• film de Nacer Khemir








    Partir au désert, marcher sur les traces de personne.

    Vous allez à la Réunion ?

    Oui.






    Connaissez-vous le chemin ?

    Non. Celui qui a confiance ne se perd pas.

    Ichtar, la petite-fille et son grand-père, font le chemin de vie, escaladant les dunes, le grand-père transmettant à la petite-fille les savoirs de son art, celui d'un derviche.

    Le sable est partout, il protège des tempêtes, il recouvre le vivant, il s'efface pour revenir sous le balais fantaisiste.

    Le sable comme symbole des secondes de nos vies, envahissant notre quotidien, égrénant les instants de milliards de cristaux.

    Puis, l'humain. Dans ce film, l'humain trébuche, l'humain émerge, l'humain est un miracle de cette nature hostile, l'humain désire et poursuit la gazelle, sa chimère toujours là pour le perdre.

    Comment parler d'un film-symbole, d'un film soufi qui nous conduit vers la sagesse des derviches. En se glissant comme la petite Ichtar dans la musique pour la danser des bras, du cou, du corps qui tourne.

    Ichtar aime les histoires et nous aussi.

    Avec elle nous écoutons l'histoire du Prince qui contemplait son âme dans l'eau d'une flaque. Nous découvrons le secret du derviche roux qui cherchait un puit pour retrouver son palais. Nous accompagnons le jeune homme qui recherche sa bien-aimée, qui lui a volé ses vêtements au lendemain d'une nuit d'amour.


    Des histoires de fous, des histoires de pauvres, des histoires d'illuminés, plus savants que les plus savants.


    Un film qui ne nous quitte pas, qu'on veut revoir et revoir, pour imprimer ces petites phrases, viatique de la vie de l'esprit.


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    Couverture 7 - Magazine Off Shore - art contemporain


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    Couverture 6 - Magazine Off Shore - Art contemporain

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    Rodzina - Marta Deskur (droits réservés)



    Artiste polonaise


     


    De Marta Deskur, j'ai acheté une oeuvre, toute simple. Une photo de femme voilée sur carrelage, une femme vue de dos, le voile artistiquement photographié. En fait est-ce une femme, nul ne le sait, c'est simplement la vision érotomaniaque d'un plissé d'étoffe, disposé en forme de voile vu de dos.


    Le cliché d'une femme dont on ne cherchera même pas à voir les yeux, tant l'interdit revendiqué de ne rien montrer est fort. Et ce cliché est développé sur un carreau de faïence, blanc, de ceux qu'on voit dans les salles de bain, les simples pièces d'eau, blanches ordinaires. Contraste de la photo religieuse sur le support lavable.


    Dans la salle d'intimité, au lieu du corps nu, apparaît le corps enveloppé, caché. Le corps caché dans la salle de bain. Même là où la femme peut se dénuder, elle est encore couverte. Pas d'accès à soi. Pas de lien à sa propre nudité. Devant ton miroir, ne te découvriras pas. Mémoire de couvent des jeunes filles occidentales des années cinquante. Actualité des femmes d'outre-terre.


     


    Marta Deskur nous parle de la femme dans la modernité étrange, dans la modernité où malgré tout elle est encore soumise.


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  • Au Café Intimité d'Ivry, on rencontre le monde entier. Le lieu n'est ni un lounge bar, ni un salon de thé. C'est un Kneippe, façon allemande ou autrichienne, un café comme chez soi, avec de longues tables et la perspective de croiser Untel ou Untel qu'on ne connaît pas.


    L'autre soir, Juan le Sud-Américain me fût présenté. Il dirige le magasin de décoration latino à Ivry. Juan n'est pas tout jeune. Il est arrivé en France au XXème siècle, dans les années soixante.


    On parle de tout, de rien. De la bretelle qui passe devant son magasin et que la Mairie veut mettre en sens interdit. Comment les clients viendront chez lui, s'ils ne peuvent se garer à côté. Comment sauront-ils qu'il existe si leur route ne passe plus devant le magasin. La Mairie a bien organisé une réunion, mais un samedi matin. Pour les magasins, le samedi matin, c'est le jour impossible, pas de réunions, pas de rendez-vous. Le samedi matin, c'est sacré pour les clients. Bon, ce n'est pas grave, une autre réunion aura sans doute lieu et les commerçants pourront dire leur dol et tout ira très bien.


    Est-ce pour cela qu'il se met à me raconter son passé ?

     
    Son histoire est toute alourdie par l'histoire de son père. Enfant, il vivait avec celui-ci dans la vallée de Yucay. Son père était un fermier d'origine italienne qui travaillait pour un Italien. Et tout allait bien. Bon an, mal an, on ne s'en sortait pas trop mal, à cette époque de l'entre-deux-guerres, productions multiples, ça se vendait bien.


    Puis Hitler signa un traité avec Mussolini et les Italiens du Pérou furent expropriés. Le père de Juan vit racheter la terre qu'il travaillait par un Japonais. C'était avant Pearl Harbour, les Japonais étaient les alliés des Américains.


    Alors le père se fît expolié. C'est le mot de Juan. Expolié. Et je l'ai repris, comme cela dans la conversation. Il me semblait évident ce mot. Expolié. Comme si je l'avais toujours entendu, j'étais même sûre qu'il existait dans le dictionnaire, résonnant comme spolié et comme expulsé tout à la fois.


    Un mot de lutte pour parler de la mobilisation de ces Italiens contre l'expropriation, ne pas se voir confisquer leurs terres, sur la base de ce qu'un dictateur, là-bas, très loin, avait pactisé avec le diable.


    Un mot compliqué qui fit que le père au lieu de mettre les baux ruraux au nom de son épouse péruvienne, tête de pioche, décida d'assumer son italianité face à tous pour le pire.


    Un mot alambiqué pour dire l'imbroglio juridique qui fit que son père intenta par dignité et pour défendre ses droits un procès à son propriétaire le Japonais, procès qui dura jusqu'après la mort du père, la mère restant seule pour se battre.

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    Un mot dur pour raconter l'impossibilité de rester sur les terres qui vous ont vu naître et la nécessité de refaire sa vie quand on a soixante ans.

     
    Il arriva du Pérou en 1960, Juan, issu d'une vallée d'Italiens qui furent expulsés par les Japonais avant que ceux-ci ne le soient à leur tour. Il s'installa à Ivry, ouvrit son magasin, fit de l'import export.


    Quarante années en France. Mais quand on rencontre Juan, quand on lui dit plus de deux mots, quand on engage une conversation, c'est le Pérou qui revient et cette histoire des années quarante. Avant que Pearl Harbour ne fasse aux Japonais ce que l'axe Rome-Berlin avait fait aux Italiens.


    Ce qu'il a appris, Juan, c'est qu'à une ou deux générations, on est pour toujours d'où l'on vient. Et Juan est comme son père, il revendique son histoire de Péruvien. Comme son père, enfin pas tout à fait.





     


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