• crédit photo anthropia # blog

     

     

     

     

    Cette fois, c’est sûr c'est le cancer. Il le sait, il vient de consulter Doctissimo et il n'y a plus de doute, cette tache qu'il a remarqué ces derniers jours, c'est un mélanome, pas de lézard.

    Le téléphone sonne, c'est sa mère. Et il se retrouve à lui dire qu'il l'aime, à lui parler comme si c'était la dernière fois, et sa mère, l'enfonçant sans le savoir, lui raconte que C., le voisin d'enfance, est mort, comme elle fait toujours, elle passe son temps à l’appeler pour lui annoncer les morts, elle l'a lu dans La Dépêche, elle a appelé sa fille pour se faire raconter, et voilà que le pauvre homme était à son jardin et sans s'en apercevoir avait marché sur le bout de sa bêche et le manche remonté comme un boomerang l'avait assommé, le faisant tomber sur une pierre au niveau de la nuque, la nuque ça ne pardonne pas, et que ça avait été instantané, mort d'avoir voulu préparer sa terre pour l'hiver, mort du quotidien en quelque sorte, combien de fois C. l'avait retourné son carré de jardin ouvrier, combien de fois il avait fait des blagues aux petites vieilles juste à côté, mais que cette fois la blague c'était lui, un épisode ironique, comme toujours avec ces histoires qu'on raconte des morts. Et il se demande comment sa mère parlera de lui quand.

    Mais il ne va pas se laisser faire, il décide de prendre le taureau par les cornes, appelle le médecin pour se faire recommander le meilleur dermatologue de la ville, il s'en trouve un qui fait des miracles, traitant le corps de façon globale, si son médecin le dit, qu'il a une approche holiste, c'est ça le mot qu’il utilise, et il lui va bien, parce que ce mélanome arrive juste après sa séparation d'avec M. et alors qu'il vient de perdre son job au Callcenter, et que ce n'est sûrement pas un hasard, on le dit qu'il vous tombe toujours une tuile quand on a des accidents de la vie, il paraît que deux c'est la limite pour que ça vous déclenche quelque chose, il l'a lu sur le Ca m'intéresse du mois dernier, tiens, rien que ça, juste il a lu le truc et ça lui arrive, comme une prémonition, l'explication juste avant l'événement, c'est tout de même curieux, non.

    Il téléphone tout de suite pour un rendez-vous, il ne faut pas laisser traîner ces choses-là, son toubib le lui a dit, heureusement il s'y prend tôt, à peine trois jours qu'il a constaté l'apparition de cette petite surface d'à peine deux centimètres. L'inconvénient, c'est qu'elle se situe en plein milieu du visage, et que ça se voit comme le nez, enfin, c'est sous la pommette gauche, il a d'abord cru à un bouton de fièvre ou quelque chose comme ça, c'est la couleur qui l'a intrigué d'un beige d'abord et puis de plus en plus clair sur certaines parties, et ailleurs plus grand et plus sombre.

    Les dermatos à T. c'est long pour un rendez-vous, faut attendre quinze jours, sa sœur lui a dit qu'un délai pareil, très raisonnable, elle qui le dit, pour lui l'attente est un calvaire, et elle qui ne comprend rien, il lui raccroche en plein milieu de sa phrase, non mais, c'est qu'en deux semaines ça a eu le temps de s'agrandir, c'est à présent une flaque de cinq centimètres et elle fait comme un visage dans le visage, une petite lune ronde avec de chaque côté deux excroissances qui figurent des oreilles et sur le haut un drôle de truc, comme si quelqu'un s'était installé là et qui le regardait dans la glace le matin quand il se rase, sauf qu'à cet endroit il ne se rase pas, enfin il ne se prive pas d'étaler la mousse à raser jusqu'au milieu de la figure, façon de cacher pour un instant la face de carême qui se fout de lui, enfin c'est lui qui le voit comme ça, personne à la maison pour lui dire le contraire depuis qu'elle est partie, sa Cunégonde.

    Il se présente dix minutes avant l'heure du rendez-vous, il n'en peut plus, il a d'abord voulu prendre un café juste à côté au Sempiternel, mais l'idée qu'on va le regarder, il ne supporte pas, il a passé ces quinze jours terré chez lui, c'est la première fois qu'il ressort, et comme c'est l'été, pas moyen de planquer la tache sous une écharpe, il est tout nu là, si sa meuf avait encore été là, il lui aurait piqué son fond de teint, mais non, elle n'est plus là, il a bien essayé de l'appeler pour lui parler de son problème, elle n'a pas été méchante, juste indifférente, parlant de ce ton léger qu'il a toujours haï chez elle, sa manière de n'avoir aucun sentiment, ah c'est bête ce qui t'arrive, en ayant l'air de complètement s'en foutre et il a rentré ses jérémiades, pire que tout, être à l'article de la mort et personne à qui se plaindre.

    A présent il est dans la salle d’attente, remontant haut le magazine qu'il lit, c'est un vieux Numéro du Nouvel Obs, un papier sur les morts-vivants, les golems, il retourne au sommaire, non un truc comme ça c'est trop déprimant. A peine qu’il cherche autre chose à se mettre sous la dent que la secrétaire appelle son nom, il se lève et se dirige vers le bureau du docteur, heureusement c'est son bon profil et les gens qui attendent n'ont pas le temps de voir, dire qu'il y a des gens qui naissent avec une tache de vin comme ça en pleine face, bon pour lui ça ne fait que quinze jours.

    Le docteur n'est pas un tendre, il dit bonjour rapidement, lui demande de s'installer sur la table et avec sa loupe entreprend de constater les dégâts, il s'enquiert de l'antériorité de la chose, il ne semble pas autrement étonné ni inquiet. Un énorme soulagement, ça n'a l'air de rien, mais les trois premières minutes quand un médecin se montre décontracté et qu’on a l’impression que ce n’est pas trop grave. Sauf que les paroles du médecin sont une douche froide, nous allons attendre pour voir comment ça évolue. Quoi, pas de traitement, pas d'opération, rien à faire. Alors il insiste et l'expert se laisse convaincre, un scanner, pourquoi pas, mais il a l'air de faire ça pour lui faire plaisir.

    En sortant il décide d'aller s'acheter un flacon de fond de teint, il cherche au Monoprix le produit le moins cher, c'est pas pour la beauté, juste pour cacher, mais il faut tout de suite allonger trente euros et ça fait un jour d'alloc chômedu, ça lui coûte une semaine en cigarettes, d'ailleurs il se dit qu'il faut en profiter pour arrêter de fumer, il n'a plus de raison de fumer, va pas mourir de ça de toutes manières.

    En l'étalant le soir, il se dit qu'il a l'air d'une tarlouze avec cette couleur ou d'un de ces journalistes à la télé qu'a toujours l'air bronzé, en fait il finit par s'y habituer trouvant même que ça lui donne bonne mine, longtemps qu'il n'a pas été à la mer, comme quand enfant il y allait et qu'il revenait noiraud, beau gosse que les filles reluquaient. Mais dans la rue, ça n'est plus ça, sans doute sa dégaine un peu plouc, et son petit bidon qu'il récolte de trop de bières.

    En attendant, en se démaquillant plus tard, il voit bien que ça ne s'arrange pas, y a à présent comme des yeux qui le fixent, et en la mesurant au double décimètre, la chose fait bien sept centimètres. Il frissonne. Comment ça sera ce truc avec les jours, est-ce que ça va remonter sur le nez, s'approcher des yeux, les contourner, aura-t-il comme un œil au beurre noir ? Va-t-elle s'élargir dans la largeur, montant sur le nez pour redescendre de l'autre côté, et on dirait que ça s’étend vers le bas, ça fait comme une pointe, ça s’installe, comme à la maison et lui qui ne sait que faire.

    Au bout d'un mois, il décide de rappeler le dermatologue pour lui dire que ça grossit de plus en plus, qu'on en est à présent à une tête plus un début de corps, une sorte de foetus qui lui descend jusqu'au-dessus du menton en biais, un peu à la façon de ces gros guillemets qu'ils mettent des fois dans les titres des journaux, juste à côté de la bouche, comme un crochet qui dit, parle, mais parle, t'as kekchose à dire, mais lui ne sait pas qu'il a à dire, comment il saurait. Et c'est pas avec son job au Callcenter qu'il aura appris, là-bas on aligne les mots comme des robots, on a le texte dans un classeur, un miroir en face pour sourire, ça s'entend quand tu souris qu'il disait le boss, et lui de sourire, bonjours madame, je vous appelle pour, il faut en placer un maximum pour pas qu'elle ait l'idée de raccrocher, pis après quand ça marche, et ça marche pas souvent, on commence l'argumentaire, alors là oui des choses à dire il en avait, savait répondre à toutes les questions. Mais là dans la salle de bain, face au miroir, avec cette apostrophe sur la gueule, qu'est-ce qu'on attend donc qu'il dise.

    Et là sa gonzesse enfonce sa clef, qu'elle a gardée, dans la serrure, pensant peut-être qu'il est au boulot, en plein après-midi, et son air effaré à le voir, mais qu'est-ce que t'as ?, et lui qu'est-ce que tu fous ici, je suis venue chercher des fringues que j'avais oubliées, mais c'est quoi cette horreur. Il n'avait pas l'intention de sortir alors il n'avait pas mis son cache-misère, et être vu comme ça par elle, c'est la pire punition, elle le regarde à présent comme s'il était un monstre. Ben j'te l'avais dit, c'est un mélanome. Et tu comptes faire quoi murmure-t-elle dégoûtée. Il ne sait quoi répondre, dire qu'on attend dans ces cas-là, c'est la loose, on a l'air minable. Et pourtant c'est bien ça. Alors par provo, il lui dit qu'il se prépare pour le concours de Monstre de l'Année. Elle se détourne et part avec son baluchon sans demander son reste.

    C'est à ce moment-là qu'il décide d'aller chez le rebouteux, il en a marre de ce dermato de ses deux qui ne fout rien, le scanner n'a rien donné et il voit pas où il va avec lui.

    Dans cette maison à l’orée de la forêt, le petit homme qui a pris sa loupe, lui aussi, scrute la tache. Il l’entend, sa respiration, son souffle de plus en plus fort, mais qu’est-ce que, mais qu’est-ce que, F., viens voir et toi aussi M.-H., j’en vois rarement des comme ça, venez voir je vous dis, les autres poussent la porte, le rebouteux le regarde, ça ne vous gêne pas, c’est pour la science hein, celle qu’il a nommée F. y va de son c’est pas Dieu possible, et l’autre M.-H. ajuste ses lunettes pour y voir mieux, mais c’est incroyable, n’est-ce pas dit le rebouteux les yeux brillants. Monsieur, il s’adresse à lui cette fois, il faut que je vous dise quelque chose de très important, des trucs comme ça je n’en avais vu qu’une fois avant, qu’une seule fois, et c’est en, je n’arrive même pas à me souvenir de l’année, alors voilà, vous savez, votre mélanome, eh bien, c’est pas un mélanome, c’est un Père Noël.

    Un Père Noël ? Il aurait eu la foudre à ses pieds que ça ne l’aurait pas davantage secoué, un Père Noël, et pourquoi pas un papillon ou je n’sais pas moi, un crapaud, c’était un Père Noël, et il se souvient qu’il les avait toujours regardés d’un air méfiant depuis l’enfance, toujours eu une interrogation devant ces êtres qui ne ressemblaient pas aux catégories humaines inventoriées même au plus petit âge.

    Oui, et c’est comme qui dirait un cas d’espèce, une affaire qu’on sait traiter, j’ai fini par trouver les formules qui vont bien, ça m’avait pris du temps la première fois, j’avais dû m’y reprendre à, mais maintenant, c’est au point, bien que je n’aie pas eu à m’en servir souvent, c’est ce que c’est rare ces trucs-là, la formule et puis je barre la tache, comme on barre les brûlures.

    Vous dites que ça se barre ?

    Oui, il me faudra quelques séances et d’ailleurs je vais commencer tout de suite.

    Et il le voit serrer ses lèvres, le docte murmure derrière ses dents, et lève ses deux mains vers son visage et les tient à même pas deux centimètres du visage juste en face de l'étrange face.

    Quand le rebouteux finit la prière, il lui tend le miroir, et là, c’est magique, il s’aperçoit que la chose a déjà régressé, que ce truc qui avait l’air enkysté dedans n’est en fait qu’en surface, et même pas en surface en fait comme un leurre, en lévitation, puisque de simples mains à distance, ça en enlève, c’est proprement fabuleux ce qu’il fait ce sorcier.

    Mais c’est dû à quoi, ose-t-il tout à coup demander, comment ça m’est venu ?

    Ecoutez, moi je traite les effets, pas les causes, dit le vieux, mais ce que je crois, c’est que vous avez été marabouté sans doute.

    Marabouté, vous voulez dire que quelqu’un m’a jeté un sort ?

    Un sort ou un philtre d’amour, parce qu’un Père Noël, c’est supposé vous faire un cadeau, et puis on ne sait pas d’où ça vient, peut-être que c’était vous qui le vouliez le Père Noël, sans même le savoir, vous m’avez dit que vous aviez eu des soucis ces derniers temps, et ben voilà, vous vous êtes peut-être jeté un sort à vous-même.

    Après avoir remercié, faut c'k’y faut, honneur aux hommes de l’art, il part pensif. Et tous les jours revient pour une dizaine de séances chez le magicien, ça a l’air difficile quand-même parce que le vieil homme dit qu’il ne peut traiter que lui en ce moment, tant le travail l’épuise, mais au bout de dix séances, la tache n’est plus qu’un grain de beauté, comme ce que c’était au début, un grain de beauté qui a mal tourné. Et là, tout à coup, il se sent délivré, tout ça n’était que le fruit d'une imagination ou de plusieurs, peut-être bien un malintentionné quelque part.

    Et qu’il est prêt à présent à se retaper, à sortir de sa déprime et aller de l’avant. En fait, c’est ça que le Père Noël lui a apporté, dans le creux d'une fiction, c’est un voyage, le temps d’ouvrir le cadeau au pied de sa bouche et ç’en est fini de la stérile répétition des jours..

    Ce jour-là il se dit qu'il doit tout cela à son rebouteux et à son savoir qui sauve, et il décide de lui offrir un récit, comme ça, un récit de remerciement. Une bizarre blessure apparaît soudainement sur son visage sans cause apparente. S’agrandit. Conséquences.

     

     

     


     


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    Je ne sais pas si ça vous fait ça, mais Noël pour moi a souvent cette saveur des contes et légendes que je lisais enfant, de ces récits plus ou moins d'horreur qui vous laissaient un étrange goût dans la bouche, celui d'une histoire pour rien, d'un petit coup de frayeur, du diable et de ses diablotins, et du dérisoire en fin de compte, comme si on y avait perdu du temps, pas complètement, on a forgé un imaginaire, on s'est donné les mots, du bon temps, mais ça ne tient pas plus que ça, c'était jadis.

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    Cette fois, c’est sûr c'est le cancer. Il le sait, il vient de consulter Doctissimo et il n'y a plus de doute, cette tache qu'il a remarqué ces derniers jours, c'est un mélanome, pas de lézard.

    Le téléphone sonne, c'est sa mère. Et il se retrouve à lui dire qu'il l'aime, à lui parler comme si c'était la dernière fois, et sa mère, l'enfonçant sans le savoir, lui raconte que C.,le voisin d'enfance, est mort, comme elle fait toujours, elle passe son temps à l’appeler pour lui annoncer les morts, elle l'a lu dans La Dépêche, elle a appelé sa fille pour se faire raconter, et voilà que le pauvre homme était à son jardin et sans s'en apercevoir avait marché sur le bout de sa bêche et le manche remonté comme un boomerang l'avait assommé, le faisant tomber sur une pierre au niveau de la nuque, la nuque ça ne pardonne pas, et que ça avait été instantané, mort d'avoir voulu préparer sa terre pour l'hiver, mort du quotidien en quelque sorte, combien de fois C. l'avait retourné son carré de jardin ouvrier, combien de fois il avait fait des blagues aux petites vieilles juste à côté, mais que cette fois la blague c'était lui, un épisode ironique, comme toujours avec ces histoires qu'on raconte des morts. Et il se demande comment sa mère parlera de lui quand.

    Mais il ne va pas se laisser faire, il décide de prendre le taureau par les cornes, appelle le médecin pour se faire recommander le meilleur dermatologue de la ville, il s'en trouve un qui fait des miracles, traitant le corps de façon globale, si son médecin le dit, qu'il a une approche holiste, c'est ça le mot qu’il utilise, et il lui va bien, parce que ce mélanome arrive juste après sa séparation d'avec M. et alors qu'il vient de perdre son job au Callcenter, et que ce n'est sûrement pas un hasard, on le dit qu'il vous tombe toujours une tuile quand on a des accidents de la vie, il paraît que deux c'est la limite pour que ça vous déclenche quelque chose, il l'a lu sur le Ca m'intéresse du mois dernier, tiens, rien que ça, il lit le truc juste et ça lui arrive, comme une prémonition, l'explication juste avant l'événement, c'est tout de même curieux, non.

    Il téléphone tout de suite pour un rendez-vous, il ne faut pas laisser traîner ces choses-là, son toubib le lui a dit, heureusement il s'y prend tôt, à peine trois jours qu'il a constaté l'apparition de cette petite surface d'à peine deux centimètres. L'inconvénient, c'est qu'elle se situe en plein milieu du visage, et que ça se voit comme le nez, enfin, c'est sous la pommette gauche, il a d'abord cru à un bouton de fièvre ou quelque chose comme ça, c'est la couleur qui l'a intrigué d'un beige d'abord et puis de plus en plus clair sur certaines parties, et ailleurs plus grand et plus sombre.

    Les dermatos à T. c'est long pour un rendez-vous, faut attendre quinze jours, sa sœur lui a dit qu'un délai pareil, très raisonnable, elle qui le dit, pour lui l'attente est un calvaire, et elle qui ne comprend rien, il lui raccroche en plein milieu de sa phrase, non mais, c'est qu'en deux semaines ça a eu le temps de s'agrandir, c'est à présent une flaque de cinq centimètres et elle fait comme un visage dans le visage, une petite lune ronde avec de chaque côté deux excroissances qui figurent des oreilles et sur le haut un drôle de truc, comme si quelqu'un s'était installé là et qui le regardait dans la glace le matin quand il se rase, sauf qu'à cet endroit il ne se rase pas, enfin il ne se prive pas d'étaler la mousse à raser jusqu'au milieu de la figure, façon de cacher pour un instant la face de carême qui se fout de lui, enfin c'est lui qui le voit comme ça, personne à la maison pour lui dire le contraire depuis qu'elle est partie, sa Cunégonde.

    Il se présente dix minutes avant l'heure du rendez-vous, il n'en peut plus, il a d'abord voulu prendre un café juste à côté au Sempiternel, mais l'idée qu'on va le regarder, il ne supporte pas, il a passé ces quinze jours terré chez lui, c'est la première fois qu'il ressort, et comme c'est l'été, pas moyen de planquer la tache sous une écharpe, il est tout nu là, si sa meuf avait encore été là, il lui aurait piqué son fond de teint, mais non, elle n'est plus là, il a bien essayé de l'appeler pour lui parler de son problème, elle n'a pas été méchante, juste indifférente, parlant de ce ton léger qu'il a toujours haï chez elle, sa manière de n'avoir aucun sentiment, ah c'est bête ce qui t'arrive, en ayant l'air de complètement s'en foutre et il a rentré ses jérémiades, pire que tout, être à l'article de la mort et personne à qui se plaindre.

    A présent il est dans la salle d’attente, remontant haut le magazine qu'il lit, c'est un vieux Numéro du Nouvel Obs, un papier sur les morts-vivants, les golems, il retourne au sommaire, non un truc comme ça c'est trop déprimant. A peine qu’il cherche autre chose à se mettre sous la dent que la secrétaire appelle son nom, il se lève et se dirige vers le bureau du docteur, heureusement c'est son bon profil et les gens qui attendent n'ont pas le temps de voir, dire qu'il y a des gens qui naissent avec une tache de vin comme ça en pleine face, bon pour lui ça ne fait que quinze jours.

    Le docteur n'est pas un tendre, il dit bonjour rapidement, lui demande de s'installer sur la table et avec sa loupe entreprend de constater les dégâts, il s'enquiert de l'antériorité de la chose, il ne semble pas autrement étonné ni inquiet. Un énorme soulagement, ça n'a l'air de rien, mais les trois premières minutes quand un médecin se montre décontracté et qu’on a l’impression que ce n’est pas trop grave. Sauf que les paroles du médecin sont une douche froide, nous allons attendre pour voir comment ça évolue. Quoi, pas de traitement, pas d'opération, rien à faire. Alors il insiste et l'expert se laisse convaincre, un scanner, pourquoi pas, mais il a l'air de faire ça pour lui faire plaisir.

    En sortant il décide d'aller s'acheter un flacon de fond de teint, il cherche au Monoprix le produit le moins cher, c'est pas pour la beauté, juste pour cacher, mais il faut tout de suite allonger trente euros et ça fait un jour d'alloc chômedu, ça lui coûte une semaine en cigarettes, d'ailleurs il se dit qu'il faut en profiter pour arrêter de fumer, il n'a plus de raison de fumer, va pas mourir de ça de toutes manières.

    En l'étalant le soir, il se dit qu'il a l'air d'une tarlouze avec cette couleur ou d'un de ces journalistes à la télé qu'a toujours l'air bronzé, en fait il finit par s'y habituer trouvant même que ça lui donne bonne mine, longtemps qu'il n'a pas été à la mer, comme quand enfant il y allait et qu'il revenait noiraud, beau gosse que les filles reluquaient. Mais dans la rue, ça n'est plus ça, sans doute sa dégaine un peu plouc, et son petit bidon qu'il récolte de trop de bières.

    En attendant, en se démaquillant le soir, il voit bien que ça ne s'arrange pas, y a à présent comme des yeux qui le fixent, et en la mesurant au double décimètre, la chose fait bien sept centimètres. Il frissonne. Comment ça sera ce truc avec les jours, est-ce que ça va remonter sur le nez, s'approcher des yeux, les contourner, aura-t-il comme un œil au beurre noir ? Va-t-elle s'élargir dans la largeur, montant sur le nez pour redescendre de l'autre côté, et on dirait que ça s’étend vers le bas, ça fait comme une pointe, ça s’installe, comme à la maison et lui qui ne sait que faire.

    Au bout d'un mois, il décide de rappeler le dermatologue pour lui dire que ça grossit de plus en plus, qu'on en est à présent à une tête plus un début de corps, une sorte de foetus qui lui descend jusqu'au-dessus du menton en biais, un peu à la façon de ces gros guillemets qu'ils mettent des fois dans les titres des journaux, juste à côté de la bouche, comme si un crochet qui dit, parle, mais parle, t'as kekchose à dire, mais lui ne sait pas qu'il a à dire, comment il saurait. Et c'est pas avec son job au Callcenter qu'il aura appris, là-bas on aligne les mots comme des robots, on a le texte dans un classeur, un miroir en face pour sourire, ça s'entend quand tu souris qu'il disait le boss, et lui de sourire, bonjours madame, je vous appelle pour, il faut en placer un maximum pour pas qu'elle ait l'idée de raccrocher, pis après quand ça marche, et ça marche pas souvent, on commence l'argumentaire, alors là oui des choses à dire il en avait, savait répondre à toutes les questions. Mais là dans la salle de bain, face au miroir, avec cette apostrophe sur la gueule, qu'est-ce qu'on attend donc qu'il dise.

    Et là sa gonzesse enfonce sa clef, qu'elle a gardée, dans la serrure, pensant peut-être qu'il est au boulot, en plein après-midi, et son air effaré à le voir, mais qu'est-ce que t'as ?, et lui qu'est-ce que tu fous ici, je suis venue chercher des fringues que j'avais oubliées, mais c'est quoi cette horreur. Il n'avait pas l'intention de sortir alors il n'avait pas mis son cache-misère, et être vu comme ça par elle, c'est la pire punition, elle le regarde à présent comme s'il était un monstre. Ben j'te l'avais dit, c'est un mélanome. Et tu comptes faire quoi murmure-t-elle dégoûtée. Il ne sait quoi répondre, dire qu'on attend dans ces cas-là, c'est la loose, on a l'air minable. Et pourtant c'est bien ça. Alors par provo, il lui dit qu'il se prépare pour le concours de Monstre de l'Année. Elle se détourne et part avec son baluchon sans demander son reste.

    C'est à ce moment-là qu'il décide d'aller chez le rebouteux, il en a marre de ce dermato de ses deux qui ne fout rien, le scanner n'a rien donné et il voit pas où il va avec lui.

    Et là le petit homme qui a pris sa loupe lui aussi scrute la tache, il entend sa respiration, il souffle de plus en plus fort, mais qu’est-ce qu’il a à souffler comme ça, et tout à coup un petit c’est pas Dieu possible, juste avant de lui dire, vous savez quoi, votre mélanome, c’est pas un mélanome, c’est un Père Noël.

     

    Un petit conte de Noël.

     

     

     

     

     

     

     



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  • rouge renversé

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    Care de vous, lecteurs.

    D'abord et avant tout. Care.

    Care de moi aussi,

    là s'arrête une aventure,

    pour bientôt le site.

     

    Que l'année passée d'envolée

    ne se résume pas

    à vos mails ordinaires.

     

    Ne soyez jamais résumés par les autres,

    résumez-vous vous-mêmes.

     

    Il y aura toujours des "good enough"

    pour vous,

    vous le savez,

    alors cherchez-les.

     

    Et continuez de lire,

    là-bas ailleurs,

    votre source de jouvence.

     

    Joyeux Noël

     

     


     

     

     

     


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  • crédit photo anthropia # blog

     

     

     

     

    Depuis que ces centaines de photos –peut-être bien des milliers- sont publiées sur le blog, je me fais chaque jour la réflexion que c’est un art et que je ne le maîtrise pas.

    Alors bien sûr, je parviens un peu à cadrer, parfois coup de chance, mais la geste de prendre un sujet qui se présente dans le champ de vision ne suffit pas, il faut savoir traiter toute la chaîne.

    Je ne parle pas seulement du réglage de l’appareil, le mien c'est un Canon, j’ai appris quelques trucs, mais chaque appareil a sa propre logique, tout est toujours à refaire. Je parle du traitement, la post-prod. Par exemple, je me suis inscrite au Cyberespace de ma ville pour prendre des cours de Photoshop. Et j’ai vite compris que oui, je peux faire un peu de retouche, utiliser ce magic J qui fait automatiquement des corrections, aller sur les courbes et  niveaux et retoucher les couleurs, utiliser le tampon pour palier un défaut, et ce fameux « yeux rouge » qui gomme ce que le flash a révélé, mais je ne serai jamais graphiste, ni correctrice photos, ni etc., parce que sur mes photos, ça se voit, et sur les photos des autres aussi d’ailleurs, ou que même si je ne le vois pas, je sais qu’ils l’ont fait, qu’ils ont osé, retirer les cernes, rajouter du blanc, faire cet estompage que même un maquillage ne parvient pas à réussir, et que ça me déplaît parce que la photo n’a alors plus ce brut de décoffrage que j’aime et que je recherche.

    Au nom de ma grand-mère qui se tenait toujours un peu raide à la pose, au nom de ces photos de famille anciennes sur lesquelles j’ai dû tant faire de recherches pour savoir si celle-ci était mon arrière-arrière-grand-mère, celle-là la petite disparue de 1929, ou l’autre la tante Tecla, aperçue sur une photo de mariage, pistée à Saint-Wendel, lue dans une mention sur une carte postale, ou entendue dans les mots de mon père, qui ne se souciait même pas de cette généalogie estompée, et de savoir que son prénom signifie « le vin de la vie » et de s’imaginer qui peut appeler ainsi sa fille, je milite pour le vif.

    Finalement ce que je retiens d’une photo, c’est l’axe paradigmatique comme on disait jadis, le moment où on l’a prise, l’itinéraire qui l’a faite arriver dans votre portfolio, son don, cet instant où quelqu’un vous la tend, tiens c’est pour toi, ou cet angle qui vous saute au visage et à l'intérieur se dire, je prends ça tout de suite en moi, je veux éterniser cet instant, alors oui bien sûr, on peut être sensible à la photogénie d’un visage ou pas, à l’analyse des sèmes, à ce retour de mémoire, la sensation qu’on avait à cet instant-là, mais je sais qu’une photo n’a pas ce grain de la vraie vie, de la lumière du regard, de l’alerte du corps, de ces mouvements dans l’espace, de ces instants d’avant le toucher. C’est pourquoi je l’avoue, j’ai même une réticence avec l’image immobile.

    Et en attendant, ce n’est pas très grave, la photo a minima me va bien, pour ce que je veux en faire.

     

     

     





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  • crédit photo anthropia # blog

     

     

    Cherche la musique

    du monde

     

    quand tout n’est que danse des morts

    ballet de pendus

    orchestre de cloportes

     

    tu sais que là

    dissonne la saison

     

    Dans la cacophonie

    seul le fou

    tente de trouver le diapason

     

    Dans la cavalcade

    seul le poète

    cherche à déballer le métronome

     

    Irruption des aigües

    reviens aux graves

     

    Il s’agirait d’une déchirure de l'air

    dans la plaie des douleurs

    Il s’agirait d’un son perdu

    qui erre sa portée

    Il s’agirait d’un appel

    dans la solitude des montagnes

     

    tétanise le froid

    gèle l'incertitude

    il t’appartient de tempérer le climat

     

    Au simulacre d'effroi

    à la valse des perles

    à la barbarie des mythes

    aux faux en écritures de soi

    qui ont troublé ta vue

    et effrayé ton âme

     

    regarde, écoute, entends,

     

    Le la ne sonne

    qu'aux oreilles du sage

     

    sonate de bambous à la fenêtre

     

     

     

     


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