• Robert a la varicelle

    artiste inconnu (merci de me signaler son nom)

    Musée des arts buissonniers

    Saint-Sever-du-Moustier

    crédit photo anthropia # blog

     

    Des fois, c’est le samedi qu’elle vient devant mon supermarché, Mina.

    Ce matin, elle était seule, il est où, Robert ?, elle grimace, il a la varicelle, mais sourit toute fière de connaître le nom de la maladie. Je demande ce qui lui ferait plaisir, elle articule, des fruits, pour la varicelle, pour…, pour…, elle cherche le mot, elle mime se faisant des pics d’index sur le visage, je comprends, pour ses boutons ?, éclat de rire, oui, ses boutons, il manger bananes, oranges, j’ajoute, des vitamines ?, oui, vitamines. Elle rit l’air détendu.

    On reparle de la dernière fois, alors t’es où en ce moment ?, elle dit, dans ma cabane. Surprise, mais les policiers ne l’ont pas cassée ?, non, police venir, dit casser cabane, mais pas venus, pas pourquoi. Elle hausse les épaules, elle montre le ciel, il a entendu, première fois que je vois un acte de foi chez elle, quelle religion pratique-t-elle, je n’en sais rien.

    Et je repense alors à  cette scène de l’autre fois que mon empathie avait amplifiée, si elle était toute remontée, toute tendue, en colère, ça n’était pas pour un événement récent qu’elle venait de vivre, casser la cabane, le commissariat de police, c’était l’angoisse à la suite d'un fait, la police était venue les voir ou même avait juste laissé un avis de passage du commissariat. Me souviens de ses yeux fixes quand elle avait prononcé le mot « commissariat » il y a deux semaines, en fait, elle avait le mot en tête l’ayant lu sur un papier, pas l’événement, mais la peur que ça arrive, la peur-panique d’être chassée pire que l’avoir vécue. Et moi qui l’avais ressentie comme une réalité certaine, je comprends que le réel que nous avions échangé était pire, la mémoire de toutes ces chasses déjà vécues qu’elle avait convoquée dans son indignation et que j’avais captées me trompant sur l’interprétation.

    Pourquoi police pas venue ? (me voilà en train de parler comme elle, il faut se rattacher aux mots comme à la roche, puisque les phrases ne sont pas encore des passerelles, les mots sont les aspérités dans la grimpée de notre montagne de dialogue, celle que nous édifions à chacune de nos rencontres, nous créons le paysage d'une amitié en construction). Elle chuchote avec les yeux  écarquillés, police pas venue, peut-être ramadan ? (elle serait musulmane, pourtant pas voilée, juste un foulard, je n’aurais pas cru). Enfin, ça me fait bizarre d’imaginer que la police aurait suspendu son opération pour respecter le ramadan, je pense, chez les policiers il y aurait des pratiquants qui auraient refusé ?, ou ils respecteraient une sorte de trêve pour les pratiquants roms ?, puis je doute, mais ça ne correspond pas à la période du ramadan, enfin l’argument me surprend.

    Puis Darius me vient en mémoire. Il me semble que le lynchage de Darius serait un motif à suspendre toute expulsion. Je dis, peut-être que c’est à cause de Darius. Toi, connais Darius ?, large sourire en forme de question, je comprends qu’on ne parle pas du même. Non, Darius à Pierrefitte, dénégation de sa part en hochant la tête, je dis, il a été lynché, elle ne réagit pas, je répète, attaqué, elle ne comprend pas, j’essaie, Darius, presque mort, elle, fronçant les sourcils, Darius mort ?, comment ?, je tente d’expliquer, alors elle dit, tu sais Roumanie, pas comme ça, pas Darius mort, Roumanie pas méchant comme ça. Les médias pourtant prétendent que là-bas le racisme est pire. Elle est triste. Je m’étonne, on est à un ou deux kilomètres de Pierrefitte, et elle n’est pas au courant. Elle va se renseigner et on en reparlera.

    Tout ça pas bien (marre de parler cette langue à deux temps, la morale est vraiment le degré zéro du vocabulaire, mais notre seul terrain de compréhension avec Mina). Je tente d’expliquer, c’est Sarkozy qui a commencé, pas bien pour les Roms. Et elle, mais Sarkozy pas là.  

    Et je hoche la tête, je dis oui, c’est vrai, Sarkozy plus là, mais ça continue. Tellement difficile d’aller plus loin dans la conversation.

    Et pour ne pas rester sur ce mauvais sentiment, je sors mon smartphone, tu veux qu’on fasse une photo, elle sourit, toi et moi ? Oui. On se met côte à côte, je cadre en largeur, et on se fait un selfie à deux avec Mina.

     

     

     


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