• Enchevêtrements

    Crédit photo anthropia # blog

     

     

    Vous êtes arrivés au pont. Juste avant, dans la rue devant les entrepôts, la file roumaine des caravanes, enfants à la fenêtre, femmes bassines à la main, hommes sur table de plastique, et vous les saluez et ils vous regardent. Vous reconnaissez R., il va chercher sa mère, « Et toi, tu vas où ? » et vous dites « Venez avec nous » et ils vous emboîtent le pas, et la cohorte des enfants barbouillés, et ces trois hommes qui se lèvent et décident d’accompagner.

    Ce pont-là, vous en ignorez le nom, nous dirons que c’est le pont principal, route, dans les belles Italiennes, on ne les nomme que pour les promenades, la dentelle d’une carte du tendre pour celui de passage, mais dans ces lieux où on ne l’espère pas, tout ce que vous dictent les panneaux, c’est une destination, vous êtes en face d’A., seule la ville a droit à la nomination, et on comprend pourquoi, à perte de vue il y parcelles contre parcelles ouvrages d’art en faux quinconce, apportés là dans l’improvisation de besoins successifs, désordre, bousculement des formes, enchevêtrement, du lourd, de l’acier, bonbonnes et cheminées, à la taille des Titans, des travaux et des jours, la fabrique la main d’œuvre, collectifs, le travail de ce port ne pense pas, parce que port ne l’est presque plus, et si peu pour piétons en tout cas ou juste sur ces passerelles qui font courber l’échine, vous franchissez le pont, une piste cyclable passe en-dessous, circulant le long d’une rivière, pas nommée non plus. Vous décidez d’y descendre par un chemin qui vient longer le quai, vous prenez la rivière par la droite, le nous se met en colonne, vous en avez pris la tête, l’amant a mis ses bras sur vos bras, bruit de troupeau sur le ponton de bois vers l’Est, direction M., mais à dix mètres à peine, le quai s’est effondré, fausse piste à nouveau, vous vous arrêtez. Il faut admettre que dans ces lieux d’inconnu, rien de ce qui fut promis n’est certain, beaucoup d’essais-erreurs, quelle direction, c’est souvent déception, mais à ce prix l’obstination, il dit au groupe, retournons-nous, on remonte, il vous précède cette fois, votre menton sur son épaule, et tous vous rejoignez plus haut le quai du dessus, et vous prenez en sens inverse une ruelle qui part de guingois.

    Vous êtes sur une presqu’île où se dresse l’agora, enclave chinoise en terre étrangère, un complexe où viennent les amis de Marco Polo rendre la visite, c’est leur tour, finie la route de la soie, ici dans le complexe, une galerie marchande, les Chinois exposent leurs modernités d’aggloméré et de synthétique, restaurant, sans doute plusieurs, hôtel, près de mille chambres dans le temple à toits de cornettes, ils se pressent, ils se présentent, ils dorment et consomment, entre compatriotes, dernière escale avant d’envahir.  

    Vous ressortez de l’antre, en faites le tour, vous passez près de la benne, et sous la hotte d’aspiration, de sa bouche d’évacuation venant des cuisines, l’immonde odeur, vous resteriez là choqués, mais non il faut continuer, alors vous passez sous les balcons de l’Hôtel, et là, conversations, rythmes en pics et creux d’une langue que vous savez reconnaître sans l’avoir effleurée, certains se penchent et à vous voir, quittent gilets et vestons, se précipitent, ils veulent aussi faire partie de cette alternative. Ils sont quinze à vous suivre.

    Est-ce là que vous croyez comprendre ? Un méandre ou alors le coude d’une rivière ? Puis votre erreur, le ruban de gris qui vient de l’autre rive n’est pas de même eau, en fait une confluence, vous le devinez à cette similaire largeur des fleuves, pas de carte sur vous, vous aviez admis le territoire en aveugle, vous comprenez que M. et S. ici se rejoignent, et qu’un va gagner, prendre le pas sur l’autre, que l’autre se jette comme on se perd, en affluent, sans que rien n’ait été prémédité que l’inévitable rencontre de deux cours, comme vous vous étiez lancés sans vous être confondus, toujours l’un prend le pas, c’est ainsi quand on se jette, ce qui sauve, c’est qu’à ce point, le nom de S. ne se fait pas au débit de M..

    Il vous faut à nouveau traverser un pont plus petit qui enjambe ce qui est devenu la rivière principale, sur le quai, des escaliers qui vont encore plus bas vers un ponton à bateaux, et assis enlacé un couple qui s’embrasse, vous passez sans appeler, mais eux sont remontés, ils veulent aussi en être, plus loin l’escalier qui mène à la passerelle, croisez deux jeunes hommes, à sacs colline-forêt, qui sortent du terrain éponyme, et eux pas fatigués font demi-tour et montent à bord.

    Puis au-delà une maison en bois, que suit une hutte, une fluette, une cabine de déshabillage au toit pointu, rayée bleu et blanc comme on en trouve sur les plages normandes, un guichet, la navette partira à quatorze-heures trente de C. et arrivera à quinze-heure vingt-cinq au Pont H.. Mais ce n’est pas pour ce voyage que vous êtes venus, ici pas d’embarquement ou pas celui-là, ceci n’est pas une promenade nautique, face au ciel en surplomb des deux flux en rencontre, vous relevez la tête, nuages en spirales, le gris, le bleu, le beige, quelques taches de rouge au fronton des péniches, la ligne droite se présente, vous êtes rendus au seuil de scène.

     

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