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    Exposition Swiss Swiss Democracy, Thomas Hirschhorn,
    Photos Marc Domage pour Tutti / Romain Lopez


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  • Thomas Hirschhorn

    Centre Culturel Suisse

    (droits réservés)

     

    Il est des pays utopiques, dans lesquels on entre les yeux grand ouverts. Le pays de la Swiss-swiss democracy, où nous invita Thomas Hirschhorn en 2005, a quelque chose d'inoubliable. Un décor hanté par le scotch et le papier kraft. Le Centre culturel suisse est emballé de l'intérieur, plus rien d'identifiable, sauf cette impression que tout est à vendre ou à déménager, c'est prêt, emballé, des chaises aux murs, des tables aux plafonds.

    Et puis on a la chance d'entrer dans une seconde vie de la Suisse. La vie des petits trains. Des maquettes pour grand enfant, à un mètre cinquante du sol, nous font voir la Suisse d'en haut, façon circuit fermé, tout en boucle. Des vaches, des montagnes et des trains. Mais tout cela est enfoui. Coupe-circuit d'un cliché par sa réduction à l'élémentaire, le scotch brun.

    Et puis au centre du labyrinthe, une salle de conférence, et au milieu de la salle, une table, et à la table, un homme, un professeur, hermétique, le visage impavide, gonflé presque de concepts et de raisonnements. Il parle et parle. Il s'appelle Marcus Steinweg. Il a préparé des conférences, comme on donne ses menus de la semaine. Lundi, c'est démocracie, mardi, théorie du sujet. Dans une philosophie saturante, obstruante, qui balaie à coups de scanner obsessionnel toutes les occurences par crainte d'avoir été trop rapide. Atteindre la totalité et subsumer, tel est son propos. Une mondialisation de la philosophie, au sens où elle doit faire système et ne rien oublier.

    J'ai chez moi un poster, photocopie en réduction offerte par Marcus Steinweg lui-même. Il me l'a donné après que j'ai louché sur une mappemonde d'un genre un peu particulier. Imaginez un énorme poster, cinq mètres par huit mètres (enfin, j'exagère sûrement). Sur le poster, un organigramme, des rectangles et des liens entre les rectangles, une présentation complète. Dans chaque case, nommée, une théorie. Je lis "existentialisme de Sartre", "solitude existentielle de Blanchot", "Erfahrung und Armut de Benjamin (expérience et pauvreté)", etc., etc. Dans cette sorte de boutonnage, le lettré devine qu'en pressant sur le titre, il trouvera l'exposé. Mais il n'y a que deux dimensions dans le poster, qui n'est pas interactif.

    Et ce sont des centaines de théories venues de tous les continents, mais surtout d'Europe, qui s'affichent, s'intéressant à cette singularité, JE. Parfois pour la nier, pour en exacerber l'importance, pour en étudier le mouvement ou pour tenter d'en effacer la prégnance en soi.

    Ce qui est plaisant, ce sont les traits qui relient les théories entre elles : influence, fertilisation croisée, hybridation, rhizomes secrets. Le sujet est au coeur relié d'un côté au sujet du dehors, et de l'autre au Grand Autre. L'auto-transgression, le destin, les concepts sont venus, ils sont tous là. Bartleby aussi. Et Kant, Lacan, Nietzche, Sophocle et Deleuze sont les pointes de l'étoile. Sans oublier Kafka.

    Imaginez un philosophe fou, réussissant dans une tentative occlusive à réunir sur un même schéma de montage ou de démontage selon ce qu'on voudra en faire, l'ensemble des théories philosophiques, littéraires, sémiologiques et culturelles traitant du sujet dans tous ses états. La conférence s'appelle "Plan-Sujet", n°28. Consultable ci-dessous.

    Marcus Steinweg

    http://ccsparis.com/projets/04-2004/lectures.html

    Dernière minute : on croît pouvoir offrir un plan sujet et on constate que cette conférence a été effacée de la liste. La N°28 a disparu, elle est un point de fuite, une résistance, elle est le A, quand Je est un Autre, que nous cherchons et qui se dérobe sans cesse. Inderridable déconstruction du sujet.

     

     


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