• Sandra, habilleuse de la Reine

     



    Il était une fois une assistante de vie, qui avait pour métier singulier de l'être pour la Reine. Le Royaume importe peu, c'était dans un pays lointain, au-delà des collines et des montagnes, au-delà des rivières et des océans.

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    Une assistante de vie ? Qu'est-ce à dire. Une personne de confiance, qui se penche chaque matin sur votre sommeil et délivre les gestes délicats qui vous aideront à vous coucher ce soir. Chez cette altesse, on dira la Reine-Mère, pour bien marquer son âge, l'assistante de vie était nommée habilleuse. Sandra, c'est son nom, était l'habilleuse de la Reine.

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    Chez Madame Leroy ou Monsieur Sang-bleu, les Sandra en arrivant le matin ouvrent grand les fenêtres, puis s'occupent de la toilette, pas médicalisée, celle-là est réservée aux infirmières ; il leur arrive aussi de changer les poches urinaires, les protections, et tout ce qui fait les bons moments du métier. Elles habillent, préparent le petit déjeuner, font le ménage, les courses, préparent le déjeuner, organisent des petits jeux pour stimuler la mémoire et accompagnent au club du 3ème âge.

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    L'assistante de vie de la Reine n'a qu'un seul rôle : l'habiller. S'occuper plus largement des vêtements de Son Altesse, de recoudre les boutons ou les diamants qui parsèment la robe de bal, de repasser les toilettes pour qu'elles soient toujours impeccables. La Costumière royale est logée chez l'habitant. Au Palais, elle occupe une chambre sous les toits. Mais comble du luxe, n'est pas chargée de garde-robe qui veut, ses appartements font trois-cent mètres carrés de surface. Car le sanctuaire de l'assistante de vie de la Reine comporte un énorme vestiaire, vêtements d'hiver, vêtements d'été, accessoires, chapeaux, gants, ceintures et sacs à main,  bijoux et objets du quotidien, le menu trousseau d'une sérénissime. On peut donc dire sans médire que Sandra dormait dans un placard.

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    La jeune fille dont je parle a trouvé le poste dans les petites annonces. En quelque sorte par hasard. Mais son CV est glorieux. Ancienne costumière de théâtre, elle se trouve être la petite-fille d'une gouvernante des enfants d'un Roi d'un Royaume voisin, elle-même noble. Ce qui vous l'avouerez est une chance singulière. Elle a donc obtenu cette charge symbolique, comme on se transmettait aux siècles d'avant les révolutions, de grand-mère en petite-fille, les postes de videuse du pot, d'ouvreuse de fenêtre, de grand chambellan du coucher. Oui, cela saute toujours une génération, la transmission. Elle a donc été embauchée.

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    Et la ritournelle des jours et des saisons s'est mise en route. Dévêtir la Reine, retirer ses vêtements de nuit, puis lui présenter ses sous-vêtements, les collants, les pulls, les blouses, les jupes, les cardigans. Frôler le corps de la reine et humer ses odeurs. Le quotidien d'une assistante de vie.






    Ce qui changeait, juste un détail. La Reine jamais n'oubliait qu'elle était la Reine. Comment enfiler les collants à une Reine. Ne pas la regarder dans les yeux, faire des petits gestes rapides, trouver un style entre elle et elle pour que jamais le spectre de l'intime ne se dresse entre elles. La Reine jamais n'oublie qu'elle est la Reine.

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    Un jour, dans l'Abbaye où elle avait été autorisée à s'asseoir, à l'occasion d'une cérémonie où la Reine-Mère au bras de son petit-fils remontait l'allée centrale, Sandra avait ressenti toute la puissance de sa position. Quand la Reine-Mère l'avait frôlée, à son passage, Sandra avait humé et reconnu l'odeur de vieille, l'odeur qu'elle fréquentait au jour le jour, les algues d'entre-jambes, les arômes de sueur mélangés aux essences rares, les acidités d'aisselles, l'odeur d'un corps qui passait dans ses mains. Elle en avait fermé les yeux, tant elle éprouvait une forme de triomphe, en ce qu'elle seule connaissait l'intime de la Reine, maîtrisant les suaves remèdes à cette carte des senteurs qu'il fallait sceller à tous.

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    Oui sitôt le vertige de cet insigne privilège l'avait-il saisi, Sandra  s'en effraya. Car elle avait appris que la Reine jamais ne cédait d'un iota de sa royale suprématie et qu'il ne fallait pas, au grand jamais jamais, qu'elle fût prise en défaut d'humer. Elle se devait de fermer les narines, d'oublier l'haleine. Elle jouissait dans le déduit de l'éphémère instant. Car tel était l'interdit absolu : la Reine ne transpire pas, la Reine ne révèle pas le parfum du grand âge. Pas de lèse-majesté, verboten de sentir ; Sandra savait qu'elle devait lui cacher l'intense émotion qui la saisissait.

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    Le corps de la Reine est un socle, ce lieu public, cette institution, ce monument, qu'on entoure d'égards et devant lequel on s'agenouille. Mais aussi un oiseau farouche, jamais apprivoisable. Pas de travaux d'approche, jamais de relâchement. La Tour, prends garde, ne se laisse pas prendre. Orgueil de caste, depuis l'enfance. La Reine est une île, mystérieuse et imprenable.

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    (A suivre)



     


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