• Monika Sosnowska

    The tired Room 3

    Installation view in Modern Institute Glasgow

    Crédit Photo Anthropia

     

    Entre Terre et Ciel, ça hésite, Jeu de Marelle : Rouge |

     

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    Un. Deux. Trois. Dans le couloir froid. Quatre. Cinq. Six. Tout près de la grille. Sept. Huit. Neuf. Au portail tout neuf. Dix. Onze. Douze. Elle sera toute rouge. Rejoindre la grille, hésiter, faut-il filer tout droit vers la route, le grand ciel ? Au moment de franchir le seuil, bifurquer à gauche pour contourner la maison et recommencer le tour sur un pied. Combien de fois refaire à l’envers ce circuit autour de la maison ? Continuer jusqu’à être à bout de souffle, et arrivée dans la cuisine se précipiter vers le robinet pour remplir le verre et boire des trillions de verres d’eau. Pour étouffer la voix.

     

     

     



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  • Peter Wuthrich

    Uncovered stories 2009

    Karsten greve Paris1

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    Quant à la réminiscence, la chercher dans le lacis des circuits neuronaux non pratiqués depuis de longues années |

     

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    Reçu ce jour Madame M. Ai procédé à l’enregistrement du récit de Mme M. concernant l’événement dit N°1. par convention pour le présent compte-rendu

     « C’est la première fois que je me raconte la scène. Dans la cuisine, les femmes parlent, elles se disputent, une affaire de cadeau, je crois. Ma mère a offert un presse-purée électrique à ma grand-mère et ma grand-mère ne s’en sert pas ou quelque chose comme ça. Elle préfère son moulin à légumes manuel et ça énerve ma mère. Je ne me souviens pas si quelqu’un d’autre que ma mère et ma grand-mère était présent dans la pièce.

    A côté d’elles, je rêve, pliée en deux, le coude sur la table, la tête à même la nappe, occupée à tracer du doigt les motifs du tissu. En bruit de fond, j’entends leurs paroles, acides ; il y a de l’acrimonie entre elles, mais c’est sans importance, je ne les écoute que d’une oreille.

    Puis c’est le son aigu, le son qui fuse, qui déchire l’air d’une zébrure aigre de violon. Le brouhaha des femmes est interrompu.

    Dans la rue, quelqu’un crie, quelque chose comme « oh, mon Dieu, oh, mon Dieu ». Qui a crié ? Une voisine, je crois.

    Peut-être est-ce plus tard que le cri est poussé. Peut-être y a-t-il eu deux fois, les cris. Cela se mélange dans mon souvenir.

    Les femmes se précipitent à l’extérieur, en troupeau, ça grince, les pieds de chaises dérapent sur le parquet, les chaussures frappent sur le plancher, tout le monde sort en catastrophe. Comme si elles avaient besoin de voir, elles veulent voir la réalité, celle que révèlent le crissement strident et le son mat.

    Moi, je ne sors pas. Toutes affaires cessantes, je dois ne rien faire, ne pas bouger. Je sais qu’un drame s’est produit. Un contexte de drame, puis un événement. Il est advenu.

    Et tout de suite, je sais que c’est à moi que c’est arrivé, il est pour moi, je ne sais pas quoi, mais c’est pour moi, ce bruit sourd de choc je l’ai mis en réserve quelque part, je l’ai engrangé. Je suppose un résultat de drame, et je ne veux pas le voir.

    Qu’est-ce que je sais ? Rien. Je devine, je peux tout imaginer de loin sans m’approcher. Je suis au-dessus de tout ça, n’est-ce pas, c’est moi qui décide ce que je dois voir.

    Pourtant, une ombre menace dans ma tête, quelque chose de tragique, tout peut être arrivé.

    Alors je recule lentement, je me niche derrière la porte, tout près du poste de TSF de ma grand-Mère, le poste où elle écoute la radio de Suisse, le dimanche soir, les chœurs de Radio-Sottens, les vieilles voix sur des mandolines douces.

    Je me mets à attendre, derrière la porte.

    Puis j’entends le hurlement inhumain d’une femme : quelque chose comme, Non. Ça se prolonge très longtemps. C’est insupportable.».

     

     

     



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  • Banks Violette 3

    Unit no name (I may not climb the so called der but I can jump the schoolyard fence 2008

    Galerie Rodolphe Janssen Brussels 1

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    Tentative par l’artiste de décrire les carcasses en détresse, à défaut de se souvenir |

     

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    Oui, je l’ai reconnue quand sa voiture a stoppé en plein milieu de la route, mais je n’voulais pas la mettre dans l’embarras, vous comprenez, j’travaille au Musée, et elle, elle vient pour préparer son expo, alors j’allais pas témoigner, en plus, ça m’aurait fait des ennuis au boulot. Ce qu’elle fait ? Nous, au Musée, on fait des papiers peints, on restaure les anciens, on en crée des nouveaux avec des artistes. Oui, à la manufacture, pas loin de la mairie, vous voyez ? Des beaux papiers peints du dix-neuvième siècle, vous savez qu’on voyait dans les salons bourgeois  de beaux panoramiques, sur la vie aux colonies. C’est beau, tout coloré, y a des bateaux, des demoiselles en crinoline avec des ombrelles, et pis des esclaves qui portent les malles. Oui, j’y travaille, je suis agent technique

    Ce qu’elle fait, c’est particulier. Au début, elle a dit qu’elle voulait faire des panneaux pour chambre de garçon, on a cru qu’elle voulait du Disney, des dessins animés, mais pas du tout, ma responsable a été assez étonnée, figurez-vous qu’elle lui a montré des photos d’un artiste américain, je crois qu’il s’appelle Gober, oui Robert Gober, qui a fait des papiers peints un peu comme dans une chambre d’enfant, bleu pâle et tout ça, mais quand elle y a regardé de plus près, c’était des arbres avec des pendus, on voit des gens du Ku-Ku-Klan avec leurs bonnets blancs sur la tête, en train de pendre des noirs aux arbres. C’est particulier, mettre des pendus dans une chambre d’enfant. Ben, elle, c’est un peu pareil. Elle veut mettre des autos sur le papier peint, des autos, mais toutes cabossées, comme dans une casse-auto. Elle nous a montrés ses dessins, presque des copies des plans de Léonard de Vinci, elle a fait des plans de pièces détachées, vous savez comme on faisait en dessin industriel, elle dessine au rothring, moi j’en ai fait au collège, et donc, sur les murs, on verra des dessins techniques, mais avec des ailes de voiture cabossées, des essieux avant accidentés, des arbres à came tout rayés, des courroies déchirées, des équipements hydrauliques tout tordus. C’est spécial. On s’demande où elle va chercher tout ça.

     

     

     



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  • Christian Boltanski

    Monument collège d'Hulst

    1986

    Kewenig Galerie 2

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    De la tenue d’un colloque international à Port-Bourgenay (Vendée) et de ses conséquences dans l’affaire qui nous occupe | 

     

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    Reçu ce jour Mme M. qui évoque un épisode de décompensation, qui lui est arrivé en 1980. Elle est jeune étudiante au moment des faits. Elle remonte une rue en se dirigeant vers le domicile de ses amis, qui vivent un peu plus haut dans le même quartier. Au moment où elle arrive devant l’immeuble de ses amis, et où elle pousse la porte, elle entend un crissement de pneus, elle se retourne et aperçoit la tête d’une petite fille sous la roue d’une auto. 

    Elle se met alors à crier, redescend la rue en courant, elle indique un épisode de malaise vagale qui la fait tituber ; elle ajoute qu’en s’appuyant contre les murs des maisons, elle s’est écorchée les bras.

    Arrivée à son appartement, elle s’effondre au sol, et reste ainsi prostrée jusqu’à l’arrivée d’un de ses amis qui avait vu la scène et l’avait suivie pour lui venir en aide. Elle prétend ensuite ne s’être souvenue de cet événement qu’à l’occasion du présent travail d’anamnèse.

    Replacé dans le contexte névrotique de la scène, on ne peut que souligner, que la réaction hypertrophiée n’est pas liée à l’événement, dans lequel le sujet n’est pas affectivement engagé ; la scène constitue, selon Mme M., le complément d’une autre scène dont elle aurait été partiellement témoin ; les images réalistes de l’événement relaté (nommé événement N°2 pour les besoins du compte-rendu) reconstitueraient des éléments manquants d’un premier événement (non abordé ce jour).

    En référence, nous pouvons citer un article, intitulé Trauma, Memory, and catharsis, sous-titre Anthropological Observations on a Folk-Psychological Construct, de Michael G. Kenny (Simon Fraser University of Burnaby, BC V5A 186, Canada), publié in Recollections of Trauma – Scientific evidence and Clinical Practice, édité par J. Don Read an D. Stephen Lindsay – NATO ASI Series – in Series A : Life Sciences Vol. 291, chez Plenum Press, New York and London, en collaboration avec NATO Scientific Affairs Division, et rédigé à l’occasion d’un poster communiqué lors d’un colloque international sur la remémoration de souvenirs cachés, qui s’est tenu en 1997 à Port-Bourgenay (Vendée),  qui démontre que c’est au second événement que le traumatisme du premier événement se réactive.

     

     

     


     

     

     

     


     

     

     



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  • Robert Combras

    Mini clubman

    Crédit Photo Anthropia

     

     

     

    Versatilité des conduites automatiques dans les faubourgs des petites villes |

     

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    La conductrice quittait la ville, roulant dans les faubourgs, quand l'incident s’est produit.

    Le véhicule était arrivé au niveau de la devanture des établissements Jardiland, à côté des bureaux de la DDE, au 12, rue Donzerre, quand son moteur a calé. Le véhicule à ce moment-là était situé dans le sens longitudinal de l'axe principal.

    La conductrice se serait mise à accélérer puis à freiner, puis à accélérer à nouveau sans raison apparente. Ça ne semble pas avoir été une erreur de passage de vitesses, la voiture louée était une conduite automatique. La voiture aurait avancé par cahots, de plus en plus courts, puis la conductrice aurait appuyé de manière intempestive sur la pédale de frein, c’est à ce moment-là que son corps aurait heurté le volant. On ne sait pas ce qui a empêché sa tête de traverser le pare-brise. On suppose que le véhicule roulait à faible vitesse, étant proche du centre-ville.

    La conductrice se serait alors effondrée contre le volant, le véhicule stoppé au milieu de la chaussée. Il semble qu’elle se soit mise à pleurer. La victime ne se souvient pas des causes de ces pleurs.

    Après avoir repris ses esprits, la conductrice a jeté un coup d’œil derrière elle pour voir la route. En relevant la tête elle a aperçu un piéton sur le trottoir. Le piéton n’a pas souhaité être interrogé. Elle a alors redémarré pour garer la voiture un peu plus loin, sur le bas-côté.

    L’automobiliste déclare ne pas savoir pourquoi cette crise de larmes est arrivée, aussitôt après une visite à l’Hôpital Pasteur. Elle dit avoir ressenti le besoin tout à coup de s’y rendre. La conductrice dit qu’elle n’avait pourtant pas à y faire, n’ayant pas de parent ou de proche y séjournant. Elle indique par ailleurs qu’elle est venue dans la ville pour affaires, que c’est son trois ou quatrième séjour, qu’elle vient en général une journée ou deux tous les deux mois.

    Elle précise qu’elle a eu l’impression de reconnaître le nom de l’hôpital et que peut-être elle y est déjà venue enfant. Elle pense qu’elle a reconnu le parking, sa très grande taille –ce qui est vérifié- et qu’elle a eu le sentiment d’un « déjà vu ». Ce sentiment semble s’être confirmé lors de sa visite des lieux, la chapelle notamment, dont elle a identifié les murs de béton et son vitrail des Frères Ott, sur la fille de Jaïre, qui lui ont rappelé des souvenirs. Elle se souvient également être passée devant un des accès aux étages du pavillon du fond, mais sans pouvoir indiquer si c’était la porte de gauche ou de droite qu’elle empruntait à l’époque de sa fréquentation des lieux.

    A plusieurs reprises, elle indique ne plus se rappeler les raisons qui l’ont amenée là,  enfant. Pourtant, à différentes questions sur son enfance, nous constatons qu’elle ne semble pas souffrir d’amnésie. Une expertise est demandée à ce sujet.


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