• La peau rougie, épaissie

     

     

    Destruction

    crédit photo anthropia # blog

     

     

    Ce matin, quand je suis arrivée au Franprix, elle était là, Mina. Elle s’est levée et m’a tendu la main, une poignée franche, directe, première fois, c’est moi qui me suis sentie reconnue, elle est monté à mon niveau, face à face, elle a fait un lien entre nous, physique, j’ai senti son corps, sa tension.

    Et puis j’ai vu la peau de son visage, rougie, épaissie, la peau d’un campeur qui s’altère à l’air, qui s’épaissit gros grain pour lutter contre le vent et les intempéries, on y sentait la semaine passée dans le Parc de Saint-Denis, vivant et dormant sous la pluie. Elle a fait le geste, ta couverture, elle la tordait comme une vieille serpillière usée, elle mimait, je l’ai jetée, foutue. J’ai imaginé la couverture rose à rectangles roses plus soutenus au fond d’une poubelle, mon don n’aura duré qu’une semaine et encore.

    On est à Sarcelles au…, elle a prononcé un mot, bomme, quelque chose dans le genre, j’ai fait répéter, pas davantage compris, j’ai pensé à une salle de sports où les Roms auraient été accueillis, puis ai dit au hasard, c’est un camp ?, elle a hoché la tête. Qu'est-ce que j'imaginais, qu'une mairie aurait pris les devants, se serait portée à leur secours. Je rêve.

    Je me suis souvenue que l’été dernier la jeune élève-architecte qui squattait chez moi et faisait un stage au 6B chez Julien Beller, un élève de Bouchain, était allée visiter un camp, où l’architecte s’était contenté de donner des poutres en bois et des planches d’agglo, à Aubervilliers ou une ville proche, et les Roms s’étaient installés, avec ruelle centrale et même à ce que j’ai vu par une photographie indiscrète qui traînait dans la chambre, quelques projectiles préparés sur le toit pour se défendre en cas de nécessité, bien cachés par les antennes paraboliques. Des bâtisseurs dans l’âme, les Roms

    Mais là en interrogeant Google, j’ai plutôt l’impression que le camp où elle est réfugiée est celui-ci, l’ immense bidonville de Sarcelles. Et l’image qui me vient est celle de Gaza, les Roms sont nos Palestiniens, sur lesquels le pouvoir continue de s’acharner.

    Ce matin-là, Robert joue à bonne distance, à l’autre bout du magasin, il enjambe un muret, il ne se rapproche pas. Sa mère, qui me l’a montré du doigt, dit qu’il tousse à nouveau. Elle semble angoissée. C’est dimanche, Mina est venue jusqu’à Saint-Denis sur son spot habituel, je comprends qu'au camp, ça ne se passe pas bien. Je dis, Robert va à l’école, là-bas ? Elle fait signe que non, elle est triste. Ici, c’était bien l’école à Marcel Sembat, elle sourit. Il aime bien. Moi, il continue d'y aller ? Non, c'est trop loin. Elle baisse la tête, là-bas, je ne connais pas les écoles, je ne sais pas où. J'y vais de mon conseil, va à la mairie, demande, inscris-le. J'imagine le marathon de sa vie, se reconstituer une vie à chaque fois. Fatigue.

    C’est pas bien, Sarcelles. Elle hausse les épaules et les laisse en l'air, on n’a rien. Les policiers ont tout détruit. L’angoisse d’une femme qui n’assure plus le quotidien. Je demande, t’as besoin de quoi ? Sa réponse sort tout de go, des pommes de terre. Cet instinct de survie, toujours savoir de quoi on a besoin. Si on me posait la question, je ne saurais pas quoi répondre, en tout cas, pas tout de suite. Je comprends qu’elle peut cuisiner. Alors je vais au Franprix remplir un sac de belles patates et je prends du beurre aussi, que je lui rapporte, j’ai pris en dessert quelques galettes sucrées. Elle est contente.

    Voilà, je ne sais pas quoi faire d’autre. Je lui serre la main, on se quitte. Malaise.

     



     


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