• crédit photo # anthropia

     


     

    Le son des Têtes raides, un condamné à mort, La peste ou l’ETrangere, cherchez l’erreur, ma voix de l’écrit me condamne à la léproserie de ma voix sonore.

    J’en connais une, de léproserie, celle d’Asinara, juste à côté des quartiers de haute sécurité, quand j’allais avec eux, les savants de Barcelone et ceux de Sardaigne, colloquer au sommet du fin fond d’une île-prison. On dit chef de projet, cheffe j’étais, cheffe de rien, je m’occupais des papiers, eux s’occupaient de l’identité des espèces, éviter la disparition, ressusciter les oiseaux rares.

    Et on avait l’honneur de déjeuner dans la petite maison, où le cuisinier prisonnier nous faisait à manger le porc cuit au sel, le fromage aux vers blancs, de ceux qui s’échappent de la bouche. Tout ce monde riait lourd, quand les officiels de Tanger s’éloignaient écœurés. Petite bibliothèque aussi, envahie d’essais sur la sexualité, le porno est interdit dans cette prison d’Italie.

    Cherchons les phoques-moines, disait le grand Pêcheur, et tout ce beau monde de hanter l’île solitaire, nue de touristes depuis qu’il existe des paquebots, des croisières et des nomades à tickets, bleus lagons, eau transparente, ici virginité côtoie le crime organisé.

    On dit « cyan » pour décrire, entre vert et bleu, un rayonnement dont on a fait les dômes d’Asie centrale, la médersa Tilla-Qari, une couleur qui a envahi les encreurs de nos imprimantes, mais n’est pas dans la décomposition de l’arc-en-ciel ou cachée. Le cyan est un bleu clair, du grec Kuanos, qui désignait nous dit le dictionnaire un minerai bleu utilisé dans la Grèce antique pour la teinture des vêtements. Le minerai s’appelait azurite.

    Dans l’Encyclopédie Diderot et d’Alembert, on ne connaît que le bluet ou barbeau pour évoquer le cyan.


    BLUET ou BARBEAU, s. m. cyanus, (Hist. nat. bot.) genre de plante dont la fleur est composée de deux sortes de fleurons. Ceux qui occupent le centre de la fleur sont plus petits, découpés en lanieres égales. Ceux qui sont à la circonférence sont beaucoup plus grands & plus apparens; ils semblent être partagés en deux levres. Les uns & les autres portent sur des embryons de graines, & sont soûtenus par un calice écailleux qui n'a point de piquans. Lorsque la fleur est passée, les embryons deviennent des semences garnies d'aigrettes. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez Plantb. (I)

     

    Que n’ont-ils demandé l’Encyclopédie, les prisonniers de l’île.

    Il a de grandes vertus le bluet. Je me le suis appliqué ce soir. Voici la recette de l’excellent ophthalmique que l’Encyclopédie a posé sur mes yeux.

    L'huile de bluet se fait de la façon suivante. Prenez des fleurs de bluet cueillies avant le lever du soleil, autant qu'il vous plaira; pilez - les dans un mortier de marbre; renfermez - les dans un vaisseau de verre dont l'ouverture soit fort large; fermez exactement ce vaisseau, & l'exposez au soleil pendant un mois entier: on peut luter ce vaisseau avec du levain.

    Lute, lute, ce vaisseau, ajoutes-y du levain, si tu veux, prends une certaine quantité de fleurs de « bluet » avec leur calice, broie-les. Et tiens fais-moi macérer pendant vingt-quatre heures dans une suffisante quantité d’eau de neige, distille-moi ensuite à un feu de sable modéré, l’eau que les François appellent « eau de casse-lunette », la belle affaire, j’y suis toute à l’eau de bluet.

    On assûre que cette eau & celle d'eufraise sont un excellent remede contre l'inflammation des yeux; & on la recommande avec le musc, le benjoin, & la fleur d'orange, pour donner au visage un teint fleuri, sur - tout si l'on y ajoûte le lait virginal.

    Le corps de ce siècle transpirait par toutes ses odeurs, on n’avait pas peur des mots et des sensations qu’ils évoquent, je voudrais cela dans mes textes, le lent envahissement des sens, le sexe des mots.

      Tournefort conseille l'eau de casse - lunette dans les ophthalmies avec rougeur, dans la chassie, & toutes les fois qu'il est question d'éclaircir la vûe & de la fortifier, avec une quantite suffisante de camphre & de safran, lorsqu'il s'agira de calmer une inflammation. (N).

    Il s’agira de calmer une inflammation par des conversations de fraise, d’humaine tranquillité, pas secouée, juste que là je devienne enfin autre femme que muette à points de suspension. Soyons prudente.

    Sur l’île face au Port de Torrès, quand je contemplais fascinée les plages de velours jaune, tentée de m’y étendre, un garde armé me suivait, les prisonniers du paysage erraient leurs yeux sur moi, plaisir interdit, moi consciente des regards, pas possible le bain. Un peu comme dans le carré des sortilèges. Condamnée.

    Condamnée ? Genet in Le condamné à mort :

    Ô viens mon ciel de rose, ô ma corbeille blonde !
    Visite dans sa nuit ton condamné à mort.
    Arrache-toi la chair, tue, escalade, mords,
    Mais viens ! Pose ta joue contre ma tête ronde.

    Double jeu, double sens, double genre. Bien posé là, dans les images troubles des sphères d’outre-tombe. Ces mots qui visent au corps.

    Et de redire le mordre, l’Encyclopédie :

    Mordre, teinture, terme de Chapelier - Teinturier, qui signifie prendre la couleur plus ou moins vîte. Il y a des étoffes ou feutres qui mordent facilement la teinture, & d'autres qui la mordent très - malaisément. 

    Moi toute à la morsure d’avoir laissé sur ce blog de quoi tendre le flanc. Je ne voulais pourtant qu’une chose m’apprendre qui était Je, le cultiver, je ne cherchais pas mon nombril, j’avais juste besoin de m’entendre penser, pas des moi, non, un sujet, le S supposé savoir, enfin, je crois, depuis Nathalie, tout fait soupçon, mais s’autoriser de penser ce que vit, ce qu’il aime, ce qu’il n’aime pas, ce Je asmathique, pas fini.

    Un peu comme dans cette bluette, non pas l’autre, un film de peu, juste une scène, il lui a  dit : Et vous les œufs, vous les aimez comment le dimanche matin. Et elle s’est rendu compte qu’elle ne le savait pas, qu’elle avait toujours cuisiné les œufs pour ses amants, se mettant à leurs goûts. Et elle, comment elle les aime les œufs ? Alors elle en a gobé un, tout cru, puis a testé le cuit, de toutes les manières, elle en a rempli des assiettes, des au plat, brouillé ou en omelette, dur ou mollet, sauce gribiche, mimosa, finalement elle a su comment elle les préfère, mais ne nous le dit pas.

    Et bien moi, c’est pareil, je viens chaque jour pour me demander comment j’aime les œufs. Et quand je l’ai écrit, ce texte, c’était aussi pour ne pas me demander comment un homme à l’hôpital aimerait ses œufs quand il sortirait du coma. Il ne me l’a pas dit.

    Quand on parle du cyan, on parle aussi du jaune et puis du Magenta. Certains le nomment fuchsia mais à tort, longtemps mon préféré, un mélange de lumières, le filtre magenta ne laisse passer que le bleu et le rouge, en synthèse soustractive, presque pas une couleur comme le noir et le blanc.

    Magenta, comme cette ville d’Italie, les sèmes n’ont pas le choix, ils sont là, je constate, le magenta provient de l’aniline, obtenue à partir de l’indigo, et retour à l’Encyclopédie et à l’autre infusion.

    Violettes teinture & sirop de, Venel (Page 17:316)
    La teinture de violettes n'est autre chose qu'une forte infusion à froid dans l'eau, des pétales de violettes bien mondés, sur - tout de leurs calices. Pour avoir cette teinture constamment bleue, & d'un beau bleu, on doit la preparer dans un vaisseau d'étain; c'est - là le tour de main, arcane qui est pourtant connu aujourd'hui de tous les bons artistes; & pour se la procurer aussi saturée qu'il est possible, on applique deux ou trois fois sur de nouvelles fleurs, la liqueur colorée par une premiere infusion.

    Il faut insister pour l’infusion violette, repasser plusieurs fois sur de nouvelles fleurs. Moi aussi, déjà passée par là et n’aimerais pas que dead end. Ne pas trop repasser svp.

    Alors j’ouvre Histoire de Claude Simon

      Puis rouvrant les yeux et le soleil rasait le sommet des branches colorait le faîte du mur d’une lumière tendre rosâtre ou plutôt cuivrée. L’oiseau n’était plus là. En haut les briques étaient d’un rouge orange et plus bas, là où il n’arrivait pas encore, mauve lilas, le faisceau convergent de leurs rangées parallèles s’enfuyant aspiré par la perspective vers un point imaginaire au-delà du mur en face, du lierre toujours dans l’ombre, bleu foncé. 

    L’oiseau n’était plus là, celui d'il y a longtemps a disparu, l’a été remplacé par un plus flou, des paroles pourtant, du vent, de la colère, des coups de griffe aussi, une sonorité déjà. Et je rouvre les yeux, mauve lilas, cherche le point imaginaire. Apprivoisement, l’entendre plus souvent sa voix. De l’ombre, bleu foncé, qu’il devienne bleu clair.

     

     


     



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  • Aqua

    Crédit photo # Anthropia

     

     

     

     

     

     

     

    Il aura fallu un monde,

    il lui aura fallu des lustres,

    mille expériences, des postures,

    beaucoup de doutes,

    des choix aussi,

    des erreurs multiples,

    un entêtement dans l’impasse,

    un lent travail de pistage,

    déshabiller les vignobles allemands,

    ranger dans la litanie bleue les fantômes cachés,

    calmer l’irruption de l’un,

    caresser la froideur de l’autre,

     

    et là, joie,

    quand tu tiens le filin

    d’une sortie en liberté,

    rendez-vous à juin ta vie,

    sait pas où, sait comment,

    elle a osé,

    l’évidence que c’est la seule voie.

     

     

     

     

    Droit de retrait de Paperblog

    depuis le 24 mars 2013

    Merci de ne plus télécharger mes textes et photos

     


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  • Eolienne

     

     

     

    « Nul ne peut écrire s'il n'a le cœur pur

    s'il n'est pas assez dépris de soi,

    dit-elle dans sa lettre à Semprun. »

    Claude-Edmonde Magny

     

     

    Il n'est pas nécessaire que tu sortes de ta maison.

    Reste à ta table et écoute.

    N'écoute même pas, attends seulement.

    N'attends même pas, sois absolument

    silencieux et seul.

    Le monde viendra s'offrir à toi

    pour que tu le démasques,

    il ne peut faire autrement,

    Kafka.

     


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  • Monika Sosnowska

    Installation view in modern institute

    Glasgow 2004

     

     

    Réécriture de Le Hammam (10 novembre 2006)

     

     

    Acte I

    (Dans une salle de repos, une fille écrit. Un homme la regarde. Elle relève la tête. Il lui sourit discrètement).

    Vous écrivez votre journal ?

    Non, juste une phrase, enfin une qui ait du sens.

    Vous voulez parler d'un dialogue : qu'il ait du sens, pour moi par exemple ?

    Non, je veux parler d'écriture. Je voudrais parler du lien délivrant. Je voudrais raconter la dépendance, qui n'en finit pas. La fusion. Peau d'Ane, sans lien ni rien.

    Peau d'Ane, le conte. Ah, oui, l'inceste ?

    Peau d'Ane n'est pas une histoire d'inceste. Il y est question de l'individuation.

    Individuation ?

    Oui, elle cherche la question, qui ne trouvera pas de réponse chez l'autre. Sa question à elle, celle qui la fait absolument originale, qu'il ne pourra réduire à néant. Elle ne veut pas entrer en fusion avec cet homme, son père.

    Mais ce père veut l'épouser. Elle lui oppose des obstacles et il a réponse à tout.

    Oui, justement. Elle lui demande toujours plus, la robe couleur du ciel, puis celle du temps, et enfin celle du soleil. Vous remarquez la progression. Elle essaie de trouver l'inimitable. Mais lui, rien ne le rebute. A ciel, il suit.  Pour le temps, c'est déjà plus difficile, mais il ne passe pas. Même pour le soleil, il sait faire. Il a tous les atouts dans son jeu. Elle le défie de créer l'irreprésentable. Elle le sait qu'il faut le confronter à ça, que la confusion des générations, c'est impossible. Et lui ne renonce devant rien. Et c'est ça son drame, comment pourrait-elle contester la splendeur du travail fourni ?

    Mais pour l'âne, hein, pour l'âne. Il ne s'agit pas de représentation ? Pourquoi demande-t-elle la fourrure de l'animal ?

    Elle veut le punir. Vous comprenez, quelque chose qui l'arrêtera. Elle lui demande de choisir entre le pouvoir, les fastes et elle. En espérant que cela fasse frontière entre elle et lui. La seule chose qu'il ne devrait pas pouvoir lui donner. Elle veut dire « stop » à l'anéantissement par le don. Faire cesser cette ronde infernale des cadeaux qui l'écrasent.

    En tout cas, cela ne marche pas.

    Lui est dans une telle confusion, que rien ne l'arrête. Elle voit bien qu'elle n'y arrivera pas. Elle décide de fuir.

    Comme vous ?

     _______________________________________________________________

    Acte II

    (Elle est allongée et fume une cigarette. Il la contemple.)

    Qu'avez-vous fui ?

    J'ai fui la Confrérie du Globe.

    La Confrérie du Globe ? C'est une secte ?

    Non, c'est une famille. Enfin oui.

    Pourquoi l'appelez-vous ainsi ?

    La Confrérie du Globe, c'est un espace clos, sans hiérarchie. On y est tous frères et sœurs.

    Pourquoi ce nom grandiloquent. Confrérie du Globe.

    Parce que c'est puissant. Vous êtes dans une sphère, une enveloppe. Vous êtes claquemurée. Mais c'est à votre insu. Vous ne vous doutez de rien. Cela n'a ni forme, c'est incolore, inodore. C'est mou aussi. Vous pouvez tenter d'avancer, d'en échapper. L'enveloppe se déforme, s'allonge, vous donne l'impression que la route est ouverte. Mais soudain, l'angoisse vous assaille. Le doute vous prend. Alors, vous rebroussez chemin. Quand on rebrousse chemin, on croit agir de son plein gré. Et bien, cette enveloppe-là agit sur moi pour me décider à rentrer au bercail, comme si j'étais libre. 

    Ce n'est pas réel ? De quelle nature est cette enveloppe ?

    C'est une gangue. Elle emprunte ma forme et celle des autres enveloppés et nous enferme à l'intérieur du Globe.
     
    Que voulez-vous dire ? Emprunter votre forme ? l'intérieur du Globe. (Il pousse un soupir de découragement).

    Imaginez une enveloppe qui soit autour de vous, en vous, au milieu de vous, qui vous parcourt de bout en bout, enfermée comme dans une bulle de savon, qui ne cède pas à l'air. Vous croyez être un, indivisible quoi. Et vous êtes en fait fondu dans le tout. Un tout que vous ne sentez pas, inoxydable, inattaquable, insubmersible, incassable, mais insensible. Vous ne pouvez que l'approcher par déduction. En fait, c'est un milieu. Et comment peut-on savoir qu'on vit dans un milieu, quand on n'a jamais connu que cela. C'est autour et c'est dedans. En vous.

    Vous êtes un peu mystique, ésotérique ? Ah, non, je sais « new age » ! Ce n'est pas ces histoires de cosmos. Non ?

    (Elle reprend ses esprits, sourit plus amène). Excusez-moi. C'est la première fois que vous venez ici ?

    Oui, j'avoue que je ne me doutais pas de ce qui se trouvait derrière la façade.

    Oui, de la rue ça ne paie pas de mine, mais à l'intérieur, c'est la douceur de vivre. C'est votre premier bain en hammam ?

    Oui, dans ma famille, mes arrière-grand-pères allaient aux bains-douches. Mes grands-parents se lavaient dans la cuve de cuivre à la cuisine, un broc d'eau chaude dans une main, un broc d'eau froide dans l'autre main. Moi je suis né à l'ère de la salle de bain. On l'a fait construire quand j'étais enfant. Mon premier bain a été un vrai bonheur.

    Oui, c'est bon, un bain. Et vous aimez ici ?

    C'est un peu insolite. J'aime les mosaïques, le bleu. Les fresques sur les banquettes. Oui, je crois que j'aime bien. (hésitant). Le hammam, c'est un peu comme votre enveloppe. La vapeur d'eau vous entoure, vous pénètre.

    Oui, mais l'eau n'empêche pas de sortir.

    Vous en êtes sorti de la Confrérie du Globe ?

    Le Globe est toujours là, dans ma tête, dans mon corps. Je crois être sortie et je le débusque tel un fantôme, toujours bien présent. J'ai un pied au-dehors. Mais je suis souvent tentée de me lover dans l'enveloppe. Cela protège de l'extérieur.

    Votre histoire d'enveloppe, cela fait penser à un bébé. L'utérus. Le fœtus s'y trouve, comme dans un gangue. Puis la poche de placenta rompt, la mère perd les eaux, le bébé naît. Il y a là un cycle, qui conduit à sortir inéluctablement au bout de 9 mois. N'est-ce pas le fantasme de votre naissance que vous revivez ?


    (agacée) Le fantasme de la naissance ? Vous croyez que je pense au rebirth ? Cela vous rassure de mettre votre propre métaphore sur mes histoires de globe, d'enveloppe. Alors, si vous voulez une image, pensez plutôt à la chenille processionnaire, cette immonde gangue, répugnante, cette chenille qui dévore tout sur son passage. Voilà, vous serez plus prêt de ce que je ressens.


    (penaud) Excusez-moi. Je ne suis pas très versé dans la psychologie. Je ne suis pas un habitué des conversations de ce genre. (pour lui) Toute cette sensiblelité..(s'est rattrapé de justesse).

    (Il s'étale mollement en se frottant le ventre).

    Elle le regarde.

    Vous, c'est le contraire. Vous vous vautrez dans la réalité.

    Voilà les gros mots, maintenant. (Il se met sur le côté et lui sourit gentiment). Oh, je ne voulais pas vous heurter.

    (Il se met sur un coude).

    Vous dites que je me vautre dans la réalité, en fait j'y vis, je m'attache aux faits, à tout ce qui se voit, ce qui se touche. Mon esprit est un système neuronal, mes pensées des connexions. Voilà ce que je vois. Et pour l'imaginaire, je ne m'y attache pas, ce sont pour moi les scories de la pensée, l'entropie du système, un reste à jeter. Si je devais m'y arrêter, je n'aurais pas de temps pour vivre.

    (Satisfait de lui, il se remet sur le dos).

    (Elle sort de la salle).

     

    _________________________________________________________________________________________

     

     

    Acte III

    (Elle sort du hammam)

    J'peux vous offrir un thé ?
    (Zut, il est là, celui-là !)


    Oui, si vous voulez.
    Là ? (Il désigne en face du hammam un café égyptien, un grand narguilé d'or peint sur la vitrine, et des petits rideaux en brocard de Damas, rouge, marron et doré à fines rayures).


    Pourquoi pas ?
    (Pourquoi elle accepte ?)


    C'est quoi vot'moto ?
    Une routière, une allemande. Une BM. Vous voulez les caractéristiques techniques ?
    (Il a repris un ton narquois).


    Vous êtes désagréable. Pourquoi vous m'invitez ?
    Je n'avais pas l'intention de vous embêter tout à l'heure au hammam, je voulais vous aider.
    (Il lui tend son paquet de Benson et Hedges Platinum, tiens, les moins dosées, et lui allume une cigarette). 


    Merci.
    (Quand il lui a présenté la cigarette, elle a senti sa peau douce).
    (Il lui jette un regard. Elle hésite. De chasseur ?)


    Un thé à la menthe ?
    Oui.


    Deux thés à la menthe, s'il vous plaît. (Voilà, il est parfait, organisé, lui demande son avis, passe la commande, ça commence).
    (Il la regarde. Elle regarde son regard. S'il compte sur elle pour faire la conversation, il se trompe. Elle n'aime pas les chasseurs, ni les hommes qui prennent en charge les nanas).

    Mon père m'a toujours dit de rester autonome.

    Ca veut dire quoi ?

    Libre, quoi, indépendante.


    Ca comprend quoi au juste cette autonomie ? Le café, vous avez le droit de le prendre avec quelqu'un ? Ou bien c'est vous qui payez peut-être ?
    (Elle se sent prise à son propre piège).


    Oui... ça m'arrive de payer, pour ne pas me sentir redevable.

    Pour un thé à la menthe, vous sentez quoi, que vous devez passer à la casserole, pour un thé à la menthe ?
    (Il paraît un peu énervé)

    Passer à la casserole, vous voulez dire le sexe ?

    Je ne sais pas moi, vous me parlez d'indépendance. Il y a quand même des choses qu'il vaut mieux faire à deux, non ?

    Oui, bien sûr. Mais en général, cela ne me réussit pas beaucoup ce genre de truc.

    Truc, quel truc ?

    Le sexe. Les hommes croient toujours que nous les femmes, on veut une histoire, en fait non, on veut sentir une peau sur sa peau pendant quelques heures. Pour se réchauffer, se sentir moins seule.


    D'une, vous n'êtes pas toutes les femmes. J'en connais qui veulent bien d'une histoire. Et puis permettez-moi de vous dire que pour ce que je pense, j'en suis seul juge, non ?


    (Elle en a assez, elle se ridiculise, comment a-t-elle pu dire autant de nullités en si peu de temps).


    Si je vous dis cela, c'est que je le vis régulièrement. Cela commence légèrement, puis cela se termine en pataquès.


    Ecoutez, je n'ai pas le goût du pataquès. Et rassurez-vous j'aime bien les femmes indépendantes.


    Autonome, plutôt. Mon père m'a dit un jour, tu dois être autonome. En fait, c'était un ordre. Donc soit je deviens autonome, me débrouille toute seule, mais comme je lui obéis, je ne suis pas autonome. Soit je m'attache à quelqu'un et alors je ne suis plus autonome, mais en fait je le suis, puisque je désobéis à mon père. Vous voyez, une injonction paradoxale, impossible à réaliser.

    (Coup d'œil effaré de lui. Elle s'enfonce).


    Je vais d'abord boire mon verre de thé, vous voulez bien, puis vous m'expliquerez cela.


     _____________________________________________________________________________________
     Acte IV

    Vous n'avez pas compris ? C'est pourtant simple. C'est ce qu'on appelle la double contrainte. Je ne peux pas choisir une solution, sans choisir l'autre en même temps. J'ai tort dans tous les cas. Bref, c'est l'impasse. Je suis dans une impasse.


    Dans mon métier, on apprend que les impasses, faut les dépasser. 

    Les dépasser ?


    Oui. Une impasse n'existe que parce qu'on se pense dedans.


    Mais je n'ai pas le choix. J'y suis dans l'impasse.


    C'est une question de regard. Si vous vous déplacez, si vous voyez les choses d'un autre point de vue, vous n'êtes plus dans l'impasse.


    Mais dans ce cas, je ne suis plus moi. Moi, c'est mon regard sur les choses, non ?


    Alors, disons que votre moi peut changer de point de vue.


    Ecoutez, vous me semblez un peu trop sûr de vous. Notre marge de manœuvre est quasi-nulle dans la vie. Changer de point de vue c'est le chemin de toute une vie. Cela ne se fait pas en deux secondes.


    Quand on est dans une impasse, on peut vouloir l'explorer en long en large, s'y complaire. Ou remonter en marche arrière, très vite et en sortir.


    Oh, je ne suis pas aussi maligne que vous, puisque moi ça fait longtemps que je suis dans la nasse. C'est le principe du nœud coulant, plus je bouge, plus ça serre.

    Vous connaissez l'histoire des deux petites mouches prises dans un pot de lait ?


    Euh, non.


    Deux petites mouches sont tombées dans un pot de lait. L'une se contente de nager. Elle coule épuisée au bout d'un moment. L'autre ne cesse de bouger de toutes ses forces, plus elle bouge, plus elle bat le lait qui finit par devenir du beurre. A la fin elle saute à l'extérieur, en s'appuyant sur la surface du beurre. C'est pour vous dire qu'il faut réagir et sortir de l'impasse.


    Mais c'est utopique. L'apologie du mouvement, de la lutte...


    Moi j'y crois, à la vie comme sport de combat.


    C'est un truc de mec.


    Vous savez quoi, vous êtes déprimante. Tiens, à votre santé. (Il trinque avec son verre multicolore).


    (Elle se sent nulle, mais elle trinque).(Ce type l'énerve, parce qu'il n'a pas de problème, en tout cas, il a l'air d'avoir les réponses).
    (Il l'énerve surtout parce qu'il froisse sa vanité : elle aime bien ses pensées, elle les trouve intelligentes, lui, il s'en fout).


    Vous qui savez tant de choses, c'est quoi votre métier.


    Ingénieur, je suis ingénieur.


    Ah, vous faites dans la technique, ah je comprends mieux. 

    Qu'est-ce que vous comprenez ?

    Vous, les techniciens vous passez votre temps à corriger les défauts. La technique, ça n'est que ça. Un travail mécanique, corriger les défauts et réessayer jusqu'à ce que ça marche. 

    Ce n'est pas une si mauvaise définition, vous savez.


    Mais vous faites pareil avec moi. Depuis que je vous connais, c'est-à-dire exactement deux heures (elle regarde sa montre) et trente-deux minutes, vous passez votre temps à corriger mes défauts. Mais les vôtres, hein ? Les vôtres, vous ne les voyez pas.

    (Il se tait).

    Ben, je vais vous dire ce qu'est un technicien. (Il attend).

    Un obsessionnel, qui ne voit que les procédures, les étapes-clefs, l'enchaînement des actions. Un maniaque, qui passe son temps à tout border, mais qui ne voit pas l'essentiel arriver. Un jaune, un social-traître, qui trahit l'esprit pour la matière, l'idéologie pour l'efficacité. Tout cela au nom de la belle ouvrage.


    Mais pourquoi tant de haine, Madame ? (Il a dit cela sur un ton mi-sérieux, mi-ironique).

     

     ______________________________________________________________________________________

    Acte V


    (Elle est seule. Elle s'ennuie. Il entre).

    Ah vous êtes là.

    Vous aussi apparemment. 


    (Elle) Vous avez fait un gommage avec la grosse Nora ?


    Non. J'avoue qu'elle m'impressionne un peu. Elle est très énergique non ?


    Il le faut pour un gommage. Cela revigore.


    Mmum. (Il étend sa serviette et s'allonge avec un soupir de bien-être).


    Vous venez souvent, on dirait ?

     

    De temps en temps. Je viens pour penser.


    Penser. Ouais, j'avoue que moi, euh, j'ai pas trop le temps. Je vis à cent à l'heure.


    Et qu'est-ce qui vous a donné l'envie de venir ici ?


    C'est ma voisine. Elle va souvent au hammam. Hier, je suis rentré épuisé, le dos en marmelade. Je m'étais levé à 5 heures du matin, j'ai fait Paris-Marseille. Toute la journée en séminaire. Et le soir, comme tous les vendredis, le dernier Shuttle avait une heure de retard. A dix heures, elle m'a entendu gémir sur le paillasson. Elle a ouvert la porte, m'a invité chez elle, m'a préparé un bol de soupe. Et m'a dit : Toi, tu vas me faire le plaisir d'aller au hammam demain matin. Et me voilà.

    Votre voisine, hein ?

    Oui, ma voisine, Sandra, lesbienne et fière de l'être.


    (Décidément, il ne la rate jamais. Elle, se sentant de nouveau dans la bêtise objective). Vous allez mieux ?


    Lui sa main sur le ventre en tapotant sa toute petite bedaine.


    Cela va bien. Merci.


    Elle, hésitante


    Pour l'autre jour, euh, excusez-moi. Je n'aime pas qu'on me prenne pour une dingue.


    J'ai repensé à votre truc. C'est pas faux. Cela m'a fait réfléchir. Finalement, vous n'êtes pas si dingue que cela. (Il sourit).


    (Elle respire plus légèrement. Mais c'est fou, il suffit qu'il dise un truc et elle se sent soit illégitime, soit rassurée. Elle fronce les sourcils).


    Voilà que votre visage s'assombrit à nouveau. Ne me dites pas que vous êtes de nouveau en colère. Je ne sais plus quoi vous dire moi. Je vous dis que nous n'êtes pas dingue, ça va, ça, non ?


    Vous n'êtes pas l'arbitre des élégances, ça n'est pas à vous de dire si je suis ou pas dingue. Je suis moi et vous n'avez rien à dire. Vous êtes dans le jugement. C'est comme la morale, le bien, le mal.


    Ah l'axe du mal, vous me taxez de bushiste maintenant. Je ne sais pas ce que vous avez, mais vous arrivez toujours à me foutre en colère. (Il se retourne). (Ca y est, elle a encore tout faux. Elle sent que cet homme est à l'exacte limite de son seuil de tolérance. Il est macho, il n'a pas de doute sur lui-même, il pérore insupportable, mais il lui plaît). (Elle baisse la tête, hésitante).

    _______________________________________________________________________

    Acte VI


    Vous croyez aux amitiés qui deviennent des amours ?

    Oui. J'ai déjà vécu cela.

    Mais vous n'êtes pas en couple en ce moment ?

    Non.

    Alors, cela n'a pas duré.

    Non.

    Pourquoi ?

    Parce que la passion est arrivée pour quelqu'un d'autre.

    Ah, parce que vous vous ennuyiez ?

    Non, je n'avais jamais connu de passion. Alors j'ai été fascinée.

    Vous voulez dire que la passion est plus intéressante.

    Oui, au début, elle vous révèle à vous-même. Elle pointe votre état de décomposition, elle finit toujours par vous indiquer vos limites. La formidable bouffée d'oxygène, puis, vite, elle devient étouffante, elle brûle tout sur son passage. On ne vit rien de réel dans la passion. C'est un pur fantasme. La passion c'est un ravage.

    Oui, je suis d'accord.

    Ah, vous connaissez aussi ?

    Oui. J'ai mis trois ans à m'en remettre.

    Dépression ?

    Non, je me suis plongé dans le travail.

    Ah, oui, votre réponse habituelle : la technique. Corriger les défauts, pour se libérer de tout ce qui est mal allé.

    Oh, arrêtez-vous. Vous me fatiguez. La technique, c'est un métier comme un autre. Et le travail, c'est le meilleur antidote contre le chagrin d'amour.

    Vous en êtes sortis il y a longtemps ?

    Oui, depuis plus d'un an. J'ai vécu quelques mois une histoire sans lendemain. Maintenant, je vais bien.

    Heureuse de vous l'entendre dire.

    Et à propos, j'ai acheté des huîtres délicieuses et j'ai pensé à vous.

    Des huîtres, pourquoi vous voulez m'apporter des huîtres ?

    Je viens de vous le dire, j'en ai achetées et c'est mieux de les manger à deux, non ? J'ai un petit ostréiculteur qui installe son étal le samedi matin en bas de ma rue. Il fait des huîtres royales, à la fois savoureuses et nourrissantes.

    (Hum, délicieux, j'adore les huîtres). Vous voulez qu'on mange des huîtres maintenant ? (Des huîtres, hein ? En est-elle une huître ? Qu'il veuille l'ouvrir à tout prix ?).
     
    Oui, on peut aller chez moi, manger des huîtres.
     
    Chez vous, manger des huîtres ?
     
    Alors c'est oui ou c'est non. Ne me dites pas que c'est contre votre philosophie de l'autonomie.


        _____________________________________________________________________________________

    Acte VII
     

    Non, des huîtres, oui, enfin, je veux dire, pourquoi pas. 
     
    Oui. J'ai tout préparé à la maison, une bonne bouteille nous attend, un vin d'Alsace. Du Gewurz.
    (Elle sent l'invitation se refermer comme une nasse sur elle. Elle décide de réfléchir pour savoir ce qu'elle veut vraiment). Je vais réfléchir. A tout à l'heure, je vais au massage chez Nora.
     

    OK. (Il a l'air rassuré). (Quand elle se retourne avant de fermer la porte, il est étendu sur le banc de mosaïque).


    (Mais réfléchir avec les mains de la grosse Nora sur elle, c'est un problème. Elle frotte dur, même pas dans le sens de la colonne. Elle va lui tordre quelque chose, c'est sûr.).


    (Manger des huîtres n'engage à rien. En plein jour. Pourrait être un sérial killer. Non, elle n'y croit pas. Trop articulé, sent trop la bonne petite névrose obsessionnelle. Enfin, on ne sait jamais. Prévenir Marion, pour qu'elle puisse l'appeler sur son portable, au cas où ça n'irait pas. Non mais elle est folle, si elle a un doute, elle ne devrait pas y aller. En fait elle n'a pas de doute, elle se protège juste au cas où).
     

    (Elle revient et s'étend mollement sur sa couche).
     
    Alors, c'était bien avec Nora ?
     
    Oui, un peu trop énergique à mon goût. Mais ça va. (Elle se retourne et s'endort quelques minutes, puis se lève et lui fait signe). Vous me donnez quelques minutes, il faut que je passe un coup de fil. Et après on y va.
     
    Pas de soucis. Je vous attends.
     
    (Elle appelle Marion. Mais personne ni sur son portable, ni chez elle).

    Il la rejoint. Tout va comme vous voulez. (Elle, regard effarouché).
     
    Bon, je vais chercher ma moto. Vous êtes motorisée ? 

    Non.
                

    _________________________________________________________________________________________

    Acte VIII
     
    (Il arrive sur son destrier gris argenté).

    (Une anglaise, bon goût. Mais il m'avait dit qu'il avait une allemande, n'importe quoi)

    Vous montez ?
     
    Euh, j'ai réfléchi. Je voudrais rentrer chez moi me changer. Vous ne voudriez pas plutôt venir à la maison ?
     
    Ah, oui, je vois. Si vous voulez. Je repasse chez moi, je prends la bouteille, les huîtres et j'arrive.
    (Ouf, ça a marché. Il n'a pas l'air de se douter de sa trouille. Ou il fait semblant. Enfin, l'essentiel, c'est de jouer la montre.)

    Voici mes coordonnées. On se retrouve, mettons vers 20 heures ? (Non, mais là elle est folle, seule, la nuit, avec un inconnu, en privé en plus, mais qu'est-ce qu'elle a ?)
     
    D'accord. A tout à l'heure. Vous ne me posez pas un lapin, là ?
     
    Non, vraiment, je prépare un apéro. Et puis un dessert. On fera une petite dînette.
     
    Bon, bon. Entendu. A tout à l'heure.


    (Il redémarre sa moto. Pétarade.)
     
    (Bon, maintenant, il faut qu'elle joigne Marion et Romain, son voisin. Qui surveillera. On ne sait jamais).

    (Un inconnu. Jamais vu avant. Pas repéré dans le réseau de copains. Même quand ce sont des copains de copains, on a parfois des surprises.)


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  • Christian Boltanski et Annette Messager

    Voyage de noces à Venise 1975

    21 esquisses et photos

    Courtesy Galerie Mariann Goodman, Paris, New York

    FIAC 2008

    Crédit photo Anthropia

      

    Quand on sature le symbole, il perd de son sens.

    21 fois le fameux petit restaurant de poisson,

    21 fois l'extase du matin,

    il y a comme une lassitude,

    une industrie du tourisme de rêve nuptial

    qui ferait comme un rejet,

    une subite envie de vomir,

    le Venise des cartes postales

    des jeunes couples en recherche de sens,

    vous avez beau creuser,

    vous ne trouvez que non-sense,

    mais au détour, vous repérez

    que la beauté nue sur le lit

    vous fait vaguement penser à un peintre fameux,

    le pastel du restaurant de poisson

    met en oeuvre un outil

    d'ordinaire davantage dédié au paysage,

    et puis qui dresse le cadre de la tendre promesse,

    tout est mise en scène,

    les même photos mille fois prises,

    tout est faux, tout est faussé,

    cherchez l'erreur dans l'accumulation et dans le procédé.

     


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