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Entre les murs : une auberge espagnole

Misses Freeze, 2002

Fiorenza Menini

 

 

Forcément on entre dans le film avec des préjugés.

On a lu telle critique ici et on en attend beaucoup,

du point de vue émotionnel ou filmique.

On admire le superbe montage,

cette succession de plans séquences

qui font avancer le film d'un dialogue de classe à une réunion de profs.

On aime les regards appuyés de François à cet autre prof,

ces regards qui disent, je me couche,

j'admets ton argument, je me tais.

On aime même cette manière de filmer,

juste assez près, mais pas en gros plan non plus.

Bref le film est bon, se boit sans soif,

et on en redemanderait.

Pourtant, j'en ressors dans un état paradoxal,

quel film gai et noir à la fois.

Ce qui est pénible dans le film de Laurent Cantet,

mais peut-être est-ce aussi présent

dans le livre de François Bégaudeau,

c'est qu'on y trouve tout, comme dans une auberge espagnole.

On y dit à la fois l'énergie et la misère de ces jeunes,

la gouaille et le handicap langagier,

on a envie de se brancher sur eux,

mais on comprend qu'ils ne savent pas eux-mêmes

où ils vont et que ce serait dangereux.

On y apprend que l'école vous enseigne des choses,

mais qu'on n'y comprend rien.

Que les profs sont benêts, mais finalement épatants.

Le film ne se bat pas pour une théorie,

il s'arrange pour plaire à tout le monde.

Et c'est ça qui me dérange.

Parce qu'il y a un angle mort dans cette fable,

l'angle de la pédagogie :

parlons un peu du contenu sous-jacent,

bien sûr, on y voit un prof déployer les charmes de sa personnalité,

ne rien céder de sa compétence langagière

face aux barbares de l'empire mauresque,

et même à un certain point, on pense qu'il est un adepte

de ces nouvelles pédagogies, ne valorise-t-il pas Suleiman

en punaisant ses photos au mur,

lui conseillant d'écrire des légendes,

façon de le ramener dans le groupe.

On y croit, il va le sauver.

Puis contre toutes attentes, et alors qu'il tente de défendre l'élève

dans un conseil de classe remonté,

il dérape et se soulage par un "Suleiman est limité".

Phrase que seules les deux représentantes des élèves ont entendue,

phrase qui ruine la confiance en soi d'un jeune,

phrase qui désespère,

comment lire autrement le passage à l'acte de l'élève.

C'est ici que je refuse le film,

dans cet abandon de ce qui constitue selon moi

le principe même de l'école, ce qui l'a fondé

sous la IIIème République, l'école pour tous,

l'école qui permet de s'élever dans la société,

l'école qui sauve de son milieu et de son ignorance.

Une phrase vite oubliée,

dont plus personne ne parle dans l'équipe pédagogique.

Oublié Carl Rogers et sa pédagogie du succès,

oublié ce savoir FONDAMENTAL du rôle du prof,

ne pas juger l'être, mais critiquer ses actes.

Dire à un élève comme Suleiman, qu'il est limité,

c'est le renvoyer au bled,

plus sûrement que n'importe quel père en colère,

à l'état sauvage d'un hominidé qu'on renonce à humaniser.

François est victime de son élitisme profondément ancré,

son angle mort à lui, s'est-il reconnu dans ce mot vitriolé ?

Car qui sinon lui est limité, aveu de faiblesse,

c'est çui qui dit qui y est.

Quand il rédige le rapport de ce qu'on appelle pudiquement "l'incident",

il oublie les attendus de l'affaire.

Et puis un prof lui a servi la soupe, un Ponce Pilate,

"Suleiman nous a quitté depuis longtemps", c'est lui qui se désinvestit.

Mais n'est-ce pas aux profs d'aller chercher ces élèves

qui font de la figuration ?

Entre les murs a cette perversion légère,

qui fait que tout le monde apprécie,

pour peu que tout le monde se fiche de la vérité,

car au fond ce film est d'un cynisme absolu.

 

 

 

 

 

 

 

 

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D
Entre les mursBonjour, je ne suis pas prof mais j'ai parlé du film à quelques-uns d'entre eux de ma connaissance. Certains sont sortis outrés et d'autres ont aimés mais ils m'ont sont unanimes pour trouver l'attitude du prof presque blâmable. Le fait d'être "copain-copain" avec les élèves n'est pas la meilleure solution. Il aurait fallu qu'il garde une certaine distance: maître / élève et ne pas se sortir de ce schéma. Pour ma part, j'ai beaucoup aimé le film cinématographiquement parlant. Bonne après-midi.
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A
A ManonDésolée, je viens de rentrer. et ne pourrai pas t'aider.<br /> Bon courage<br />
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M
aidez moiuve | mercredi, 08 octobre 2008<br /> <br /> Bonjour<br /> J'ai un devoir en français a rendre par rapport au livre "entre les murs"<br /> Le sujet est : " la salle de classe souleve de nombreux problemes"<br /> Je cherche de l'aide svp<br /> Voici mon adresse<br /> m.lle-manon@hotmail.fr<br /> Merci d'avance
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A
Quelle fin ?Je vous réponds Lulu la Nantaise, un peu tard.<br /> Ce que je comprends, c'est que la fin réelle est bien l'exclusion de Suleiman.<br /> Le reste est de l'habillage, le match de foot, la remarque de l'élève, le commentaire sur Platon, sont des manières de faire résonner l'exclusion, une école où on s'amuse, où on ne comprend pas, où on apprend à l'extérieur, c'est bien l'échec de l'école qui est mis en avant.
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L
Entres les mursJ'ai ressenti le même embarras que vous Anthropia, sûrement parce que le film tout comme le livre ne se fixe pas sur une unique thèse qui viendrait rassurer le spectateur. La fin hésitante entre le happy end (le match de foot) et la réplique de la jeune fille ("je n'ai rien retenu") est à l'image du film tout entier: le prof est-il en échec? y a-t-il volonté d'exemplarité ou non? que dois-je penser des situations présentées? qu'elles sont cyniques ou qu'elles sont réalistes (sinon réelles)? Je vous conseille de lire le livre original de Bégaudeau, au passage écrit d'une écriture maîtrisée, qui gère mieux que le film ce positionnement.
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