• Reportage sur un club d'aviron

    crédit photo anthropia # blog

     

    (suite de Casse-auto #3)

     

    Ils vous ont relâchée, mais d’abord, l’origine, il veut voir, interruption par la police, ils ont dit madeleineau, trop petite, vous vous relevez, vous appuyez d’un coude pour le voir contempler, presqu’un tacon on est, à peine sortie de la frayère, scruter mon origine d’où t’es née ?, la première journée en mer, il est là l’ours, tout près, et vous auriez quitté la rivière, même pas trouvé de capelans sur le site d’engraissement, vous cabotiez le long des golfes clairs l’âme légère, il dicte, vous les yeux baissés, vous étiez première, enfin je croyais, vous aviez tout à conquérir, et puis non, mais il faut que ça cesse ce lent apprentissage, vous l’affrontez, le voir, entendre, sentir, goûter, presque grande quoi, vous depuis vos fosses vous surveilliez, vous croyiez maîtriser, et là il est passé, les trois premières secondes vous osez, et tiens cette mouche, cet éclat, à la troisième je crois, la rouge, l’est pour vous, vous avez pris l’élan, vous l’avez accrochée, et puis vous retombez, accepter le départ, lâcher-prise. Ça pique, c’est ça la déchirure, et le sang qui clignote, c’est le rouge un signe que la couleur revient, ça pique, on croit que non, et puis ça tire aussi, on t’emporte, la proie suis devenue, m’ont hissée au filin, l’avançon, toute tentative de sectionner le lien sera sanctionnée de giclure pire encore, envie de reculer, de lui échapper, je n’y vois plus, lumière polarisée, où je suis là en l’air, flottant comme un drapeau, dans la nasse déjà, mon terrain c’est l’eau, c’est la douceur, la vague, le corps à quoi résiste un courant, une caresse, j’ai ma part là, mais pas là-haut malmenée, j’ai besoin de cachette et lui de m’en extraire, c’est son phare dans ma gueule, le leur enfin, mais lui sans eux enfin, ils sont là tout à coup m’ont saisi à pleins bras, moi au féminin, je bouscule, je m’ondule, vous voulez faire l’anguille, mais ont arrimé le corps de la saumonette, dans le filet déjà. Qui va me rédimer. Ils vous ont mesurée, la longueur et la taille, vous sentiez le sang couler près de l’œil la narine et puis la gueule aussi, le triangle qui s’affaisse, votre seule tête est là et on vous la prend, pas de son quand l’onde vibratoire ne cogne aucun signal, sans musique vous étiez, le monde est infernal, sa musique est en vous, vous savez toujours la reconnaître quand vous l’entendez, mais là ça postillonne, ça gravite, ça dit haut et fort plein de mots, mais ça ne parle pas le brouhaha du monde.

    Et puis m’ont relâchée, rejetée plutôt à la mer, mes écailles impavides quand mon corps fendait l’air, rejetée en arrière, pas d’angle de vision, encore sanguinolente, il faut se basculer en trois mètres, c’est rapide, par la torsion, les muscles, mon fuseau s’engage volte face, redresser l’axe de pénétration, pas de plat, d’un réflexe salvateur je plonge à angle droit. Vous entrez donc direct la gueule encore blessée dans la bleue, un dernier éclair c’est l’éclat de surface, puis rendue à votre matière, vous frétillez, sauvée, là sous la ligne, la lumière a baissé, elle diffuse, elle est la douce fraîcheur, la tranquille évidence, ici je suis chez moi, mais vous poursuivez, mue par vous ne savez quoi, il est un rendez-vous que la survie vous donne, tout à coup vous plongez un peu plus que d’ordinaire dans la froide profondeur, ici moins de repères, est-ce le bon chemin, plus haut vous aviez retrouvé votre odeur diluée, votre vision à trois cent degrés, votre coup d’œil à quinze mètres, vous espériez le mouvement des objets pour ajuster à soixante centimètres, le calcul peut-être encore la chasse, quelques crustacés feraient bien votre affaire, mais la trajectoire a été plus longue que prévue, c’est l’abolition de toute couleur qui fait sas, votre rêve, une plongée dans l’obscur, rien de négocié, vous vous enfoncez, vous tournez le dos à la pêche, le quittez, est-il encore là à tenir le filin, il suit à distance, vous entrez à l’intérieur d’une fosse très large, vous ne pensez pas, le saumon ne pense pas, mais ici ne sent plus, ne voit plus, ne goûte plus, le saumon va aveugle vers le champ du passé, mais que vois-je une lueur tout au fond, un halo qui appelle, si loin, faut-il donc traverser, vais-je oser, vous n’avez pas le choix, seule luciole ici-bas, votre nageoire oriente, le corps prend le courant, position descente presqu’à la verticale, c’est si loin encore, coups de queue, vous seriez presqu’au fond, mais dessous encore à tracer, la lueur comme une flèche, ça dure et dure encore, le froid s’est précisé, vos écailles épousent la parfaite forme de votre être, la lumière insiste, de ce bel oranger diffracté mais réel, vous reprenez courage, allez ça vaut la peine, quand vous vous heurtez sec à la roche taillée, des blocs du plus ancien, la vitesse vous a fait encore vous entailler, l’exercice signale qu’ici sont plaies multiples que vous croyiez cicatrisées. Le bloc, c’est un mur, la base d’une muraille, effondrée, ce sera le spectacle du Vivant, les ruines de son âme, la séductrice attention métaphore vous empoigne d'une main très douce gantée de veau ; elle vous conduit vers une venelle, jonchée de pierres de tailles de part et d’autre, c’est ça qui fait venelle, vous l’avez franchie cette étape quelques années plus tôt, vous l’empruntez le chemin qui grimpe là-haut, au loin est un village, lui aussi sous les eaux, très vite la sente serpente, se redresse dur et nous l’escaladons, elle joyeuse et vous, tout juste étonnée, le regard traîne en arrière. La tentatrice profite de l’absence du Vivant. Pfutt, leste et provocante, elle nous a fait disparaître. Nous montons, nous parvenons sur un plateau, un sentier de traverse nous accueille, plat, facile, le repos. Là, nous voyons ce qui fait le goût d’y revenir : le soleil hirsute sur les piquets flambants neufs de tentes kaki de militaires. Nous sommes dans un camp installé. De la promesse d'homme, de soldat, de virilité. Mais de ces hommes, aucun là. Nous sommes venues guetter les roches molles de calcaire, les sapins efflanqués, les courbes des prairies. Printemps en Franche-Comté. Nous n'avons qu'à nous laisser glisser à même la peau des arbres, ceux qui à terre s'étendent lascifs. La distraite s'allonge, en attente. Puis soudain, des rafales d'hélicoptères, ceux de la guerre, ceux de l'exercice, envahissent de leur ombre le silence. Les pales d'hélices noires. Qui nous font gémir les entrailles. Nous, aplaties, dans la terre meuble. Les camions de partout. Mais d'hommes, aucun là. Le constat qu'il y a eu guerre. Un grand chambardement, écrit quelque part une grand-mère que je n’ai pas connue. Une bombe à hommes qui n'aurait rien détruit, que les humains. Les aurait désintégrés. Pschtt, envolés. Mais tout parle d'eux. Les casernes de toile, juste abandonnées, il y a quelques minutes, le pain coupé, le beurre encore transpirant, un œuf qui gît au fond d'une poêle, c’est la maison du Vivant, ils sont tous au verger, là les bombes sont tombées. Tous tués. Et la pancarte, claudicante, épuisée de ne tenir qu'à un clou. « Dommage collatéral ». Le Vivant est absent, rejoins-nous, nous sommes revenues. Le gant est devenu rêche. Elle me tire en avant. Sur le sentier, elle accélère le pas et me tord la main dans son élan. Le foulard à pois noirs sur fond blanc, la robe, toute en corolle sur les hanches, elle est Vacances à Rome, mais jamais là pour moi. Redescendons dans la vallée. Elle me lâche enfin. Je marche dans les gentianes. Mes pas résonnent sur les cailloux. En fin d'après midi, lasses, nous décidons que nous agirons demain. Avons attendu qu'une annonce le signale, Vivant, quelque part, avons acheté le journal et consulté les annonces. Une petite annonce, nous aurions pu ne pas la lire. Ce n'est pas évident de retrouver un homme de cette manière. L'annonce aurait pu disparaître en journal à épluchures de pommes de terre, ou plus discrètement, dans la pile d'un documentaliste en retard de classement. Morts, les parents et la jeune sœur. J'aurais dû tous les jours sans faillir lire toutes les annonces de tous les journaux locaux. Nous n'aurions rien eu d'autre à faire, que lire les annonces pour retrouver mon père. On l'aurait retrouvé. Bien sûr. Mais absent.

    Quand votre gueule ouverte se redresse, votre œil avise enfin dans son champ angulaire le lieu où vous allez, c’est une grotte, au centre, l’autel d’où sortent des flammes, ça brûle ici, attention sacré. Mais le Vivant renaît, y a du défi, du combat, il va pouvoir y aller, deuxième chance, une presque morte gît là, Orphée son Eurydice, mais Eurydice, c’est sa fille, il n’y a pas d’histoire d’un père qui cherche sa fille, c’est l’histoire à l’envers qu’on trouve, il vient la chercher, c’est là qu’est le récit, vous êtes la chroniqueuse, qui vous en a chargée, la saumonette sort de sa frayère pour sa première journée dans la grande, et elle prétendrait faire le résumé, cent ans de solitude, et elle en queue de la comète, vient pour ponctuer ? C’était ça l’aventure. Pas d’autres questions dans la salle ? La trajectoire d’un Vivant qui se mourrait et qui décide d’aventure de se battre pour le corps d’une gisante ?

     



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  • Vexation island

    Rodney Graham

    Le Quartier, Quimper

    crédit photo anthropia # blog

     

    ça va encore bouger, mais ça permet ensuite

    de plonger dans un autre espace-temps,

    polarisée la lumière pour le poisson,

    donc il va se retrouver ailleurs

    sous la mer.

    Ce qui ouvre le temps.

    Et c'est ça qui compte.

    Et puis pour #4, la littérature omni-présente,

    lire et délire, comme objet sexuel avec lui,

    comme libération de la misère,

    comment ça arrive avec lui,

    plus fort que la musique,

    plus fort que le secret,

    écrire et lire le secret, plus fort que le secret.

     

     


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  • Reportage dans un club d'aviron

    crédit photo anthropia # blog

     

     

    III

     

    Rendez-vous à Anchorage. Prenez la route de Seward pour atteindre le village du saumon d'argent. Vous conduisez le long du Golfe d'Alaska, à l'ouest de Cook's Arm. Vous n'êtes pas seule. Le vent souffle. A Portage, de part et d'autre du highway, vous contemplez à perte de vue un paysage de lune. Le résultat d'un reflux. Celui d'un tsunami, un raz-de-marée qui s'est produit lors du tremblement de terre de soixante-quatre et qui, lorsque l'eau de mer s'est retirée, a laissé un glacis d'arbres noirs, givrés par le sel de mer. Imaginez sur plusieurs dizaines de kilomètres une forêt de troncs d'arbres et de branches exsangues comme ces violettes de cristal, prises dans le sucre, fossilisées pour l'éternité. Vous hésitez à nommer ce que vous voyez. Vous demandez à votre navigateur. Il vous dit juste ce que je viens d'écrire. Tsunami, des vagues de cinq mètres. Et vous voyez juste ce que je viens de décrire, des gisants d'arbres couleur de bakélite. Devant un tel paysage, perplexe, que peut-on devenir, géologue, climatologue, océanologue, analyste du chaos, théoricien des  catastrophes ? Peut-être juste poète. Mais vous n'êtes pas poète. Vous n'êtes rien. Votre histoire ne vous a pas appris que la vérité git dans l'esthétique. Vous croyez toujours qu'il y va des faits et, sous les faits, la justice et qu'il vous faudra traquer, trouver une piste et la suivre. Vous y tenir, surtout, ne pas lâcher.  Une scène vient. Qui n'a pas existé, mais qui est vraie. Quoi, un faux souvenir, une fiction ? Alors c'est ça la poésie, un paysage suscité, plus vrai que si vous y étiez ? Vous aimeriez pouvoir arrêter la voiture, dire on attend, restons un peu là devant les paysages, ils vous fascinent, ainsi de moi, ce pêle-mêle, mais le navigateur ne vous laisse pas le choix, vous devez continuer la route, le village nous attend et au port les amis, le petit bateau de pêche, vous dont les lointains souvenirs de pêche datent de votre enfance, en Suisse, Le Pont, c’est son nom, vous ne savez même plus avec qui vous avez pêché cette première fois, c’était sans doute en décembre, aux aurores, une très froide matinée, où le givre recouvrait les arbres, vous étiez debout, assistant au lent travail sur la mouche à accrocher à l’hameçon, c’est l’homme qui est à vos côtés qui procède à l’opération, vous n’avez rien d’autre à faire que de contempler cette partie de pêche de truite à la mouche, au lancer dit-il, tout vous est inconnu, qu’est-ce qu’une mouche, un moulinet, une canne, une épuisette, une truite, le lancer, vous voyez ce mouvement du poignet qui donne à sa canne l’allure d’un cornet tendu vers le ciel gris, vous regardez les objets autour de lui, sa boîte aux vingt mouches que vous l’avez vu confectionner la veille, ce matin, celle qu’il a choisie avec soin est grise, et se confond avec la surface de l’eau, vous observez chaque mouvement, et son impact sur la rivière, comment l’hameçon pénètre le plan horizontal et se laisse tirer par le courant, comment l’homme laisse faire puis reprend la main, cet incessant chassé-croisé continu et discontinu, le style du pêcheur, c’est ça que vous comprenez, et toute à cet autre que vous contemplez, vous ne ressentez pas ce froid jusqu’à ce qu’il vous saisisse, comme émanant de la végétation, suintant de la terre,  remontant le long de vos jambes, l’humide s’insinue sous vos couches de vêtement et s’empare de vos membres, l’humide est un concept, il n’a pas de matière, il pénètre sans en avoir le droit, sa main sur moi, quand on s’en rend compte, quand vous êtes déjà là transie, et qu’il vous faut vous ressaisir, se scruter, tâter ses membres éteints, son cœur sans souffle, sa peau fermée, vous êtes dans la nasse, il est déjà trop tard, peine perdue à vouloir changer le cours des choses, enfin, non, mais le chemin est long qui réchauffe l’humidité gelée en nous.

    Dans le rétroviseur, les derniers bras appellent encore que vous arrivez dans une petite ville, flash, l’homme laissé là-bas, d’ici, maisons de bois, bardeaux horizontaux, couleurs effacées, le gris, le jaune pâle dominent, ce n’est pas encore le port mais vous en approchez, vous en sentez l’odeur, vous vous retournez vers l’arrière, le compagnon est là et le petit aussi, ils semblent assoupis, jet lag, quelques heures de sommeil manquent, arrivés à l’aube à Seattle, jetés dans la première correspondance, et nous voici happés par les bras du navigateur, il veut tout nous faire voir, cet espace à la même latitude que l’autre ville tout là-haut 60°22'48"N, qu’est-il venu y chercher, quelque chose comme un patronyme, relié à notre légende, la ville du premier exil, le fondateur, le plus ancien connu, ça nous est quelque chose en commun, mon cousin, le nom est là caché au creux de son identité, il s’est mis à distance, salue comme les navires de loin, mais il a pris place au-dessus de la mer, c’est sa force ici, il est chez lui, il vient de créer sa société, après avoir perdue celle de Tahoe Lake, Nevada, expulsé du paradis des joueurs, interdit de casino, mais qui perd gagne, ici il rencontre Jacky et la vie repart, c’est ça qu’il veut me dire, regarde, tout est beau ici, sorti des salles enjouées et enfumées, a retrouvé la respiration, peut-être me la souhaite-t-il aussi, sans me le dire, l’idée de la pêche en mer c’est lui, il aura deux ou trois idées comme ça durant le séjour, ma main sur sa jambe, il ouvre les yeux aussitôt, il baille, fait ce geste des mains qui frotte longuement ses yeux, les deux coudes de doigts dans l’orbite, trace d’enfance, trace d’indifférence aux autres, sensation qu’il jouit pleinement dans sa plénitude, comme un dos rond qui ne s’interroge pas sur pourquoi il est rond, pourquoi il est dos, il est dos rond plus qu’il ne le fait, ma propre sensation d’être à côté d’un plus clos que moi.

    L’homme du Pont, rien d’important, pas celui-là, je veux dire, l'autre oui, il est là, pas là, il me pénètre, pas important pour moi le pêcheur, un générique, sans doute parce qu’il s’appelle Rieur et qu’il a l’air si triste et qu’il habite là-haut dans une famille nombreuse, et que le soir, quand nous les garçons suisses américains français, et nous les filles suisses, américaines françaises dans la même chambre rangés sur les deux grands matelas en travers dans la largeur, y en avait pas suffisamment, on l’entendait remonter de Lausanne et nous dire, le veilleur de nuit a passé, si vous n’êtes pas endormis, il va venir vous chercher, et nous nous tenions chaud, un générique, le pêcheur, juste une image je crois, elle aime la technique, elle est fascinée depuis toujours par les hommes dans le geste, comment ça se prolonge avec la tête, la quête, du défaut, corriger, la tentative, jamais parfait, alors dès que ça se présente, elle se voit enfant, elle cherche les hommes de la technique, comment ça marche les objets, comprendre comment ça marche un homme.

    Et comment ça marche la langue, quand tout ce qui lui vient sous la main, c’est la grande ronde des vous, des nous, des je, des elle, le pêle-mêle, le voilà le grand rendez-vous avec, la personne est multiple, sa langue en moi, elle ne sait pas bien avec qui elle couche chaque soir, dans son pyjama, y a du monde, de l’antique et du Giotto, ce vieil homme entr’aperçu sa canne à ses côtés dans la terre, qui est-il, elle ne sait, il lui est apparu une nuit, il se tenait debout en-dessous, dans la cave sous la cave dessous la crypte, le plus ancien, c’est ça qu’elle comprend, elle se relie à lui, il est le fondement, l’alliance ?, pas de dieu dans l’histoire, ou alors celui des autres, celui qu’elle voit leur faire des choses, leurs dieux, l’a cherché mais ça marche pas, pas assez imparfait pour elle.

    Vous reprenez la route, il sera l’heure d’un breakfast, O’Malley fera l’affaire, pas ces donuts au dais blanc sucré sous leur cloche plastique, café noir léger, pas de fried eggs et non pas de bacon non plus, jamais pu supporter l’irruption du grillé le matin, ni du gras, ni du cuit, le matin est à la vapeur chaude, au bitter, le temps de refaire l’unité, ça prend du temps, faire l’unité, le petit s’est réveillé et dévore, ses dents, ses yeux, ses doigts, tout à l’activité, il dévore.

    One more cup of coffee for the road ? La serveuse, robe striée jaune et blanche, petite casquette sur la tête, elle est noire, sourire jovial, elle esquisse un pas de danse sur l’air qui passe, Carole King, I feel the earth move under my feet, l’intro, cette façon d’attendre, de mettre en suspens, juste en trois notes plaquées sur le piano et le beat, tout va arriver, juste avant le tumulte, on attend la chanteuse, under my feet, I feel the sky tum-b-ling down, ça se conjugue terre et ciel, pas résister, ça pousse, ça booste, un coup en moi, elle met sa cafetière au-dessus de ma tasse, je fais oui de la tête, j’ai rougi, regard de lui –circonspect?- sur moi, where do you come from ? From France. Oh yeah, you mean, Olympic Games ?, elle chante dans la voix. Yes, Albertville, c’est ça qu’ils connaissent ici, la France réduite à sa piste de ski, on descend tout schuss, on est penché, genoux pliés, on y va, sans retenue, même pas un écart pour éviter les bosses, nous les Français en combi dans la blanche, et la noire de rire, elle sait quelque chose de moi, elle a ce mouvement des épaules, en rythme, on mène deux danses à la fois, la conversation et nos mouvements disent autre chose, I just lose controll, down to my very soul, les corps racontent toujours, le solo de sax, puis celui de guitare, décidément il me regarde, j’évite, le navigateur se met à taper dans ses mains, frénésie, all over, all over yeah, le petit se met à rire en le voyant faire, ils tapent tous deux dans les mains, les yeux brillent, pas les siens, et puis la chute, la chute. On paie et on s’en va.

    En sortant, vous remarquez, parqué sur le bord du trottoir derrière le 4x4, un pick-up rouge, il a l’aile complètement enfoncée, vous la regardez obstinément, vous contemplez les angles défaits, les couleurs fondues au gris, pas vraiment un trou, mais un cratère plissé sans fond, qui comprend aussi le phare, même si protégé de deux barres, enfoncées aussi les barres, enfoncement général de l’angle avant gauche de la voiture, un signal en vous, effacé déjà. Le navigateur vous a vu fixer la camionnette, c’est pas rare qu’on se cogne aux rennes ici, ils traversent, sont happés par les phares et boum, tu casses ton moteur, lui a eu de la chance, il a juste heurté de l’aile, devait pas rouler vite. Ce serait un renne, perte de toutes les pertes, un renne charmant, une femelle, une délicate femelle aux bois racés, ou une biche, c’est pareil, de ces animaux qui sautent et ne pensent pas, qui fixent l’auto et au lieu de fuir s’immobilisent, arrêtée dans l’exacte auréole des phares, instantané, prise au vol, jetée plus haut encore.

    Cette fois, lui se met à côté du navigateur. Vous êtes derrière avec le petit, qui ne parvient pas à mettre sa ceinture. Vous la bouclez doucement, geste de sécurité, geste d’amour, il se laisse faire, il vous regarde en souriant, maman, j’aime bien ici. Vous nichez votre tête dans son cou, poussez un peu en bougeant, et lui rit, tu me chatouilles. Moi, j’vais pêcher un gigantesque saumon, tu vas voir, grand comme ça. Vous lui chantonnez murmurant one, two, three, King salmon, four, five, six, Silver salmon, une comptine, mais vous arrêtez en chemin, boule dans la gorge, c’est quoi la différence, y en a pas, mon chéri, y en a pas. Elle pense à ce léger pli au creux, peau un peu grise, sa bouche posée, le musc, vertige, c’était quand. Vous relevez la tête, contemplez à présent les lignes électriques, les poteaux, le défilé presque filmique de chaque segment s’enchâssant décrochant parfois, un oiseau passe, ne le reconnaissez pas, cette bordure de rue en l’air, cette exacte délimitation du champ des possibles, vous ne pouvez aller ailleurs, l’électrique borde votre possibilité, la rue, la route à présent, vous êtes sortie du village, le paysage a pris la marque du vent, les troncs penchés, les végétations en génuflexion, le galbe, ils ont beaucoup plié, ils ont beaucoup subi, ils ont beaucoup marqué, le temps, les arbres, et puis les buissons, ça s’est assoupi au bout d’un moment, tandis qu’au loin de fiers conifères, eux, ne se posent pas de questions, ils trônent, ils ont la mine altière, indéfectible, mais ils ne vous touchent pas.

    Vous sentez tout à coup qu’on arrive au port, le relief à cet endroit s’affaisse, la Cherokee ralentit, puis vient à vos oreilles le son familier, le cliquetis des haubans, les trois coups d’une pièce que je sais arriver, mais ce n’est pas encore l’heure, le port donc, tout juste une grand marina avec sa digue, pas le charme d’un petit port aux murs chaulés de blanc, pas la profusion de couleur des bateaux de pêcheurs sardes ou espagnols, à Cadaques, ce matin-là, au lever du soleil, quand ils avaient grimpé sur les hauteurs de la ville, là où les rochers déchirés plongent dans les limbes bleues, la chaleur quand on escalade, la première fois et toutes ces années, en pèlerinage pour eux deux, ils avaient d’abord rejoint la côte, traversant sur des kilomètres un purgatoire de roches et de maquis, puis de la voiture avaient contemplé la baie, les bateaux aux coques multicolores, qui composaient une scène à la Vieira da Silva, au couteau, des accents juxtaposés, des contrastes limités, de quoi nourrir les différences, là vous avez des traces en vous, tu te souviens, Cadaques, il l’a regardée mais n’a pas souri, il a pris la main qu’elle tendait, et dans ce geste, mais toujours ce manque de chaleur depuis qu’elle, votre regard attiré par la mer qui fait masse, qui vous fait face, ici juste le gris sombre, et puis posés là comme des soucoupes auprès de quelques cruiseliners blancs, la cohorte de petits bateaux amarrés, chamarrure des murs aussi, où elle s’agrippait, la vie en elle, ils s’étaient regardés, ce regard chaviré, la transcendance elle est là, dans l’exacte marque d’un stylet dans le marbre, ne pas chercher ailleurs, oui, elle avait tenté, comme on se rattrape, peut-on se rattraper, le ciel gris à copeaux de blanc, seule la double ligne dessinée, flottaison, bande étroite, bande large, elle devra aller de l’autre côté, contempler le plan des formes, peut-être va-t-il inclure dans la coque tous les volumes, mais un reste de sagesse, non, c’est faux, ne dissimule pas, elle n’a pas préféré l’étrave du bateau, va vers toi,  car c’est vers lui aussi, elle c’est lui, même si à coups d’étoupe, il faut bien reboucher ce qui doit l’être, le trou, la trouée en elle, elle est à son affaire, enfin, mais sans lui comment.

    Le temps d’avant l’unité, elle savait qu’il était pour la mine, piocher, piocher, parade militaire, passage en revue des scories de la veille, elle avait effacé la scène du blanc, elle avait dit, je renonce, elle avait osé, à l’orée du récit dire niet aux affects, le temps d’avant l’unité est le temps de dire non, effacer pour créer, le récit, l’imaginaire ligne d’horizon qu’on se fixe, le mot est à la fin, il existe, et l’aventure sera le chemin, y aller, la rampe se torsade, elle est là, par les artifices et les obstacles, les détours qu’on regrette, no sorrow, ce cynisme en elle, profiter de tout, tout fait sens, le plus important est là, ce qui la constitue, fioritures du reste, anabelles, belles, belles, la motion, le moteur, embrayeur du discours disait le docteur, regard froid sur le corps, pas le tien, profites, profites, littéralement je l’avoue, que rien n’a, rien d’autre, le vieux rêve au fin fond, depuis quand exactement?, les lignes sur la page, le poème au bord des lèvres, la chanson même refrain, le fondement d’écrire est ancré, tellement profond qu’il était enterré et seul l’a vu, le vieil entêtement, l’était déjà chez grand-mère, ses petits bouts de mots sur le cahier, sur l’agenda, nous avons, manger l’orange quartier par quartier avec elle, se regarder manger l’orange, elle l’avait aussi, transmission, l’écart entre ce qui étreint et ce qui se traîne, tout dans l’interstice. Rafale ravalée.

    Le lent plan-séquence de blanc et gris, les arbres sculptés sur fond de montagne sertissent comme dans une mise au plomb, les roches grises sur lesquelles ils poussent, spiritualité du lieu, le mouvement peut-être, ce dandinement des mâts, rappelle qu’il a existé, qu’il demeure et qu’il existera un invisible non résolu, marcher là, me connait, ne pas y aller du tout, là qu’est le danger, vertigineuse profondeur, les rides sur l’eau vous la cèlent, suspens du risque, non fréquent, si peu détectable, mais grave s’il s’avère, alors tout flotte, vous aussi, pour éviter la multiplication.

    Vous êtes sortie de l’auto et vous apprêtez à rejoindre les quais, mais une couleur tout à coup vous intrigue, un baril repeint couleur émeraude, un verre lumineux, qui jaillit dans l’espace, dressé sur le côté, à la bordure du chemin dans les graviers, posés dessus trois morceaux de bois sombres presque calcinés, c’est tout ce que vous voyez, comme un sens qui vous échapperait, un lieu de mémoire mais de laquelle, vous vous approchez et ne trouvez rien à déchiffrer, le vent et la pluie ont tout effacé, reste l’effacement de mots, illisibles, la trace de la trace, à ce moment, un tremblement vous saisit, vous vous êtes arrêtée, immobile face à l’édifice, frissonnement, ombre d’un autre homme, qui construit son rocher, là-bas à l’orée du jardin, enfance, il est allé chercher des pierres meulières, formes alvéolées, imparfaites, creusées de hasards, mises les unes sur les autres, en arc de cercle, chaque pierre est enchâssée dans une couche de ciment, qu’il a patiemment mélangé au saut et à la truelle, il la charge, il dépose sur la tranche de la pierre la matière vivante, ça glisse un peu, ça fuit, il remonte d’un coup sûr, quand l’adhérence semble promise, il dépose la pierre suivante, de longue haleine, peut-être douze pierres sur trois rangées, ça prend du temps, les heures pour la fabrique sont comprises dans le rituel, en ressort une sorte d’abri qui n’abriterait pas, trop petit, m’as demandé la contrainte, moi tête penchée, souvenir de lui heureux, se redressant souriant, comme ayant construit le paix à, le respect, l’autel, cet homme-là, c’est le patineur, il glisse, il glisse, il fait de l’élégance avec les cauchemars, enfin, le plus souvent qu’il peut, hey, votre navigateur  vous a pris par l’épaule, are you tired, il a penché la tête, ses yeux vous cherchent, vous souriez aussi, vous repartez, papillons revus, uncovered stories, histoires découvertes mais à découvrir aussi, parce que la parole ne dit pas ce qu’il faut, mais non couvertes non plus, comme mal couchées, manque la couette, l’autel, c’était ça, la couverture, au loin un groupe de trois, let me introduce, c’est Jacky et son fils Gaby, la famille du navigateur et puis notre pêcheur, enfin celui de ce jour-là.

    Faire connaissance, les yeux rient, les savoureux premiers mots, c’est facile, le lien, là, de son bras à mon bras, ça fait un mètre cinquante, on se parle dans les yeux, ou peut-être ai-je fait salut de la tête, sirène de train ma tête contre la sienne, Jackie est peintre, elle peint des trains, ces gros mastodontes d’Alaska, de son territoire, une sorte de toundra, dans les coins excentrés, loin de la grande ville, à l’heure du cadran, souvenir de Pacific 231, les locos puissantes, ça fait peur, la fumée, de grands jets de vapeur, la saleté aussi, ça sent, les portes crachent, humains, vous vous tenez face à Jackie, absolument immobile, dans le non-lieu, l’espèce d’espace avant le quai, les autres parlent autour, ça rit, brouhaha, vous contourne, vous passe pas dessus, la respiration enfin, le pic de la connaissance c’est quand les yeux cherchent curieux, comprendre le visage de l’autre, sa langue Jackie, la douceur de sa voix, sentir ces trois premières secondes, foundamente, elle immobile, ses lèvres sur ma bouche la première fois, et le courant passe, comme on dit, de sa famille, l’élan vers, vous, pour accueillir la rencontre, gaie, la joie du jour, là espérant, elle a apporté un cadeau, un petit rien, un « dream-catcher », le nid à cauchemars, l’attrape-rêves des peurs, vont marcher ensemble vers les bateaux, on était sur le pont, là-bas dans la grande ville, le plus ancien, celui où je, la pêche sur le bateau, ce sera faire connaissance, du temps dans le ronron du moteur, tranquilles à prendre l’habitude, les synapses qui se connectent, la rencontre, dans ce lieu où vous n’êtes jamais allée flottant sur l’eau, elle vous emmène, plus peur de la masse sombre, la fausse parole la fausse sécurité, ça tangue, réalité d’une conversation en deux langues, jamais sûre de laquelle, la basse continue, le bourdon, pas en parler, mais éclat du regard avec Jackie.

    Le quai déjà, moins sûre, vous avancez, la main du petit, la sienne, la mienne, s’est constituée la piéta, un nous de circonstance, lui ses mains là ma poignée, la piéta n’est pas la vierge, elle est la vierge-enfant, deux en un, de haute sécurité, le nous ça sert à ça, parfois la citadelle, parfois pas pu s’empêcher, souvent l’occasion, mais là pas pu autrement, l’intranquille évidence, le cognement du bois, le bois stable qui tremble, c’est cela qu’elle ressent, plus tout à fait la terre, la latéralité, le bord à gauche, le bord à droite, le trou, pas de barrière, moi derrière chaleur, il s’agira du quai, la seule solution, c’est l’horizon, s’accrocher à là-bas comme amarre, vous êtes tirée par le filin du doute, il conduit parfois, la nuque photographier la nuque, quand la tête se redresse, tout le corps s’ordonnance, chaque articulation suit sa voie, et ainsi de toutes, un fil d’énergie draine l’élan, il en faut pour monter à bord du bateau.

    Celui-là de pêcheur insiste, il a quelque chose pour vous, vous le sentez à sa main, il me dérange, je suis à l’autre, quand vous la lui donnez pour enjamber le bastingage et à ses yeux, il dit, tous disent, lui qui m’explique le fonctionnement, le moteur, tu prends le boute ici, tu te désarrimes, tu défais la clef, le nœud se libère, il m’explique, le principal comment on pêche ici, c’est pas pareil que sur la terre, fait moins froid, l’humidité remonte, s’accroche aux nuages, là-haut, ciel de traîne en miroir des eaux grises, quelques blanches mouettes, en est-ce, un oiseau de tous les oiseaux, lui sa main indiscrète, en tout cas il est blanc, et se détache sur le linceul, les oiseaux, un sème, ne se cachent pas pour mourir, ils volent à perdre haleine, ils redescendent parfois sur une roche, ou fondent sur leurs proies dans l’eau, ça travaille un oiseau, ça se sert de tout le paysage pour travailler, me travaille et toujours, contrairement à ce qu’elle aurait dit, qu’ils sont là pour le décor, la photo, le tourisme, mais non, l’oiseau sue, l’oiseau peine, l’oiseau va tripalium, vous êtes l’oiseau, vous êtes le regard, vous êtes le pêcheur, oui tout ça à la fois, le paysage est en vous, nous, il vous excave, il vous creuse, la structure de votre intérieur, réminiscence, les Monts de Lacaune, ce jaune du colza, ces lacets sinueux, la chaleur qui après quelques minutes de montée s’installe, le soleil, pas intrusif, et puis ces monts ronds, ces amis du paysage, qui vous disent, on est là, on pense à toi, il y a toujours de ce village en vous, il vous accompagne, quand est-on monté, était-ce en août, ou plus tard, il est jaune là où le blanc règne ici partout, il croit en vous ce paysage, vous en êtes l’hôtesse et la servante à la fois, quand vous en gravissez les sentiers, au hasard un troupeau, au hasard un berger, bonjour, bonjour, la promenade commence toujours par un chemin, alors qu’à perte de vue dans le plan de vos yeux pas d’itinéraire pour entamer les rochers, ça tombe falaise dans la noire, bien épais, alors le bateau halète, se met en branle, avance en cabotant, qu’un moyen mais le bateau bouge, et ça vaut mieux que rien.

    Vous y êtes, il a l’air heureux le petit, quand il enfile le gilet de sauvetage rouge que lui tend le navigateur, avec son anorak multicolore, il devient l’étoile du sapin, les câbles font guirlande, tout l’intéresse, la canne noire épaisse en graphite, dont ses doigts peinent à faire le tour, le long fil, de la soie sans doute, et au bout comme narguant, une plume rouge, une plume noire, l’illusion d’oiseau, faire miroiter que cette grande scène va se passer, que l’écriture apportera la magie nécessaire, il faut y croire, pour vous pas de gilet de sauvetage, ni pour l’homme, ni pour personne d’adulte sur le bateau, le sont-ils, et l’odeur de diesel quand le moteur rugit, elle s’insinue en vous, vous soulève le cœur, presque comme cette autre odeur que vous croyiez avoir oublier, vous pensiez qu’elle n’allait pas réapparaître en décalcomanie, qu’elle ne s’était pas invitée à demeure dans votre psyché, trop tard, l’est réveillée, l’éther est là d’emblée et le vomis aussi comme associés, l’immense haut-le-cœur d’un bateau mouvementé sur le clapotis des vagues, falloir s’amariner, on quitte le ponton, coup d’œil de l’autre côté, des masses sombres tombent dans la mer, un jeu d’osselets, et une passe, la passe blanche de brouillard, dont vous savez que le bateau franchira le seuil, petite embarcation tout à coup dans le grand jeu du golfe, le petit, regarde maman, je pêche, et le pêcheur passe la main dans ses cheveux frisés en vous regardant, celui-là ne perd rien pour attendre, ou plutôt il a déjà tout perdu, car les cheveux frisés d’un enfant lui appartiennent, vous n’avez jamais supporté dans la foule tous ces gens qui croient comme on caresse la bosse du bossu que ça porte chance de caresser la boucle du bouclé, il déteste lui aussi, d’habitude il secoue la tête, il met la main contre la main, il dit non, arrête de m’embêter, mais là, veule, il s’aplatit, tout comme un pêcheur il est, il a choisi son camp, d’aucune utilité pour vous dans ce voyage qui se précise, il vous quitte, là, sur le champ de la mer, ce sentiment d’un petit sevrage, comme les milliers de petits sevrages que représente l’enfance de l’autre, il ne grandit pas, c’est vous qui vieillissez à chaque centimètre, vous vous séparez de chaque âge, de ces instants quand il était à vous, perdus, quelques traces, le lent démaillotage d’un petit qui devient grand c’est d’abord le largage de la mère, de vos propres amarres, c’est la mère qui prend l’eau et elle lui dit bravo, enfin parce qu’elle l’aime, une autre crierait haro, vous ne voyez que ça, que ça, et puis la porte, l’homme a choisi la cale, la cabine, pas pour lui les expériences sportives, cherche un café, un endroit où tousser, et peut-être plus, il a poussé la porte battante, la trappe à deux vantaux, sans un regard pour vous, ce sera la métaphore du double monde du lieu, je n’y vais pas encore, c’est ici que ça s’passe, le grand spectacle de la pêche au saumon, Gaby, l’adolescent, veut s’amuser aussi, et le navigateur comme penché tout à coup semble servir les plats, je te donne la canne, je distribue les épuisettes, elles à large filet, à tubulure d’alu, un triangle, on sent que c’est costaud, et tiens voici pour toi l’avançon, n’oublie pas le hameçon, et moi, est-ce que je compte, serai-je l’observatrice, la chroniqueuse des hauts faits de mon fils, et bien non, il vous la met d’office dans la main la grande perche sauteuse, vous aussi vous allez pêcher, coup d’œil pour m’assurer qu’il vaut mieux la gaule que ces nuées blanches qui pénètrent la verte au loin là-bas, c’est ça qui se passe, la tentation de barrer le ciel d’horizon, les armées de blanches sont arrivées, les bones s’effacent sous les doigts blancs de Dieu, un événement qu’on pourrait négliger, nous là tout à l’affaire de la pêche, mais tout se passe comme si un spectacle psychique se présentait à vous, le grand couloir déformé des circuits intérieurs, le voici, du vert du blanc du rouge, la criarde, n’avez-vous rien à déclarer ?, non, non, répond l’enfant, vous êtes dans votre rêve, ça commence.

    Ils vous ont relâchée, mais d’abord, l’origine, il veut voir, interruption par la police, ils ont dit madeleineau, trop petite, vous vous relevez, vous appuyez d’un coude pour le voir contempler, presqu’un tacon on est, à peine sortie de la frayère, lècher mon origine d’où t’es née ?, la première journée en mer, vous aviez quitté la rivière, il est l’ours, là tout près, il fulmine, même pas trouvé de capelans sur le site d’engraissement, vous cabotiez le long des golfes clairs l’âme légère, il dicte, vous les yeux baissés, vous étiez première, enfin je croyais, vous aviez tout à conquérir, et puis non, mais il faut que ça cesse, vous l’affrontez, le voir, entendre, sentir, goûter, presque grande quoi, vous depuis vos fosses vous surveilliez, vous croyiez maîtriser, et là il est passé, les trois premières secondes vous osez, et tiens cette mouche, cet éclat, à la troisième je crois, la rouge, l’est pour vous, vous avez pris l’élan, vous l’avez accrochée, et puis vous retombez, accepter le départ, lâcher-prise. Ça pique, c’est ça la déchirure, et le sang qui clignote, ça pique, on croit que non, et puis ça tire aussi, on t’emporte, la proie suis devenue, m’ont hissé au filin, l’avançon, toute tentative de sectionner le lien sera sanctionnée de giclure pire encore, envie de reculer, de lui échapper, je n’y vois plus, lumière polarisée, où je suis là en l’air, flottant comme un drapeau, dans la nasse déjà, mon terrain c’est l’eau, c’est la douceur, la vague, le corps à quoi résiste un courant, une caresse, j’ai ma part là, mais pas là-haut malmenée, j’ai besoin de cachette et lui de m’en extraire, c’est son phare dans ma gueule, le leur enfin, mais lui sans eux peut rien, ils sont là tout à coup m’ont saisi à pleins bras, moi au féminin, je bouscule, je m’ondule, vous voulez faire l’anguille, mais ont arrimé le corps de la saumonnette, dans le filet déjà. Qui va me rédimer. Ils vous ont mesurée, la longueur et la taille, vous sentiez le sang couler près de l’œil la narine et puis la gueule aussi, le triangle qui s’affaisse, votre seule tête est là et on vous la prend, pas de son quand l’onde vibratoire ne cogne aucun signal, sans musique vous étiez, le monde est infernal, sa musique est en vous, vous savez toujours la reconnaître quand vous l’entendez, mais là ça postillonne, ça gravite, ça parle haut et fort, mais ça parle pas, le brouhaha du monde.Et puis m’ont relâchée.


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  • Anne ma soeur Anne

    crédit photo anthropia # blog

     

     

     

    Ils vous ont relâchée, mais d’abord, l’origine, il veut voir, interruption par la police, ils ont dit madeleineau, trop petite, vous vous relevez, vous appuyez d’un coude pour le voir contempler, presqu’un tacon on est, à peine sortie de la frayère, lècher mon origine d’où t’es née ?, la première journée en mer, vous aviez quitté la rivière, il est l’ours, là tout près, il fulmine, même pas trouvé de capelans sur le site d’engraissement, vous cabotiez le long des golfes clairs l’âme légère, il dicte, vous les yeux baissés, vous étiez première, enfin je croyais, vous aviez tout à conquérir, et puis non, mais il faut que ça cesse, vous l’affrontez, le voir, entendre, sentir, goûter, presque grande quoi, vous depuis vos fosses vous surveilliez, vous croyiez maîtriser, et là il est passé, les trois premières secondes vous osez, et tiens cette mouche, cet éclat, à la troisième je crois, la rouge, l’est pour vous, vous avez pris l’élan, vous l’avez accrochée, et puis vous retombez, accepter le départ, lâcher-prise. Ça pique, c’est ça la déchirure, et le sang qui clignote, ça pique, on croit que non, et puis ça tire aussi, on t’emporte, la proie suis devenue, m’ont hissé au filin, l’avançon, toute tentative de sectionner le lien sera sanctionnée de giclure pire encore, envie de reculer, de lui échapper, je n’y vois plus, lumière polarisée, où je suis là en l’air, flottant comme un drapeau, dans la nasse déjà, mon terrain c’est l’eau, c’est la douceur, la vague, le corps à quoi résiste un courant, une caresse, j’ai ma part là, mais pas là-haut malmenée, j’ai besoin de cachette et lui de m’en extraire, c’est son phare dans ma gueule, le leur enfin, mais lui sans eux peut rien, ils sont là tout à coup m’ont saisi à pleins bras, moi au féminin, je bouscule, je m’ondule, vous voulez faire l’anguille, mais ont arrimé le corps de la saumonnette, dans le filet déjà. Qui va me rédimer. Ils vous ont mesurée, la longueur et la taille, vous sentiez le sang couler près de l’œil la narine et puis la gueule aussi, le triangle qui s’affaisse, votre seule tête est là et on vous la prend, pas de son quand l’onde vibratoire ne cogne aucun signal, sans musique vous étiez, le monde est infernal, sa musique est en vous, vous savez toujours la reconnaître quand vous l’entendez, mais là ça postillonne, ça gravite, ça parle haut et fort, mais ça parle pas, le brouhaha du monde.Et puis m’ont relâchée.

     

     

     



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  • Light 1

    Je ne sais plus de qui est cette photo

    Si quelqu'un se reconnaît, qu'il se signale

     

     

    Partir en voix de tête,

    c'est ça que je ressens quand

    je deviens vallée ou oiseau,

    et chez moi, ça veut dire

    beaucoup de chose,

    une improvisation,

    mais aussi la dissociation,

    c'est pour ça que j'ai peur,

    me remettre dans des trucs que j'ai traversés,

    me replonger dans cette époque ?

    mais ce n'est plus le même vol

    que je vais y faire, et j'avais besoin de me le dire ici

    pour repartir.

     


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