• Quant à la réminiscence, la chercher dans le lacis des circuits neuronaux non pratiqués depuis de longues années |

    Peter Wuthrich

    Uncovered stories 2009

    Karsten greve Paris1

    Crédit Photo Anthropia

     

     

     

    Quant à la réminiscence, la chercher dans le lacis des circuits neuronaux non pratiqués depuis de longues années |

     

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    Reçu ce jour Madame M. Ai procédé à l’enregistrement du récit de Mme M. concernant l’événement dit N°1. par convention pour le présent compte-rendu

     « C’est la première fois que je me raconte la scène. Dans la cuisine, les femmes parlent, elles se disputent, une affaire de cadeau, je crois. Ma mère a offert un presse-purée électrique à ma grand-mère et ma grand-mère ne s’en sert pas ou quelque chose comme ça. Elle préfère son moulin à légumes manuel et ça énerve ma mère. Je ne me souviens pas si quelqu’un d’autre que ma mère et ma grand-mère était présent dans la pièce.

    A côté d’elles, je rêve, pliée en deux, le coude sur la table, la tête à même la nappe, occupée à tracer du doigt les motifs du tissu. En bruit de fond, j’entends leurs paroles, acides ; il y a de l’acrimonie entre elles, mais c’est sans importance, je ne les écoute que d’une oreille.

    Puis c’est le son aigu, le son qui fuse, qui déchire l’air d’une zébrure aigre de violon. Le brouhaha des femmes est interrompu.

    Dans la rue, quelqu’un crie, quelque chose comme « oh, mon Dieu, oh, mon Dieu ». Qui a crié ? Une voisine, je crois.

    Peut-être est-ce plus tard que le cri est poussé. Peut-être y a-t-il eu deux fois, les cris. Cela se mélange dans mon souvenir.

    Les femmes se précipitent à l’extérieur, en troupeau, ça grince, les pieds de chaises dérapent sur le parquet, les chaussures frappent sur le plancher, tout le monde sort en catastrophe. Comme si elles avaient besoin de voir, elles veulent voir la réalité, celle que révèlent le crissement strident et le son mat.

    Moi, je ne sors pas. Toutes affaires cessantes, je dois ne rien faire, ne pas bouger. Je sais qu’un drame s’est produit. Un contexte de drame, puis un événement. Il est advenu.

    Et tout de suite, je sais que c’est à moi que c’est arrivé, il est pour moi, je ne sais pas quoi, mais c’est pour moi, ce bruit sourd de choc je l’ai mis en réserve quelque part, je l’ai engrangé. Je suppose un résultat de drame, et je ne veux pas le voir.

    Qu’est-ce que je sais ? Rien. Je devine, je peux tout imaginer de loin sans m’approcher. Je suis au-dessus de tout ça, n’est-ce pas, c’est moi qui décide ce que je dois voir.

    Pourtant, une ombre menace dans ma tête, quelque chose de tragique, tout peut être arrivé.

    Alors je recule lentement, je me niche derrière la porte, tout près du poste de TSF de ma grand-Mère, le poste où elle écoute la radio de Suisse, le dimanche soir, les chœurs de Radio-Sottens, les vieilles voix sur des mandolines douces.

    Je me mets à attendre, derrière la porte.

    Puis j’entends le hurlement inhumain d’une femme : quelque chose comme, Non. Ça se prolonge très longtemps. C’est insupportable.».

     

     

     



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