• De l'émeraude aux cépages : vert |

    Lever de soleil sur l'autoroute

    Crédit photo anthropia # blog

     

     

     

    De l’émeraude prêtée aux jeunes filles mal rangées |

     

    Suis sur ses genoux, pose ma tête contre son sein, sent bon, Chanel N°5, comme maman, son menton sur ma tête, cogne un peu, menton dur, m’a enfermée dans ses bras, Alice, m’enferme, la joue contre la joue maintenant, tout près, regarde, ses lèvres toutes gonflées, sa robe blanche brillante, c’est plissé là, et puis son sein, je vois la dentelle, et puis sa main prise dans mes mains, joue avec ses doigts, la caresse, le dessus, le dessous, c’est chaud et un peu froid, j’la mets sur ma poitrine, sa main à moi, Alice, murmure, kitzele, kitzele, sa main cherche sous mon bras, elle chatouille, attrape sa main, et puis la bague, l’émeraude, la grosse et belle émeraude, vient l’autre, Roberto, veut me la prendre, je l’écarte, l’émeraude, je l’enlève, elle me la laisse, je la mets à mon doigt, je la caresse, et m’enfonce en elle, mon dos poussant son ventre, c’est mou, s’enfonce, chaque bord piquant, des lignes, un dessin, reflets, vert brillant, sous les bougies, ça luit, l’émeraude à mon doigt, à moi.

     

     

    De l’organisation des usines dans les années trente, un des fameux stratagèmes |

     

    Yves C., professeur à l’EHESS

     

    Oui, elle a suivi mon séminaire. Elle était intéressée par mes travaux sur Peugeot. Oui, j’ai fait ma thèse sur Mattern, un ingénieur qui a introduit de nouvelles méthodes de production à l’usine de Sochaux dans les années trente. Je crois que son grand-père avait travaillé avec lui, il était responsable de l’atelier mécanique. Elle préparait une thèse sur le rapport au travail dans l’univers automobile, mais je crois qu’elle ne l’a pas soutenue.

    Elle avait entendu parler de mon parcours par un de ses amis de lycée, qui m’avait connu en 1968, quand j’étais établi aux Usines. J’avais fait de la prison, y avait eu un mort à l’époque.

    J’ai une très importante iconographie sur Sochaux, des centaines de photos, ma documentation. Je l’avais invitée à venir chez moi, quand j’habitais encore rue des Pyrénées, pour les regarder.

     

    Elle a passé peut-être deux heures à les scruter une à une, je ne sais pas ce qui l’intéressait réellement dans ces photos, ce ne sont pas des photos d’amis, juste des points de vue, sur les usines, la rue du Crépon, la rue Sous-la-Chaux, la rue de Belfort, bien sûr, des vues de la ville sous tous ses angles, mais sans personne dans les photos, une sorte de repérage formel, c’est ça qui la fascinait, personne dans les photos.

     

    Puis elle est partie très vite, je n’ai pas compris pourquoi, je crois qu’elle avait un rendez-vous urgent.

     

     

    De quelques éclaireurs, mes Indiens à pister, ces signes avant-coureurs |

     

    En ressortant de l’ascenseur, en bas, avais marché automatique, savais pas où aller, descendu, la rue vers le bas, elle est longue, un hurlement jaillit, c’est moi, suis dans la neige à Prémanon, hurle, suis rue de la Fontaine au Roi, hurle, à la Testardière près de Tours, hurle, hurle, pas ma guitare, hurle, hurle, hurle, ma tête sur le sol au milieu des arbres, cogne, cogne, dans la neige, seule, le soir, trente kilomètres à pied, moins 12°, un hurle de trois minutes, ma tête contre le mur de la maison qui mal, hurle, enfin, dans la rue, à trois heures du mat’, hurle, l’autre qui cogne sa tête sur l’armoire métallique, moi, hurle, pire que se cacher, hurle, ça fend à l’intérieur, hurle, le rempart broyé, hurle, gicle en éclats, hurle, colère, hurle, où sont les êtres, où est moi, où est nous ? Et puis dans la voiture, hurle. Blanche. Elle.

     

     

    On n’est pas au Syndicat d’initiative, dans la plaine : vert |

     

    Je les ai vus passés dans leur 404 bordeaux, juste après la Trouée, je les ai vus arriver tout chantant, tout jouant. Je fais ça aux gens, je suis riante et verte, toute plate dans la vallée après la montée, ça repose, et puis faut m’escalader jusqu’au-dessus des montagnes, les Ballons, si on veut mieux me voir, je suis une vallée et ses promontoires, tout en une.

     

    Il y avait le petit frère, la cousine, sur la banquette arrière, elle au milieu, sur la barre qui rentre dans les fesses. Au bout de quelques minutes, elle a cherché l’air qui lui manquait, en raison de ma chaleur, micro-climat près de Colmar, mes Vosges stoppent la pluie, empêchent le vent, retiennent le froid, et quand on redescend, ma température a monté de plusieurs degrés, une Côte d’azur ici. Alors, elle a demandé à sortir de la voiture. Je crois par ailleurs qu’elle souffre du mal d’auto.

     

    Mes villages alsaciens, on les remarque sur la route jusqu’à Rouffach.

    Là, ils ont ri, parce que Rouffach, c’est la ville des fous. On ne le met pas dans nos dépliants touristiques, ça ferait mauvais genre, des fous, ici, non mais. Ou alors, c’est de vin fou qu’on parle, plus on en boit, plus on va droit. Parce qu’il y a mes vignobles, sept cépages, Sylvaner, Pinot Blanc, Riesling, Muscat, Pinon Gris, Gewurztraminer et Pinot noir. Vous les voyez sur l’étiquette, juste à côté de l’appellation. Son favori est le Gewurz, mon vin au superlatif, aux arômes de fleurs, de fruits et d’épices (Gewurz), ah mon moelleux.

    Au lieu d’admirer mes vignobles entre terre et ce vert, légèrement ambré, qui donne le sourire, qui terne et qui respire en même temps, mon vert tendre ou éteint, du trop de soleil, du gorgé de sucre dans le vin, ils ont remarqué l’hôpital psychiatrique, à flanc de coteaux. Son père dit qu’ils vont la laisser là, ou Philou, son frère. Il fait des blagues, des phrases toutes faites sur les fous. Bien fol est qui s’y fie. La petite s’y met à son tour, fou-rire, fou furieux, fou à lier. Le petit Phil tente aussi, mais se trompe, fous-le-camp, vas te faire foutre. La mère rouspète. On ne parle pas comme ça.

     

    Non, ça n’est pas possible, parler de moi ainsi. Mais heureusement, ma route à cet endroit-là se rectifie, mettons-les au pas.

     

    Ils se taisent dans la voiture, ils ont vu le panneau. On est dans les faubourgs de Colmar.

    Il n’est plus nécessaire de vanter mes charmes à Colmar : mes colombages, mes canaux, mon centre-ville fleuri, c’est encore moi, la capitale des vins, ma Petite Venise, mes quartiers pittoresques, mon Retable d’Issenheim.

    Le père ne parle plus, il se met à fumer une de ses gauloises bleues, ça pue dans la voiture, la petite demande à ce qu’on s’arrête, elle a envie de vomir, la mère s’énerve, oh, cette gamine. Le père se gare sur le bas-côté. Elle sort après son frère, descend dans un de mes fossés, se penche en avant, crachote un peu de salive, rien ne sort, fausse alerte, elle ne m’a pas souillée, elle remonte. Cette fois, on l’installe près de la fenêtre : elle l’ouvre et met sa tête. Le père crie, elle rentre la tête.

    Ils arrivent derrière la gare, passent le pont, un viaduc, au-dessus des voies, un gros édifice terne, vert pastel, n’importe quoi, j’ai compris, ils vont à l’hôpital. De celui-ci non plus, on ne parle dans nos brochures publicitaires. Inutile, ceux qui en ont besoin le savent, les autres n’iront pas derrière la gare, ils vont au centre-ville, petit pont, rues pavées, la rivière qui circule, la cathédrale, et l’hiver mon marché de Noël, c’est tout ce qui les intéresse, les touristes, dans ma ville.

    Ils se sont garés dans le parking. Eux vont découvrir mon édifice des années trente, en béton, plaques de cailloux blonds collées, le père se permet un commentaire, les bétonneurs des années trente qu’ont inventé ça. Original, mon hôpital, l’entrée, un quadrilatère tout en longueur, une cour immense, dessinant un grand U, deux ruelles, deux longs bras ouverts qui se rejoignent au bout. A l’intérieur, des arbres, sur les côtés des blocs de béton de deux à quatre étages, et longeant le pourtour, comme dans un monastère, une allée piétonne bordée de colonnes, qui distribue les portes de chaque pavillon.

    Le père marche à grands pas vers le pavillon du fond. La mère le suit. Les petits derrière. Philou trébuche. Le père ouvre la porte métallique et la tient en faisant une arche au-dessus de leurs têtes ; ils passent et montent les escaliers.

     

    Des effets de l’éther sur les transports d’âme, en attendant le blanc |

     

    J’peux plus, il m’a poussé, me cacher derrière lui. Tombe cette odeur, cette vapeur qui monte à ma tête, qui me donne un haut-le-cœur. Mon cerveau s’échauffe, je sens mes joues rouges et chaudes. Je respire cette odeur, j’espère encore, je me demande si c’est du chloroforme ou de l’alcool, j’en connais pas d’autre mot pour dire le mot de l’odeur, je pense faux encore, je tente d’expliquer, cette odeur c’est ça qui me fait ce que ça me fait à l’intérieur, et puis je renonce, tout c’que j’trouve à penser, c’est un « c’est ma faute », tourne de l’œil, imminence, faire face à mon crime, l’ampleur de mon forfait, peux plus r’culer.

    Je m’appuie de la main sur le mur du couloir. Scintillement dans les yeux, court-circuit électrique. M’arrête quelques secondes.

    Mais je dois les rattraper sinon je vais me perdre, je me remets en route, jusqu’à ce que je bute sur mon petit frère, ça y est, c’est là. Je suis arrivée devant la porte.

     

     

     



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