• I know John Lennon

    Abäke, Yaïr Barelli et Baba

    Ferme du Buisson

    2011

    crédit photo anthropia # blog

     

     

    C’est quelque part dans La recherche du temps perdu de Marcel Proust, dans Du côté de chez Swann, peut-être dans Combray, j’ai cherché et n’ai pas retrouvé la référence (malgré la version numérique sur mon appli Kindle dans l’Ipad), en tout cas dans Proust donc, que j’ai lu en continu pendant plusieurs mois, que j’avais relevé cette petite phrase, où celui-ci écrivait qu’il faudrait faire une autobiographie par les objets qu’on a croisés ; François Bon semble relever le défi. S’y coller à sa propre mémoire des objets, un exercice de style entre le Mythologies de Barthes et au choix Les Choses ou quelque mystérieuse liste dont Pérec avait le secret ? Façon Oulipo (Ouvroir de Littérature Potentielle), l’objet et son mode d’emploi, son ancrage aussi dans la chronologie d’une vie ?

    Ça commencerait par nylon, la corde « moderne » des années soixante. Ou plus précisément par une danse, l’incipit, la danse des objets justement, quelque chose qui parle de nos encombrements contemporains, cette submersion qu’on sait plus ou moins traverser. Et pourtant, ce qui trouble dans la lecture, les objets ne sont pas là pour eux-mêmes, ni le narrateur planté dans son « je me souviens » ; les tenseurs du récit sont d’abord les impressions, et même les sensations, ils sont objets pour ça justement, pris dans nos pratiques, dans nos souvenirs, dans nos « premières fois », référence à la technique, ce serait ça un roman de la technique, la vie minuscule d’un esprit affecté à tous les sens du terme par les œuvres d’art du quotidien ou qui les imprime de ses projections. Mais aussi et surtout le récit de leur perte, quand on les quitte, qu’on nous les prend, qu’on n’a pas le temps de les saisir, l’objet volatile.

    On se doute que certains germanopratins dédaigneront la chose, ne voyant pas l’auteur dans cette possession, n’entravant que pouic aux objets de l’utilité, préférant le design tape-à-l’œil, mais ils devraient y relire à nouveau car ça parle dans le récit, les « j’avais osé entrer pour l’acheter », « mon frère et moi avions eu le droit d’une demande », et c’est dit en toutes lettres « ce ne sont pas que les souvenirs matériels qu’on ait à pourchasser », ce sont ces « implacables mais fragiles figures de l’obscurité intérieure », qui « se tiennent à une vague distance ». « Qu’on tente de s’en saisir, déjà elles s’éloignent ». Ce sera un roman de la subtilité.

    C’est toute une société au garde-à-vous des Trente Glorieuses qu’on traverse ainsi, le stéthoscope du médecin trop pressé, et en passant un constat que l’ablation des amygdales n’est plus systématique, les monceaux de verre inutile que par superstition on conservait à la cave ou au grenier (j’ai souvenir d’un débarrassage de la maison de ma grand-mère où nous retirâmes des centaines de verrines toutes enterrées dans le sol, mais qu’est-ce qu’elles faisaient là), et puis ces ventouses, autres temps, autres mœurs, ou encore ces objets magiques, la petite roue de lumière et le kaléidoscope, comme le signe secret préfigurant une envie de changement, un mai 1968 qui se rêverait d’abord là, comme dit mon fils, « de ton temps, la vie était en noir et blanc » et bien non, il  y avait ces petites surprises de couleur, qui laissaient espérer autre chose. L’objet jamais fixé, ligne de fuite.

    On fait son marché dans Autobiographie des objets, nos p’tites madeleines, et pourtant on sent déjà à travers les choses de l’enfance et de l’adolescence de l’auteur les lignes de force d’une vie : le bégaiement de la littérature, le voyage, Jules Verne, Fournier, Balzac, la lecture d’un Dostoïevski sur le siège d’une deux-chevaux, le goût pour les bibliothèques, cette « armoire aux vitres » du grand-père, le goût de la technique annonçant l’art informatique, il en faut pour monter ces milliers de lignes de code. Mais cet hommage rendu aux Sélection du Reader Digest, déjà fragmentaire, composé de compositions, le livre déjà comme « ensemble hétérogène et complexe » comme précurseur des aventures du site de François Bon, le Tiers-Livre, -du livre électronique sur Publie-Net-, et plus récemment de l’édition en ligne, les sites et blogs ou encore Nerval.fr figurant un livre infini, fallait oser.

    Mes favoris, le litre à moules, je n’ai pas connu, mais j’ai associé à ces bidons de lait de ma grand-mère devenus tout aussi désuets, la perte d’une civilisation, l’univers du garage aussi, fabuleux terrain de jeu et de déménagement, les machines à écrire -liste qui fait métaphore de La-, ça m’a rappelé le temps passé à attendre la mienne, le pied à coulisse (magnifique), la toise, j’ai noté ce passage « Hier soir, quand le souvenir est revenu des marques bicolores, avec les dates en minuscule, dans le placard de la cuisine, et les onze ans dans cette première maison, c’est ce processus des signes et de l’enfance qui a émergé brutalement. Non pas l’enfance en elle-même, ni le crayon de charpentier qui y était obligatoirement associé, mais dont témoignait l’ensemble des marques, et leur progression vers le haut –il y a bien longtemps qu’on a cessé de grandir ». J’ai aimé aussi la lecture de Joseph Kessel, on est tombé sur le même Nuits de princes, lu en cachette pareil, identification ne saurait nuire. Et puis l’aérogare d’Orly-Sud, les images de La Jetée de Chris Marker passent dans ma tête, l’autoroute, la DS 19 –tiens, clin d’œil à La nouvelle Citroën de Barthes-.

    Dans mes favoris aussi, ce qu’il dit des femmes dont la plupart des objets étaient ceux qu’elles confectionnaient pour la communauté, la confiture de melon d’eau si peu perdurable, déjà consommable, seules leur restaient les boîtes, boîtes à ouvrage, boîtes à bijoux, ce dont un petit garçon ignore tout, mur épais ou trace en devenir.

    Il s’incline, François Bon, un peu mélancolique sans doute, se remémorer les sensations d’une vie, l’objet support-surface de ses projections, tous ces ready-made qui composent le récit, ça fait voir le chemin passé, ça donne envie d’effacer les photos, photos de classe, qui montrent le vieillissement, pas de nostalgie pourtant ou si peu.

    Si dans L’enterrement, il quittait un monde (« à la fin tu es las de ce monde ancien »), dans Autobiographie des objets, l’auteur le dit « le monde des objets s’est clos. Le livre qui va vers eux ne cherche pas à les faire revivre. Il est la marche vers ce qui en leur temps, permettait de les traverser. C’est la question de cette traversée qui est à nous aujourd’hui posée.»

    Vous pouvez désormais le trouver en livre de poche, sorti ce 5 septembre 2013

     

     




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  • Janoz Mihaly Hublermarta racz

    Janoz Szentirmai Janos Vagi

    Growing structures

    Métamorphoses of the material

    2009

    Salon de Montrouge

    Grand Prix de la Jeune Création Européenne

     

     

    Le blog, et ses textes au jour le jour, permet parfois à quelqu'un qu'on ne se souvient plus avoir croisé de faire signe dans un mail et de venir dire comme je l'avais fait il y a quelques mois comment un homme disparu dans les années quatre-vingt continue de faire trace dans nos vies. Je n'aurais rien à retirer à ses mots sur Jean, il dit exactement ce que nous vivions dans cet appartement boulevard de la Bastille. C'est à peu de chose près aussi ce que tous ces amis de Jean m'ont transmis de lui quand nous avons sorti cet opuscule en 1990, où nous évoquions nos souvenirs de lui. J'ai demandé à Denis Ettighoffer de m'autoriser à publier son texte, extrait de son livre Netbrain, les batailles des nations savantes, ce qu'il a fait avec gentillesse, vous pouvez lire le texte en pdf (lien associé plus bas).

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    Extrait de "Netbrain, les batailles des nations savantes" Denis Ettighoffer 2008 (ici) pour lire le livre en pdf

     

     

    "Agnès De La Cane, mariée Dame Agnès d’Estreville, avait son appartement rue des Saints-Pères. Elle y reçut durant des années ses amis et francs maçons qu’elle avait rejoint. C’est pratiquement à deux pas que le salon du Docteur Jacques Samain recevait dans les années soixante. J’y étais venu par l’intermédiaire d’un autre de ces illustres inconnus qui nous quittent sans que jamais on sache le rôle qu’ils ont joué dans la fertilisation des idées. Jean Detton, secrétaire de la société de cybernétique française, formidable médiateur lui aussi des idées et des savoirs[1]. Jean, disparu trop tôt dans un accident, ouvrait salon en permanence dans des conditions folkloriques que pas un de ceux qui l’ont fréquenté ne peuvent oublier. Jeune chef d’entreprise, il m’avait initié et aidé à entrer dans Vinci 2000, une association informelle où foisonnaient les idées les plus extravagantes qu’ils soient. Jugez plutôt. Le moteur linéaire, les nouveaux « tensiosactifs » qui feront la renommée d’un certain Pierre-Gilles de Gennes[2], les tours énergétiques du regretté Lazare qui ne reviendra pas pour voir le lancement de son premier prototype basé sur le principe de venturi et de différentiel de température dans une tour de 300 m de haut. Un dispositif ingénieux pour disposer d’énergie renouvelable tout en participant à la création de climats locaux artificiels. L’irascible Jean Camion, architecte et grand prêtre de l’analyse linguistique quantitative qui, à l’exemple de Jean Jacques Rousseau, inventera une écriture prosodique du langage, la « phonergie » d’une grande simplicité mais impossible à mettre en œuvre compte tenu des bouleversements que cela engendraient. Gournel, Contival, Boileau et Vestnich aussi, qui nous assommait chaque mois d’une nouvelle invention, et tant d’autres qui trouvaient dans nos réunions l’espace de liberté qu’il leur manquait dans leurs entreprises respectives. C’était le grande époque du « Matin des Magiciens » . L’ouvrage de Louis Pauwells nous invitait à considérer que l’esprit pouvait dominer la matière et notre petite condition. C’était l’époque où l’on pouvait croire que nous pourrions tout savoir grâce à la science et à l’ingéniosité. Prétentieux ou inconscient (les deux sans doute), je n’avais pas compris que l’ignorance aussi pouvait engendrer sa propre énergie. Elle devient créatrice de futur au grè de nos aspirations et de nos priorités. L’invention de futurs hypothétiques était notre nourriture ordinaire. Heureusement, car l’argent manquait. On croyait tous à l’idée géniale qui nous rendrait riches. André Dejoux quittera la Thomson début des années soixante dix avec l’idée folle qu’il allait faire fortune grâce aux brevets que nous allions déposer. Dix fois il nous dira être sur le point d’accéder au graal des inventeurs. Dix fois et bien plus il du déchanter. Mais qu’elle ambiance ! J’ai encore à l’esprit une réunion de créativité avec des « mensas[3] » que m’organisera l’un de nos compères de Vinci dans son minuscule salon du 19ème. Aujourd’hui encore je trouve sur le marché des jeux et des jouets, des idées que nous avions imaginé à l’époque, aidées en cela par quelques bonnes bouteilles. La salon de Jean Detton était le carrefour des originalités assumées sans provocation. Des gens du cirque y côtoyaient des mathématiciens, des artistes comme Calder, des physiciens dont un soutenait mordicus sa thèse selon laquelle jamais la digitalisation des images n’atteindrait la qualité du grain des photos sur papier. Sociologues, chefs d’entreprises, chercheurs, artistes se retrouvaient dans son petit appartement de la Bastille. Jean était l’homme de tous les rendez vous. Nous soutenions autant que possible sa vie de migrant bohème des idées. Jean tenait pour nous tous un arpent de terre où nous nous écoutions et où il ne cessait de créer des liens improbables entre de multiples disciplines. Aujourd’hui, sa femme a repris son flambeau à sa façon en inspirant des émissions scientifiques très éclectiques sur France Culture. Mais le lieu de rencontres a disparu avec son instigateur. Et la fertilité des idées qui se métissaient, grâce et avec lui."

     Denis Ettighoffer (Extraits de Netbrain, les batailles des nations savantes)

     


    [2] Prix Nobel de Physique en 1991

    [3] Mensa est une association (fondée en Angleterre en 1946) qui regroupe environ 110 000 membres, en majorité dans les pays anglo-saxons, et dont les résultats à au moins un test dit d'intelligence et homologué se situent dans les 2% supérieurs. Cela ne signifie pas exactement un Q.I. égal ou supérieur à 132, comme il est souvent dit à tort. Une des caractéristiques commune à la plupart des membres, c'est une très grande curiosité d'esprit. Pour en savoir plus, /www.mensa.fr


     


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    L'avantage de la tablette est qu'elle permet de partir en vacances avec sa bibliothèque, on se coltine ainsi dans quelques grammes l'intégrale des classiques, Chateaubriand, Proust (que j'ai à présent aussi sous ce format numérique même si je suis tout de même partie avec l'objet-livre, le Quarto, dans lequel j'ai lu Proust l'automne dernier et jusqu'à ces derniers jours  par une sorte de fétichisme, mes émois de lecture sont liés à ce livre-là), et comme c'était pour rien sur Amazon, j'ai donc pris Balzac dans ma valise.

    Mes souvenirs à propos de Balzac remontent évidemment à l'enfance, faisant partie de ces livres que j'accumulais sous le lit rentrant de la bibliothèque, je les cachais et les lisais la nuit, je bravais pour ça le loup qui se tapissait dans la pénombre de la moquette pour rejoindre l'interrupteur, pas de lampe de chevet interdiction du lire au lit, c'est seulement après m'être fait piquer plusieurs fois par mes parents que je suis entrée en résistance active et organisée, j'ai économisé pour acheter une lampe de poche et je lisais en douce dans le drap coincé avec ma tête pour en faire une tente de lecture, vigilante toutefois, il s'agissait de ne pas me faire prendre dans mon abri lumineux. Pour ça les marches de l'escalier étaient bien pratiques, la marche 3 et la marche 8 -ma préférée- grinçaient faisant signal d'alarme.

    C'était une époque où n'existaient pas ou peu de livres pour enfants, chez moi en tout cas et dans ma vie quelques Rouge et Or, la Bibliothèque verte, pas souvenir de la Bibliothèque rose, mais en haute enfance ne me souviens pas qu'on me les ait achetés, viendront plus tard curieusement, les seuls que j'avais à l'âge de l'apprentissage de la lecture provenaient du grenier où je ne savais pour quelle raison, à l'époque, les Sand, Jules Verne de chez Hetzel avaient été relégués, les autres m'arrivant de Californie (c'est ainsi qu'entre six et douze ans, le livre pour enfant a toujours représenté cette épreuve de voir les images et de trébucher sur les mots anglais, livres épais de contes ou comics, c'était pareil, ils m'échappaient).  Je ne sais plus à partir de quel âge mon grand-père institua le rituel de m'en offrir aux anniversaires et à Noël, mais c'était plutôt vers l'âge de neuf ans (cause autobiographique).

    Et là bien sûr vers l'âge de dix ans, l'âge de la sixième pour moi, où je pouvais marcher seule dans les rues de ma petite ville, me sont tombés dessus les séries bien dressées sur les étagères de la bibliothèque Peugeot, les Balzac, mais au même titre que des Zévaco, des Zola, des Delly, tout y passait, et bien sûr Maupassant et Cesbron, Pearl Buck, Cronin, que sais-je encore, ne sais même plus dans quel ordre je les ai lus ni à quel âge, aucun n'était censuré en tous cas. Je les lisais sans hiérarchie avec compulsion, sauf Maupassant, Une vie, qui vers treize ou quatorze ans fut un électrochoc et Rimbaud à peu près à la même époque, je recopiais chaque poème dans mon carnet comme si je les avais écrits.  Alors Balzac, revisité dans les années lycée avec Flaubert et quelques autres, représentait un flux d'histoires, dont certains passages m'arrêtaient parce que quelque chose de parfait dans leur forme, mais ne m'interpellaient pas plus que ça, et peut-être moins encore du fait qu'on se devait de les commenter, d'en faire une écriture sur.  Ces Père Goriot, Colonel Chabert, Cousine Bette, Cousin Pons avaient un côté naphtaline sans la finesse psychologique que je recherchais dans un roman, je lisais pour comprendre les psychés des adultes et l'aspect sociologique s'il m'intéressait n'avait pas le niveau de description attendu.  C'est pourquoi au fond je suis passée à côté de Balzac.

    En ayant relu quelques-uns de ces récits de La Comédie Humaine ces derniers jours m'est apparu qu'au fond je ne l'aimais pas pour cause de féminisme. Cet homme-là n'aime pas les femmes, soit il en fait des saintes et des oies blanches ou il en fait des perverses et/ou des criminelles ; mais par-dessus tout ce que je lui reproche c'est de ne pas nous restituer la face cachée, l'autre monde, celui des femmes.  Monde hémiplégique, on le sent tout du long  que ce qui passionne Balzac, les intrigues, les manipulations, les conspirations, un monde du paraître comme ressorts du récit,  avec rebondissements à la clef, faut feuilletonner, alors oui bien sûr, la fresque sociale est là, les morceaux de bravoure sont magnifiques, mais qui pour réchapper de ce Jugement dernier permanent, où chacun passe au tribunal pour son incompétence ou pour son vice, ce monde de situations, ça semble paradoxal que je dise ça en même temps parce que mon métier a consisté à gérer des situations, mais justement ceci explique peut-être cela, je voulais déjà "nager au-dessus des racines" comme dit si bien Duchamp, trop habituée et ce depuis l'enfance à ces mécanismes. La configuration inextricable des intrigues m'étant donnée, il m'appartenait de faire la lumière sur les motivations des êtres et non celles de leur faire.  D'où l'intérêt pour la psychanalyse plus tard.

    J'aurais aimé trouver des portraits de belles femmes qui ne soient pas gourdes, j'aurais aimé chez lui une tendresse qui ne soit pas inféodée aux nécessités du plot, trouver le marginal sécant qui vient bouleverser le jeu des convenances et des alliances et qui,  au nom d'un intérêt supérieur, le bien public, la beauté du geste, la gratuité, l'amour, vienne submerger les vieilles habitudes. Et cela Balzac ne le fait guère, quand ça submerge, c'est toujours au nom d'un autre intérêt, de réseaux anciens réveillés, d'esprits retors à la manœuvre, dans la ficelle d'un nœud coulant du récit, l'engagement des hommes et des femmes se fondant souvent dans la part veule, servile, imbécile ou revancharde de ses personnages. Le monde n'est pas une mécanique, je le pensais à l'époque, et je le pense toujours. 

    Curieux que je dise cela repensant à Proust qui traite aussi de ce monde-là, mais ce qui sauve Proust, c'est peut-être sa maladie, mais sans aucun doute aussi son goût des paysages, l'imaginaire, le lien à maman de l'enfance, celle qu'il a su apprivoiser. Cette prise en lui de l'enfance, Balzac en semble loin. Et finalement, la mère de Proust a raison, elle qui ne l'aimait pas Balzac, ce que Proust lui reproche, comme le commente François Bon dans sa conférence sur Proust à  Ecrivains en bord de mer, en en faisant même l'ancre d'où part La Recherche. Ne sais pas pour quelles raisons elle ne l'aimait pas, parce que n'ai pas lu le Contre Sainte-Beuve dans cette perspective-là. A relire donc. Serait intéressant de savoir -commentaires ouverts- qui des hommes et des femmes autour aime Balzac.

    Mon problème avec Balzac remontait loin et je ne m'en suis aperçue qu'hier en réagissant aux stupides dialogues faisant parler un Allemand avec l'accent teuton, dans Le cousin Pons et aussi aux relents antisémites du roman, -je sais, pas d'anachronisme, mais pourquoi ne trouve-t-on pas ça chez d'autres de la même époque-, m'est venue une sorte de colère profonde, moi qui aime l'allemande langue à cœur et la culture juive, même si je n'apprécie pas la politique de ce gouvernement d'Israël, puis en réaction au billet d'Anne Jouy sur son très beau site Mots sous l'aube, "Question Littérature", traitant de la difficile reconnaissance des femmes écrivains , là je ne sais comment j'ai fait le lien mais c'est sorti, peut-être à cause de cette difficulté à  faire entendre le point de vue des femmes sur le monde et ce machisme à ne pas reconnaître qu'une femme -écrivaine ou pas- puisse être traitée à l'égal d'un homme, non parce qu'elle en serait un, mais parce qu'elle n'a pas peur d'en exercer les mêmes libertés.

    Alors je me le dis, là, sur ce blog, je n'aime pas bien Balzac.

     

     



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    "Je n’avais pas encore compris que la musique est pour elles comme un moyen d’accéder comme un avant-goût un ersatz de quelque chose à quoi elles. Petite fiancée du Seigneur. Chantait la partie solo invisible derrière le maître-autel. Je pouvais reconnaître sa voix. Je pouvais même la reconnaître au milieu des autres s’élevant comme une ligne transparente claire parmi le foisonnement les bataillons serrés de ces signes bizarres noirs en forme de harpons de lances dressées de herses montant descendant s’échelonnant s’enchevêtrant indéchiffrables pour moi comme si elle avait accès à des mystères que je".

     

    Magnifique évocation de la voix-chorale par le narrateur, de ce qui fonde le goût de, ce qu’enfant on ressent dans la pureté de cette « ligne claire » de montée des voix, le narrateur ne sait pas à quoi l’accès, comme un mur auquel on se heurte, même pas un mur, un point, le point de fin de phrase, comme barrière psychique,  ce qui se joue justement dans ce livre, Histoire, de Claude Simon.

    Et les points n’ont pas toujours cette valeur, ils ne sont la plupart du temps que cet espace donné au lecteur de compléter la phrase, la pensée, l’élan ou à l’auteur de nous laisser en plan, comme un aparté qu’il se ferait ou un continuum qui s’enfoncerait dans la terre pour faire résurgence un peu plus loin.

    Ce qui se glisse dans ce point-là, dans ce paragraphe, qui s’achève sur « de quelque chose à quoi elles. », est la frontière, l’impensé, voire l’incompréhension du narrateur de toute idée de transcendance, qu’il réduit à un « moyen », un » avant-goût », un « ersatz », entretenant l’amalgame avec la musique, certes ce que n’est pas la musique, nul ne prétend qu’elle l’incarne, mais il s’agit ici d’autre chose, de l’ aspiration de cette « fiancée du Seigneur », qui vise à l’éternité, la verticalité d’une relation à Dieu. C’est l’idée d’absolu, cette sublimation recherchée dans la prime jeunesse, qui semble échapper. La voix, partie de derrière le maître-autel, achève le mystère. Née de nulle part identifiable, comment saurait-elle aller vers un lieu au-delà.

    La voix vue comme « ligne claire », le dessin, mais du côté du perceptible quand-même, on croit pouvoir l’entendre, mais quand les « bataillons » arrivent, les chœurs, on ne sait plus si on n’a pas été uniquement dans la partition, c’est-à-dire dans une compréhension mentale, intellectualisée de la musique, comme si elle ne se donnait à lui que via sa médiation, l’écriture, le dessin des notes, les « signes bizarres », croches, doubles croches, triples croches, perçus comme « des harpons des lances dressées », « descendant s’échelonnant s’enchevêtrant », les autres portées venant s’opposer à la partie soprano. Une sorte de carte versus le territoire, autre manière de réduire la matière.

    On en comprend l’idée de violence, parce que la partie solo aurait à résister, ne pas se faire embarquer dans les autres parties, ce que tout chanteur craint dans ses débuts, se méfier de ces notes où on s’approche singulièrement de l’autre, où on pourrait s’oublier, oublier sa propre ligne mélodique, partir, suivre l’autre dans sa vertigineuse pente, mais ce que tout chanteur un peu chevronné surmonte, sachant faire ce départ intérieur, suivre sa voix tout en écoutant le reste du chœur compléter, amplifier, souligner, caresser.

    Mais ici la lutte qui se joue est d’ordre métaphysique, la voix solo tente d’échapper, d’atteindre le divin, tandis que les autres clefs luttent à couteaux tirés pour la retenir, l’empêcher d’atteindre ce quelque chose d’ « indéchiffrable pour moi ».

    Ce paragraphe suivi d’une attaque horizontale contre le "slip" de Jésus, son sexe, le pagne qui le recouvre, la concupiscence attribuée aux filles, montre qu’il s’agit là de la bataille entre transcendance et immanence, qui laissent les jeunes hommes qui débattent mal à l’aise avec la diatribe d’un de leurs compagnons. Mais qui du fait qu’ils l’ont entendue blasphème en eux. Mise en mots, grammaire d’un symbolique qui échappe, magistrale leçon d’éducation sans le dire, ce qu’on perd dans la confusion sexuelle, celle des liens symboliques, la rupture des tabous, ce qui fait justement un des objets du livre.

    « Comme si elle avait accès à des mystères que je. »

     

     

     



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    Mercredi

    Voyage. J’aime rouler. Souvenir de Beauvoir dans son auto, la liberté dans sa 2CV.

    Un petit rituel, la route pour s’éprouver.

    A peine arrivée, le mobile sonne, mauvaise nouvelle à Paris, le fils d’une amie. Voilà. Mon cœur en vrille comme chaque fois que lui.

     

    Mercredi bis

    Si la vérité n’a plus de sens. Pourquoi conserver le mot ? Pour son pluriel.

     

    Jeudi

    Lu Lotus Seven de Christine Jeanney, un dispositif selon contrainte, écrire comment/quoi, elle, regardant la série The Prisoner, avec son père, en 1968, elle, six ans au début du roman, puis le temps passe « tous les âges à la fois, mais pas tous perceptibles en même temps ». Un feuilletage de temps du récit en quelque sorte « fractalisé »;

    Sept séquences de la vie de Bruce Chapman, le héros de la série Le Prisonnier, avec Lotus Seven, l’auto, « basse et fuselée », -mais quoi est vraiment quoi dans ce roman ?-, et la boule blanche, jusqu’à la partie d’échec et le dénouement. 

    On a tous vu cette série et sans doute aussi ces épisodes-là, et pourtant on les revisite dans la vigilance, sachant qu’il n’y aucune chance pour que l'auteure nous en révèle autre chose que ces minuscules instants ayant marqué son attention, soit sur l’écran, soit autour d’elle, l’image/le son du téléviseur agissant comme un marqueur. Tout ça dans un écrit utilisant « un mot par seconde, soit 60 mots par minute, soit 48 minutes par épisode ».

    Tressage, la vraie vie se glisse par mégarde dans les plis du feuilleton, et le fil narratif nous emmène peu à peu vers un événement un peu plus important que les autres,  légèrement dit. J’aime la manière dont Christine Jeanney sait introduire l’autofiction, sans faire d’autofiction, des Je mais si peu au je, plutôt des moi, des on? dans ce récit.

    Pour être sûr de ne rien perdre de l’os à moelle, on s’accroche à chaque mot de cette histoire recomposée de N°6, de son vrai nom Patrice Mc Goohan (co-créateur de la série et qui a donné le programme retenu par l’auteure, les titres des épisodes essentiels selon lui), sur fond de vie près de Lusine, l’entreprise de « chariots transbordeurs et monte-charges, compresseurs, machines de raval, tout ce vocabulaire du noir », près des mines. Jusqu’au jeu des correspondances entre les deux narratifs, « ça n’était pas prévu vraiment toutes ces correspondances ».

    Pour entendre la voix de C. Jeanney : « De l'extérieur on pourrait croire que c'est se retourner sur soi mais c'est autre chose, une part aiguisée, électrique qui vrille l'espace, impose son temps gelé, se moque bien de cohérence, se montre tel qu'il est, simultané, toujours ». «Mais chez moi, on ne me raconte pas les histoires, pour ça je me débrouille. ». Ce que fait Christine Jeanney, « le verse dans autre chose, .. ce que l’on porte doit venir se poser et prendre la parole, se lève pendant que nous parlons ». Cette sensation que nous échappe cet autre chose, qu'il faudrait se replonger dans le vertige de l'île juste pour reprendre le cheminement des mots. Pas sûre qu'elle se laissera faire.

     

    Jeudi bis

    Pense au Secret du Lotus bleu. Pense que c’est d’Hergé, dans la série des Tintin. Jamais lu.

    Ne suis même pas sûre que c'est le titre.

    Et me comprendre là, dans ce café où j’entre par hasard, moi qui fuyais la chaleur de la foule.  

     

    Vendredi

    Du Vermont, mon souvenir n’est que de passage, dans un Greyhound bus, nous montons au Canada, on dit comme ça, monter, quand nos corps au fond de l’autobus, -je voyais le chauffeur là-haut au-dessus de ma tête dans le miroir concave ou convexe, je ne sais jamais-, on avait envahi la banquette arrière, les heures, nos corps allongés, écrasés de fatigue, nos corps repliés sur les guitares, nos corps penchés sur les paroles des chansons qu’on écrivait, voyager en chanson, c’était notre but, on écrivait le voyage comme ça, et aujourd’hui, il est ragaillardi du nom des villes qui s’égrènent toujours dans la tête, New York à Montreal, ça fait musical, cette affaire, si on les chante bouts à bouts, des bribes d’anecdotes, et avec l’émotion de la musique revient l’émoi des souvenirs sauvés, on reconstitue le voyage, le tour initiatique US, et un peu plus haut, de McGill College à Magog dans la grande propriété des Penfield au bord du lac.

     

    Vendredi bis

    Il faudrait faire mon coming out, enfin celui du grand-père, il chantait des yodels, en Suisse, voilà, c’est dit, il était chanteur. Notre rire sous cape, mes frères et moi, quand nous l’entendions chanter. Ravalé.

     

     

     



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