• Thirtsa Ullmann

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    Dimanche


    Voilà, on participe à une manifestation parce qu'il faut la faire,

    la monstration, même pas en être, leur montrer.

    Et puis, l'énergie, cette sorte d'euphorie qu'on ressent,

    alors j'ai écrit, les petites phrases qui passaient qui s'invitaient en sus, en douce

    en plus des messages, du bien-penser qu'on partageait tous

    des phrases déroutantes, des phrases qui me faisaient penser

    à part ça, qu'est-ce que je fais là ?

    et ce matin, en relisant, me dire que j'ai perdu 7 heures,

    pas perdu, pas perdus

    pas perdu parce que je regrettrais d'avoir soutenu ce mouvement,

    ils étaient contents les copains homos qu'on soit là,

    que tous ensemble on se montre

    s'en sont pris des claques ces temps-ci,

    donc pas perdu, mais un peu quand-même.

     

     

     

     



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  • Abstrakt IV

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    Ne pas oublier l'humilité,

    depuis que tu te bas contre tes vanités,

    c'est le combat des jours

    mais l'humilité de l'accueil,

    ne pas jouer la rapia, fragilité de ce qu'on prend à l'autre

     

    tu l'as en toi le merci du plus profond de l'être,

    dans ce monde où la reconnaissance de l'encre disparaît

    dans le tourbillon de la création,

    toi, depuis James Carse, jeux finis, jeux infinis, tu sais que tu dois aux artistes

    d'emmener les autres artistes dans leur foulée,

    que l'art vrai n'est pas coté, qu'il est gratuit,

    et que bien sûr il faut bien vivre,

    mais que ce n'est pas pour ça qu'on écrit,

    on écrit parce que c'est viscéral.

    Alors, dans ce déblocage qui m'a laissée vivante de l'autre côté

    d'une rivière, peu importe laquelle,

    ce serait l'Allan en ce qui me concerne,

    je sais désormais à qui je dois d'avoir compris une petite chose

    en littérature. Que je devienne écrivaine patentée ou pas d'ailleurs.

     


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  • Abstrakt III

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    La rue longue aujourd’hui bute sur l’usine, sur les vestes de caoutchouc d’un atelier empêtré, l’atelier mécanique, elle n’a pas toujours su que François, le grand-père, en fut un jour un des grands ordonnateurs, quand le ciel rougeoie, qu’il souffle un vent de bise le long de l’Allan depuis que le courant en a été aspiré par un détournement, ici oui, on détourne les rivières, quand on décide que le capitalisme sera roi, nul obstacle ne résiste, nulle opposition possible et pas d’utilité publique, obtempérez, alors les têtes se baissent, les voisins avoisinent, les paroles de qu’est-ce qu’on y peut y fricotent avec les ça s’ra mieux, cul-de-sac, on détourne la rivière et même la nationale, tout le monde de Belfort à Sochaux tombera sur le portail : Peugeot, c’est écrit dessus.

     

    On ne l’aperçoit pas depuis la rue du haut, celle qui domine la plaine, à l’endroit où les enfants viennent jeter leur Schlitt, dix fois, cent fois par jour, remonter la pente et la redescendre en hurlant de plaisir l’hiver dans la neige, –c’est ici qu’on se tient à la verticale du grand ciel, on prend un grand bol d’air, même si en bas s’étalent les autres ateliers, la tôlerie, la fonderie-, non, de la rue sous-la-chaux, sous les carrières, celle qui menait à la bibliothèque qu’ils ont supprimée il y a quelques années pour y faire un parking, de ces parkings géants aux voitures toutes clonées, espace-automobile, auraient-ils pu le nommer, (c’est pour Maupassant qu’on souffre, le livre habillé de bleu, Une Vie de Jeanne, qu’en ont-ils fait ?, l’ont-ils déversé dans un container, allez tiens grand autodafé, jeté avec le Baron et ses maîtresses, qu’ils brûlent tous en enfer, le livre qu'elle faisait traîner, dont les cinq dernières pages ont ranci sous le lit, quel temps faisait-il ce jour-là, le ciel grisaillait-il à grands copeaux de bleu, peut-être un brouillard, la peuge ça embrouille, les livres et la petite maison, c’était sa bibliothèque, trente livres par mois, tous les mois que son sac pouvait porter, depuis qu’elle savait marcher, aller seule dans la rue, parcourir peut-être un kilomètre, en longeant les préfabriqués des yougos, de jour disait sa mère, c’est plus sûr), non, on ne la voit pas, et après les usines, elle est comme absorbée par le chapelet des maisons qui la bordent, la rue de Belfort.

     

    Le premier qui lui avait parlé de lui, c’était Monsieur Ferrand, souffrant de chut, sa mère le murmurait, tuberculose, et quand on les murmure ces mots-là c’est qu’on n’est pas certain qu’on s’en relèvera ; on ne le voyait pas toujours au café-tabac, et quand il revenait, il semblait hors du coup, en visite, entre deux séjours au sanatorium, souvent en rentrant de l’école, celle à côté du Grand Portail, elle le voyait appuyé sur une chaise en haut de l’escalier à contempler les nuages, ça risque, c’est pas beau, c’était le seul qui souriait chez Ferrand, il apportait comme un vent du large, sans doute le souffle, qu’il allait chercher loin, si loin qu’on se demandait s’il allait en revenir, un jour, elle était arrivée, et il l’avait nommée Petite Levinus, comme si son nom était reparti en empire romain, qu’est-ce qu’elle en savait elle de l’empire romain, peut-être rosa, rosam, elle avait onze ans, elle chantait, j’ai bien connu ton grand-père, tu sais. Son grand-père, elle avait relevé la tête, ce n’était pas un mot pour Sochaux, du côté de la nationale, là où l’anonymat pointait déjà, là où entre les blocs où logeaient les ouvriers, et les quartiers à maisons, on ne se connaissait plus, mais plutôt pour Exincourt, où son grand-père, le Suisse, vivait, dans le village, où tout le monde se parlait, comment l’aurait-il connu, alors elle comprit qu’il lui parlait de l’autre, celui qu’on ouvre une fois par an, quand le coffre du grenier descend au rez-de-chaussée, que son père sort dans un grand nuage de poussière, pêle-mêle, la mandoline aux deux cordes usées, le chapeau haut de forme, quelques vieilles lettres à tâches de rousseur, les livres en rouge et or, les Jules Verne, les George Sand, ceux qu’elle va lire en douce, l’été à la lueur du soleil qui passe entre les lames du volet de l’oculus, et les photos d’un homme à moustaches, aux cheveux frisés, faisant des lèvres cette moue qu’on appelle chez elle sa madeuse, cet air que son père dit qu’elle a. Ce grand-père-là, les pleurs de son père l’avaient toujours empêchée de le connaître, pas d’histoires, pas de rires, à ce moment où la larme descendait sur la joue, elle n’osait plus poser de question, et avant, c’était le déballage qui piquait davantage sa curiosité, elle ne pensait pas à le faire.

     

    Elle prit la phrase en talisman, en rentrant, elle longea la maison des Mercier, maison de maître à deux balcons, Monsieur dirigeait la Brasserie du Crépon, qu’en passant devant on savait que la bière était faite de malte et de fermentation, sous l’effet de la bise, qui soufflait à rebours de son sens, elle avait rabattu son caban pour enfermer son alibi, celui qu’elle aurait le soir même pour poser la question, à propos M. Ferrand a dit, pas le jour anniversaire, un jour habituel, peut-être qu’en attaquant par surprise, le rituel du mouchoir allait disparaître, on est toujours plus disert quand l’émotion nous prend au saut de la parole.

     

    peut-être un pas plus lent, oui, zoomer plus, non, pas zoomer, mais respirer


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  • Abstrakt II

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    L'écart entre les titres et les textes, écart-type, son aigre du violon

    les textes, compacts, sans respiration, manque le vent,

    manquent les cieux, les arbres, l'orage où descendre sous, la rivière de l'Allan,

    le rabin l'avait dit, adonaï ehad, faire l'unité en soi,

    le matin et le soir, prière de l'unité

    Et puis la rue est longue, cette longue rue de Belfot

    qu'il faudra bien traverser, à nouveau,

    extension du champ de la conscience

    tirer le texte vers son extrêmité,

    la part du paysage et le secret secret,

    et puis l'irriguer de musique, les joues ensoleillées,

    en quatre mouvements, une symphonie

    avec la voix de joie, celle des îles enchantées,

    et puis encore

    accepter en soi la béance et sa passerelle,

    plus forte que Bertina, les perdre de la perte,

    ces deux qui n'ont pas su, pas fait, pas consolé.

    âmes ils ont du en avoir une, même si je n'lai pas vue,

    mais paix à.

     

    Il faudrait tout recommencer, adonaï ehad

     

     

     

     


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  • Abstract I

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    8

    Atmosphère plus légère, rentrés à la maison, nous chantons, ça console.

    Sans cesse, en allant à l’école, en faisant la vaisselle, en nous couchant, tout est chant, même la musique classique qui tourne sur l’électrophone, nous la chantons. Nous aimons Le Boléro de Ravel, parce qu’il s’adapte bien à cette tâche rituelle d’après-repas.

    Nous connaissons tous les instruments, ici un violon, là, une flûte. Le morceau commence par le tempo, des petits coups fins sur le fond du fait-tout, que nous répétons tout au long de la centaine de variations. Phil introduit mezzo voce les clarinettes, puis les trompettes. Puis nous enchaînons avec les cordes, violons et violoncelles. Je simule les piqués de violon, tout dans le poignet, tandis que Phil fait frissonner l’archet sur la corde, une cuiller en bois sur le bord d’une assiette. Pour certains sons, il coince la feuille d’aluminium d’une tablette de chocolat dans un peigne et module le son avec sa voix. Ça chatouille les lèvres, j’essaie moi aussi, c’est délicieux.

    Ensuite nous entonnons la partie forte avec l’ensemble de l’orchestre, nous nous donnons à fond, faisant pleuvoir les coups de cuiller sur les casseroles.

    Le jeu des variations n’a pas de secret pour nous, avons saisi la logique arithmétique interne du morceau, après des centaines de Boléro tournant sur l’électrophone, et voyons arriver la fin du cycle à l’intuition.

    Nous échangeons alors un regard de connivence, une coda nait sur la portée imaginaire, qui nous autorise à recommencer les variations dans une boucle complète avec l’ultime changement de ton. Nous finissons ce dernier mouvement par un cri extatique, supposé clore le morceau, pour la dernière casserole essuyée et rangée.

    Notre éducation musicale avant d'apprendre les instruments se fait entre l’électrophone et l’imitation dans le chant. Nous mémorisons aussi la plupart des entrées d’opéras de Wagner, entonnons avec des tata-tatatata-tata-tatatata  la Chevauchée des Walkyries. Puis nous découvrons la subtilité des concertos de Brahms, les mouvements les plus émouvants chez Dvorak ou Borodine, les ballets de Tchaïkovski. Tout ça n’a  pas de secret pour nous. Tout se chante, tout ce qui tourne sur l’électrophone de notre père, René, des disques classiques au Golden Gate Quartet ou à Georges Chelon, est bon à prendre.

    Deux opéras ont notre préférence, Lucia di Lammermoor, dont l’Air de la folie, chanté par La Callas dans l’acte II, est mon favori, tandis que mon frère a  un faible pour la Flûte Enchantée, opéra pour lequel il apprend par cœur les airs de Papageno, et je ne dédaigne pas les triples croches de la Reine de la Nuit.

    La répétition a  lieu au lit le jeudi matin, quand notre mère nous laisse seuls, enfermés, volets clos, pour aller au marché.

    Nous ne jouons pas au docteur, nos jeux sont musicaux et commencent généralement par une mise en bouche avec des bruits de gorge, très graves, dont je découvre plus tard qu’ils ressemblent aux chants des Tchouktches d’Extrême-Orient. Puis nous montons très lentement, tentant de faire tous les sons entre deux notes de la gamme et déclenchons parfois, par hasard, des harmoniques, qui nous secouent d’un grand frisson. Les sons nous sont un corps et nous enveloppent dans une même gaine protectrice, un bouclier contre l’inquiétude, celle d’être restés seuls dans la maison, celle de savoir la petite loin de nous.

    Une fois échauffées nos cordes vocales, nous entamons des chansons contemporaines. Les Loups de Reggiani, que nous chantons en duo, devient notre balade favorite, même si nous n’en comprenons pas toujours le sens, elle nous rappelle la légende de Sainte-Blandine face aux lions, c'est un de nos tubes en famille. Les hommes avaient perdu le goût de vivre et se foutaient de tout, leur mère, leur frangin, leur nana, pour eux c’était qu’du cinéma, nous aimons ces mots crus et la charmante Elvire, dont nous doutons de l’innocence. La chanson finit bien, notre mère rentre du marché et ouvre les volets de la chambre. On peut enfin s’habiller.

     

     

     encore trop lyrique

     

     

     



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