• Il faut bien y aller vers le Grand ciel

    Mirka Lugosi

    Un dessin de ma collection, que je ne retrouve pas depuis le déménagement

     

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    Tu n’y arriveras pas à faire tourner en derviche-tourneur ce grand récit jusqu’en son bout. Il donne le tournis, il explose, comme cette carcasse sur son mur, il n’est de toi que la partie éclatée, de tous Ces narrateurs qui la traverseraient, te trouant le corps, la voix, l’intime, ces voix d’enfance, ces de passage, ces oubliés, pas la narratrice, pas la ehadeuse.

    Je veux l’uni, l’unique, la réconciliation dans un lent processus, passer par-dessus, moi narratrice.

    Ce serait la montée, sous le choc, l’irrésistible montée d’un corps à dix mètres de haut, et dans cet instant du premier impact, celui que je n’ai pas vu, pas plus que le second, dans cette longue, quoi, seconde, peut-être deux, insérer le récit, ce que ça t’a fait à toi, ce qui t’a fait toi, ce qui s’est passé, pour toi, et pour les autres, vu de près, zoom sur les plaies, faire passer le temps du récit dans cette seconde.

    Et puis la technique, parce que ça passe par toutes les pores de cette famille, il faut du défaut, disait Stiegler en face de Derrida, de Debray, de Le Goff, et j’oubliais de Serre, cette soutenance, où tu as compris que c’était ta question, la méthodologie jaune et l’odeur d’huile blanche mystérieuse de la fraiseuse, de cet atelier où tu t’étais perdue cinq mois durant pour économiser et pour écrire ton mémoire, et qui en fait était l’atelier où ta grand-mère, celle à qui tu ressemblais mais que tu ne connaissais pas, morte, bien avant ta naissance, jeune, plus jeune que ton âge, c’est écrit sur la tombe, -alors la fraise que tu gardes celle à laquelle il manque deux dents, celle qui avait servi à produire ces pièces de mandrin de perceuse électrique, Peugeot, bien sûr, la peuge toujours, en était bien la preuve-, cet atelier peut-être à Audincourt, juste à la frontière de Seloncourt, où les vieilles ouvrières à la pause te disaient, mais qu’est-ce que tu fous là ? –j’arrivais de Sciences Pô, même les études descendaient pour voir la bête curieuse-, comme une voix de ma grand-mère, y avait travaillé à vingt ans avant d’épouser le grand ordonnateur, j’y allais comme Œdipe après, en aveugle, sans savoir que je n’y mettais là que mes pas dans ses pas, alors, oui, la technique, je la dois à ce récit, moins dense, allégée, abordée en son cœur, à chaque ligne.

    C'est-à-dire la montée puis la chute du corps, de la famille, dans cet interstice, et puis le secret secret, jusqu’à la fin, la grande danse, la dense, le tournis, le grand moment. Le corps de ma sœur.

     

     

     

     



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