• Virtuel jusqu'au présent

    Jiro Nakayama

    Vide

    2010

    In Le sens de la visite

    un itinéraire proposé par Yvon Nouzille

    Paris XII

     

    Quizz

    Si un amant vous écrivait dans un mail,

    "Je viendrais ce soir à 22h. Je te promets, je serais là",

    qu'en penseriez-vous ?

    1. Qu'il vous faut chercher le déshabillé de ses rêves ?

    2. Qu'il vous ballade, qu'il abuse, que ce sont des promesses d'apothicaire ?

    2bis. Qu'il est un inculte et qu'il ferait mieux de réviser ses temps de l'indicatif ?

     

    Je vous dis ça, moi, parce que j'en ai marre

    de ne jamais savoir sur quel pied danser,

    avec ces interlocuteurs, ces maileurs,

    qui rajoutent un s à la fin des verbes,

    transformant leurs futurs en conditionnels.

     

    Je serai là demain, bon, ça va,

    il dit qu'il vient, il l'affirme, il s'engage.

    Je serais là demain. C'est qui, là ?

    Un poète, qui suppose, suppute, s'imagine ?

    Une éventualité d'arrivée, p'têtre ben qu'oui, p'têtre ben qu'non ?

     

    En fait, je vous avoue tout,

    ceci est un message à la nouvelle stagiaire,

    en contrat par alternance,

    elle est sympa, elle apprend à toutes vitesses,

    c'est un vrai plaisir,

    oui, mais voilà, de temps en temps,

    même plus que ça,

    elle laisse échapper un conditionnel

    à la place d'un futur.

     

    Et je le dis, là, tout net, je ne supporte plus.

    J'ai l'impression de voir ça de plus en plus souvent,

    dans la presse, dans les lettres, dans les mails.

    Et voilà, il faut que ça tombe sur elle, désolée.

     

    Comme si l'époque voulait ça, que l'avenir se dérobait,

    que le futur se virtualisait.

    Est-ce qu'on craint demain, à ce point,

    qu'on veuille lui donner ce petit côté effacé ?

    Ou bien est-ce que les jeux vidéos

    et Fukushima nous ont appris

    que ce qui est à venir

    fait l'objet de tant de bifurcations,

    qu'il vaut mieux postuler

    que rien n'est postulable ?

     

    Une amie disait qu'enfant, en Tunisie,

    quand elle donnait rendez-vous,

    elle disait, demain, à midi, sous l'horloge,

    et que ça voulait dire, à midi,

    mais aussi à une heure, à deux heures,

    à trois heures ou à quatre heures.

    Post meridiem bien sûr.

    Sous l'horloge était un concept,

    "à midi" voulait dire

    qu'on avait la course du soleil pour arriver,

    l'après-midi quoi, et on attendait,

    on avait l'habitude d'attendre.

     

    Quand elle est arrivée à Paris,

    elle s'est enfermée

    dans le temps anglo-saxon,

    et là plus question d'attendre.

    Essayez d'arriver à 16h pour un rendez-vous de 14h,

    vous trouverez porte close.

     

    Si elle rencontrait ma stagiaire,

    celle-ci lui dirait : Je serais là demain à 12h.

    L'amie saurait,

    qu'elle a un rendez-vous peut-être,

    mais que la stagiaire l'a peut-être dit

    à quelqu'un d'autre.

    Mais ce n'est pas traîtrise,

    chacun a les mêmes droits,

    on pose les options,

    et puis on se confirme une heure avant par SMS.

    Le plus longtemps possible virtuel,

    et puis, oups, on bascule dans le nouveau présent.

     

    Faut-il que je m'y fasse ?

    Il n'y aurait plus de futurs,

    que des présents se chassant l'un l'autre ?

     

     

     

     

     

     

     

     


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