• Une histoire de pingouins

    Vie et mort d'un stylo (détail)

    Salon de Montrouge

    Crédit Photo Anthropia

     

     

    Cela commence comme un soir de coupe du Monde, quand tous vos amis vous ont fait faux bond, vous cherchez vainement sur votre menu TV une série potable à regarder. Et vous tombez sur un feuilleton que vous aviez jusqu’ici réussi à éviter, un sous-sous « Grace Anatomy », j’ai nommé « Mercy Hospital ».

    J’en étais à une petite demi-heure, me tâtant pour zapper, quand arriva cette stupide histoire de pingouins. Un type avait enlevé deux pingouins au zoo pour les donner à sa petite amie qui venait de rompre. Elle adorait chez eux leur grande fidélité ; lui, pensa la récupérer en lui offrant les mammifères. Mais cela se passa mal, les pingouins le rouèrent de coups de becs et il arriva à l’hôpital défiguré et recherché par la police. Confiant à l'infirmière son inquiétude pour les pingouins, ils étaient dans le van, il convainquit la nurse, ni vu, ni connu, de les lâcher, dans la nature,pour que la police les récupère.

    J’en étais là du poussif épisode, quand l’histoire se prolongea par une scène de la même infirmière, en mal d’inspiration pour récupérer son ex, qui crût bon de s’inspirer du coup du retour de flamme de l’être aimé à l’aide de pingouins en peluche. Elle sonna à la porte de son cher et tendre, qui lui rappela fort opportunément qu’elle l’avait trompé avec un autre type. Bref, échec sur toute la ligne. C’est là que je dis Stop à l’indigence télévisuelle et décidai de me plonger dans ma dernière razzia librairiale (oui, je sais je viens de l’inventer).

    Vous savez, on devrait toujours prendre des risques en matière de littérature. En fait, je n’en ai pas pris. J’ai compté renouveler le miracle avec deux auteurs que j’ai tellement aimés. On ne devrait jamais dire qu’on aime un auteur, mais qu’on aime un livre. J’ai donc tenté le dernier Daniele Del Giudice, « Horizon mobile », vous allez rire, le roman commençait par une histoire de pingouins sur la banquise, mais stoïque, je décidait de m’accrocher ; je tentai de suivre ce journal de voyage, j’en étais sûre, le petit miracle du « Stade de Wimbledon » allait se reproduire, ce livre sublimissime. Et bien non, après trois chapitres, puis le saut de pages, tentant de trouver quelque chose qui m’inspirerait, j’ai dû lâcher Daniele. Désolée, mais je n’entendais plus ta voix, je n’entendais que des bouts de récits, oui, les  Yahgans, j’ai lu, page 135 et suivantes, mais comment dire, c’était des histoires d’explorateurs, et je ne t’ai pas trouvé malin sur ce coup-là, toute la partie défilatoire (oui, celui-là aussi je l’ai créé) me tombait des mains, j’allais dire des mots. Alors je t’ai quitté.

    J’ai voulu me vautrer dans les bras de Frédéric-Yves Jeannet, dans son dernier « Cyclone ». Chez lui, son « Charité »  m’avait scotché, un grand livre, puis j’avais suivi, même le dialogue par mails entre Annie Ernaux et lui, mais son Cyclone ressemblait à Dien-Bien-Phu, la photo de Christine Spengler,  après la bataille : un cataclysme de mots, un enchevêtrement de phrases, les unes derrière les autres sans queue ni tête, sans respiration, vous me direz, alors c’est réussi, pour un cyclone, oui, mais non, parce que je n’ai pas pu accrocher, pas de place pour ma pensée dans ce souffle enchaîné. Dans Charité, il m’avait emmené, une grâce, une pureté, là il m’a laissé au bord du chemin, l’incantation des destinations étrangères ne fonctionnait plus, l’incessante traversée des océans non plus. Suis-je lasse de son histoire, toujours la même, de lire toujours le même roman ? Peut-être. Peut-être aussi est-il las lui-même de la raconter.

    En littérature, prendre des risques n’est peut-être pas de réessayer avec un auteur déjà lu, mais de faire des découvertes, des vraies. Il y a quelques semaines, j’avais essayé Alice Zeniter, « Jusque dans nos bras ». Elle ne boxe pas dans la même catégorie, c’est une petite jeune, la vingtaine. Un roman générationnel, comme on dit, tout ça parce que sur le conseil de son éditrice, ça commence par une litanie de « Je suis de la génération de ». Mais cela permet d’entrer dans la génération de nos enfants. C’est frais, bien senti, en plein dans la problématique des sans-papiers, de mariage blanc, des copains de mon fils, Alice pourrait être une de ses meilleures amies, il en a des comme ça.

    A recommander donc.

    Mais hier soir, j’ai tenté à nouveau l’aventure en compagnie d’un ami de plume, Pascal Quignard, dans « La barque silencieuse ». Il y a son bégaiement, « j’aurai passé ma vie à chercher les mots qui me faisaient défaut ». Il y a son érudition, de l’étymologie du corbillard aux corbeillats, étrange transport de nourrissons qu’on emmenait en nourrice par la Seine, aux métamorphoses d’Ovide, à la « tristesse mortelle » de Mme de Lafayette. Nous sommes sur le Styx, nous parcourons le chemin des mille, qui mène de vie à trépas, le va-et-vient de sempiternité, comme une scie, qui se fait de plus en plus entendre aux derniers jours de la vie. Cela se déguste, sans désespoir, sans idées noires. On apprend, on pense, on considère ; les derniers instants comme objet d’un récit, les morts burlesques, elles le sont toujours, les morts hésitantes, les signifiantes, les inconcevables, les terrifiantes. Cela ne fait pas livre, pensez-vous ? Allez-y goûter, vous verrez. Certains risques littéraires méritent d’être pris.

     

     

     

     

     


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :