé, rupture de charge, fuseau horaire, le temps s'afficha numérique en accès séquentiel. J'appris à courir, à noter dans mon organizer, à faire sonner les heures pour ne pas oublier. Travaillez vite et bien, disait mon boss. J'étais une battante avec mon Palm-Pilot, nous ne risquions pas la crise, elle nous courait après, mais nous courrions plus vite.

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    Alors, bizarrerie de l'histoire, mais c'était bien dans le sens du moindre travail, notre gouvernement dans son infinie sagesse nous fit passer de quarante sept heures à quarante heures, de quarante à trente-neuf, puis un jour arriva l'utopie, la semaine de quatre jours, les trente-cinq heures pour tous. Enfin en principe.

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    Et là je ne sais plus. Je passe au temps présent. Je n'ai pas de vocabulaire pour dire ce temps intermédiaire. Ni week-end, ni jour de la semaine, ce temps qui n'en est pas, ce temps où je vaque librement à mes occupations, me dit mon employeur, je ne sais pas le nommer. Il faut longtemps à la France pour trouver un mot. Ah, ça y est, j'y suis, c'est l'ARTT. Aménagement et Réduction du Temps de Travail. Et chacun y va de ses ARTT, elle est en ARTT, il prendra son ARTT hors de ses congés. Les ARTT regroupées, la demi-journée à la semaine, la journée quinzomadaire, les deux jours dans le mois ou bien au fortait, tout ça finit en RTT, c'est plus court. On va toujours à l'économie, c'est comme ça dans la langue.

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    Sur l'année, cela fait mille six cent heures. Jamais on ne m'avait calculé à l'heure près le temps de mon servage, celui qui sert à mon breuvage, euh, à mon alimentation, à ma vie de famille, à l'entretien de ma maison.

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    Le temps, c'est la vie, je donne mille six-cent heures par an et le reste du temps, je vis. Mais je vis aussi quand je travaille. Alors ces anglo-saxons, qui en connaissent un rayon en matière de temps, ont inventé l'agenda. AGENDA. Pas l'agenda papier où on note les micro-liens de son esclavage ordinaire. Non, l'AGENDA, ce que j'ai à mon agenda, c'est ce qui prime pour moi, mes priorités professionnelles et personnelles. Ce sur quoi, j'apprends peu à peu à être psycho-rigide. L'AGENDA, c'est moi qui le fixe, ce que j'ai à mon AGENDA, j'oblige l'autre à en tenir compte. L'agenda est un objectif, un rendez-vous de soi à soi, un calendrier, un programme de vie. Qui fixe l'agenda maîtrise sa vie.

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    Même les villes s'y sont mises à l'Agenda, on appelle ça, Agenda 21. Elles décident leurs priorités en développement durable, plus de sacs plastique dans les magasins, des parkings à l'orée des banlieues, des péages pour empêcher les pauvres de pénétrer, des bicyclettes et des tramways joyeux pour les touristes, le chauffage thermo-phréatique et les radiateurs à trente degrés inventés par les Belges. Cet agenda-là s'impose à nos agendas personnels, mais c'est pour la bonne cause, pour la bonne vie en ville.

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    Si je suis de la catégorie WPCP, c'est un nouveau CSP (catégorie socio-professionnelle) que je viens d'inventer, si je suis WPCP donc, à savoir Working Poor, Chômeur et Précaire, je n'ai pas la bonne carte pour entrer dans ce monde. La bonne vie en ville, ce n'est pas pour moi. Dans mon cas, j'ai du temps, mais plus de vie. Ou plutôt je passe mon temps à gagner ma survie. La durée me fait la vie dure, le temps me marche dessus. On ne voit plus que mes pieds arpentant les salles des pas-perdus. Renvoyée au Moyen-âge du temps, ce qui compte désormais, le lieu je me lève, l'espoir que je vais manger, l'attente du 118 qui me dira où dormir, l'espoir d'une réponse à mon CV, le repas à un €uro, les tickets de métro que l'assistante sociale au bout de deux heures voudra bien m'accorder. Pour le plaisir, vous repasserez. Et la fin n'est pas loin. Time is money.





     





    Car derrière le temps se glisse subrepticement un autre concept plus ancien, l'argent. Enfin un concept. Des pièces, du papier, une carte en plastique et un code informatique. Mais pour l'argent, c'est une autre histoire que je vous conterai un autre jour.

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