• Ronald Blade

    Cathedral evening

    Palais de Tokyo, 2007

    Crédit Photo Anthropia

     

     

    Petite ville de banlieue, un grand amour. T. aime V. et V. est malade.

     

    Au départ, c’était des migraines, ils avaient même appris qu’elle souffrait de migraines ophtalmiques. Puis le diagnostic tombe d’une bouche compatissante, le médecin hospitalier a pris le temps d’expliquer, l’irrémédiable, la maladie qui prendra toujours davantage de place dans la vie de V. Ses muscles vont flageller, elle va fondre du dedans. Elle marchera, puis moins, puis péniblement ; elle devra s’accrocher aux barres d’appui dans le couloir. Puis ce sera le renoncement, le fauteuil, l’agonie musculaire.

     

    Le paysage est conforme à la réalité. T.  assiste chaque jour à la régression : son épouse, la femme qu’il aime depuis vingt ans jour après jour jamais lassé émerveillé dès la première seconde et à jamais, son épouse devient ce squelette tremblant, cette chair malade, cette tête souffrante. Et il ne se résout pas à la voir peu à peu se priver de sorties, parce que marcher dans la rue, son plaisir de toujours, devient si pénible.

     

    Alors T. part chez le quincailler et achète trois cent poignées, six cents écrous et tout autant de vis. Et il pose le long de la rambarde des escaliers, à la grille du portail, puis à droite, dans la rue, tous les mètres vingt d’une marche de myopathe, les poignées d’appui, auxquelles se raccrocher. Puis à gauche, tout autant de signaux, ici je t’aime, là je pense à toi, encore un effort, je veux pour toi le meilleur. Il refait l’itinéraire, le chemin de croix, qui tous les mètres vingt exige un appui, la longueur d’un bras qui se tend, supplication de la marche, marche du suppliant. Il offre au voisinage une rue poignière, un cheminement poignant, qui témoigne et agit, pas d’amour, juste une preuve.

     

    V. aura le choix pour quelques mois encore, pourra librement le fuir quand elle aura marre de l’entendre, s’échapper du domicile pour aller respirer. Extension du domaine de l’indépendance, hors de lui, pour elle, les stations pour se penser vivante, encore libre.

     

     

     

     

     


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  • Crédit photo Anthropia

     

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    Appelons-le Grégoire, il a cette coupe au bol des chevaliers des temps anciens, une tête à <?xml:namespace prefix = st1 ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:smarttags" /><st1:PersonName w:st="on" ProductID="la Georges Chelon."><st1:PersonName w:st="on" ProductID="la Georges">la Georges</st1:PersonName> Chelon.</st1:PersonName>

     

    La scène se passe au supermarché du coin, quelque chose dans son agitation me fait penser qu'il est pressé. Lui, le panier au bras, dedans trois bières brunes, et un citron. Tout un programme. Je fais la queue à la caisse, devant lui, mais décide de le laisser passer, il n'est pas très chargé, ça ira vite. Il a l'air étonné, me remercie de plusieurs saluts de la tête. Puis il engage la conversation, oui, oui, j'ai acheté de la bière, mon médecin me le dit que je devrais pas, tiens d'ailleurs, il fouille dans sa poche et extirpe une ordonnance toute froissée, regardez, regardez, c'est en haut qu'il faut regarder, Et je lis « Centre d'alcoologie, Consultation ». Que cherche-t-il à me dire ? Qu'il a honte d'acheter des bières, parce qu'il est alcoolique ? Je lui réponds en souriant : tout le monde a ses dépendances, chacun pilote son petit avion comme il peut. Son petit avion, l'image l'amuse. Il rit. Vous savez, le médecin, il me dit d'aller à la piscine. Oui, c'est bon pour moi la piscine. Enfin pour les alcooliques, il faut me bouger, que je sorte de mon appart. Vous ne voulez pas venir avec moi à la piscine. Je fais non, de la tête.

     

    Ca y est, c'est payé, il est parti. Tout à coup je découvre un billet de 5 euros tombé par terre, Je me précipite dehors pour le lui rendre.

    Mais il a déjà disparu. 5 euros, c'est le prix d'un ticket de piscine. Je le donne à la caissière au cas où il reviendrait. Et puis s'il ne revient pas, une caissière sait quoi faire d'un billet de 5 euros.

    <o:p> </o:p>

     


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  • Le dos de l'architecte

    Cliché Anthropia

     

     

     

    Le mot Ivry, la ville où je vis,

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    provient paraît-il du mot « ivraie »,

     

    la mauvaise herbe,

    <o:p> </o:p>

    Et ce que cela évoque évidemment,

    <o:p> </o:p>

    est le tri entre le bon grain et l'ivraie,

    <o:p> </o:p>

    les bons étant dans Paris,

    <o:p> </o:p>

    l'ivraie à Ivry.

     

     

    <o:p> </o:p><o:p> </o:p>

    Jadis, c'était Artaud, l'ivraie,

    <o:p> </o:p>

    Et tous ces fous d'asile,

     

    qui vécurent dans les pavillons de l'hôpital d'Ivry.

     

     

    <o:p> </o:p>

    Et pas loin les gens ivres, qui cherchaient refuge

    <o:p> </o:p>

    Dans la ban-lieue, à une lieue de la capitale.

     

     

    <o:p> </o:p>

    On y assignait le ban de la société,

    <o:p> </o:p>

    Et l'arrière-ban et toute la gueuserie.

    <o:p> </o:p><o:p> </o:p>

     

     

    Mais moi depuis que je vis ici,

    <o:p> </o:p>

    Je me suis inventé

    <o:p> </o:p>

    une autre étymologie.

     

     

     

    Sur cette terre de confluence,

    <o:p> </o:p>

    qu'est Ivry,

    <o:p> </o:p>

    entre Seine et Marne.

    <o:p> </o:p>

    mon étymologie à moi,

    <o:p> </o:p>

    signifie le Passage.

     

     

    <o:p> </o:p>

    Ivrit, le mot hébreu pour désigner l'Hébreu,

     

    celui qui passe la rivière

     

    pour aller vers lui-même.

     

     

    <o:p></o:p>

    <o:p> </o:p>

    Je suis de passage à Ivry.

     

     

     

     

     

     

     


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  • Louise Bourgeois 

    The mirror

    FIAC 2007

    Cliché Anthropia

     

     

    Il y a d'étranges moments captés dans la foulée d'une marche en ville.

     

    Ce matin, j'éveillais mes cheveux dans l'air doux d'un presqu'été.

     

    En traversant, j'aperçois une voiture garée en double file,

    dans la voie des bus, tous warnings clignotant.

     

    Devant la voiture, une jeune femme maigre, cheveux longs chocolat,

    quelque chose dans l'allure qui me fait penser à la pauvreté, l'ingrate condition.

    La voiture n'est pas neuve, mais il y a voiture.

     

    Ce qui me frappe d'abord c'est le mouvement répétitif qu'elle exerce

    à l'aide d'un petit mouchoir

    sur la carrosserie de sa voiture, porte conducteur ouverte,

    elle frotte avec obsession des petites taches qui se trouvent sur le toit,

    dans l'arrondi, au-dessus du cadre de porte.

     

    Elle frotte une tache, puis une autre, comme si là dans la double file,

    tous feux allumés, elle n'avait que ça à faire.

     

    Je dis ça, parce qu'en traversant, j'ai vu un bus s'arrêter pour prendre des passagers,

    il va bientôt redémarrer et fatalement, oui fatalement,

    il va vouloir emprunter le couloir bus que la femme au mouchoir bloque,

    avec sa voiture, porte ouverte.

     

    Elle frotte, elle frotte, mais ce faisant,

    je la vois glisser des regards façon derrière les paupières,

    vers les fenêtres du grand immeuble, juste en face.

    Des petits coups rapides.

    J'ai compris : c'est pour ça qu'elle est là.

     

    Ce qui m'apparaît, c'est qu'elle fait mine,

    mine de rien, mine de nettoyer,

    mine d'être là par hasard.

     

     

    Dans l'auto, banquette arrière, un enfant emmitouflé. 

    Elle est là, un dimanche matin, par hasard,

    dans un couloir de bus, avec son fils bébé,

    qui n'a rien d'autre à faire qu'attendre là dans l'auto,

    dans son fauteuil-bébé, à regarder sa mère,

    nettoyer d'hypothétiques taches

    sur le cadre de la porte de la voiture.

     

    Voilà. Et je me mets à supputer.

    Que fait-elle ? Qui attend-elle ?

    Un homme, forcément un homme.

    Le père du petit. Elle sait qu'il est là.

    Il est marié avec une autre.

    Alors, elle l'attend, elle veut le voir.

    Elle existe encore, il ne peut pas la larguer

    comme ça, sans rien dire.

     

    Elle vient avec le petit,

    qu'elle a habillé en quatrième vitesse ce matin,

    parce qu'il fallait qu'elle voie son homme,

    et qu'il n'y a personne pour le garder.

     

    Lui ne donne plus signe.

    Il n'appelle plus. Il laisse son répondeur sonner dans le vide.

    Elle n'a même plus accès à la boîte vocale.

     

    Alors, elle est là.

    Et aucun bus, aucun regard de passante, aucun cri d'enfant,

    ne saurait avoir raison de son obsessionnelle attente nettoyante.

     

    C'est cela l'air de pauvreté qu'elle porte sur elle,

    c'est celle de l'esprit ;

    on regarde partout en quête de quelque chose

    et y a rien.

    C'est l'air de la folie.

    Une Lucia, qui attend et qui frotte.

     

    Finalement, elle capitule, je me suis retournée, deux fois le bus a klaxonné,

    place au public, à la transportation,

    la femme est dans son tort, elle doit céder le passage,

    et même le libérer, dégagez, y a rien à voir.

     

    La femme n'est pas à sa place, elle doit quitter, séance tenante.

    Et je la vois remonter dans la voiture,

    avec nonchalance, l'indifférence de la solitude,

    que rien n'atteint.

     

    Elle va se garer dans la rue adjacente.

    Le bus la houspille, long klaxon de culpabilisation.

     

    Elle reste dans la voiture, elle regarde obsédée,

    vers l'entrée de l'immeuble.

     


    Elle attendra toute la matinée s'il le faut et même l'après-midi.

     

    Mais peut-être, attend-elle simplement son homme passé chez sa mère,

    pour le bonjour du dimanche.

    Et la nervosité n'est que la relation tendue

    à la belle-mère, sujet de conflits.

     

    Ou bien est-ce sa soeur qui va chercher quelques effets chez son amant

    qu'elle vient de quitter. Et la soeur craint le pire, un acte violent.

     

    Que valent quelques secondes pour découvrir un être ?

     

    On ne sait jamais en voyant une femme nettoyer,

    ce qu'elle cherche à effacer.

    A part la tache.

     

     

     

     

     

     

     

     

     


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  • Néon

    Palais de Tokyo

    Cliché Anthropia

     

     

    Hier il m'est arrivé quelque chose qui n'arrive pas souvent dans la vie. Une vieille amie est venue me voir. Et tout de go, à l'heure du thé, elle m'a demandé d'être son exécutrice testamentaire. Bon, elle n'est pas encore à l'article de la mort, mais elle y pense, elle prenait l'avion pour L.A., ceci expliquant peut-être cela.


    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>Je ne sais pas bien ce que c'est, exécuteur testamentaire, mais j'ai l'impression d'une demande qui ne s'accepte pas comme ça. C'est une responsabilité. Réaliser le projet post-mortem de quelqu'un, un peu déstabilisante l'idée.


    C'était comme un nouveau rite initiatique, j'avais atteint un certain stade, assez jeune pour lui survivre, digne de confiance et tout le toutim pour qu'elle  me confie cette responsabilité-là, assez teigneuse, apparemment aussi, pour qu'elle sache que je respecterais ses dernières volontés.

     

    Elle a fait ça avec beaucoup de classe, rien de pompeux, un courrier glissé sur la table, en me regardant en souriant, pas de tralala, de larmes, de drame, une demande d'une copine à une copine, un petit service en quelque sorte.





    Le partage était assez simple, un patrimoine à distribuer à peu de personnes, une œuvres littéraire, pour laquelle elle a désigné un autre exécuteur, son éditrice, ce qui circonscrit mon rôle et le rend plus léger. Mais tout de même, c'est accepter de se mêler des affaires d'une autre. Et ça, c'est toujours compliqué.




    D'ailleurs la nuit me l'a confirmé, c'était la tempête, oui, non, des vagues de 11 mètres de haut, le bateau tanguait fort. Et puis ce matin, arrivée à bon port, l'impression que la réponse est prête.



    J'ai décidé d'accepter la demande de mon amie. Parce que c'est une belle personne et que je veux bien accompagner son départ, je sais que tout sera prêt. Et puis il faut bien se rendre des coups de main entre amis.








     

     


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