• crédit photo anthropia # blog

     

     

     

     

    Cette fois, c’est sûr c'est le cancer. Il le sait, il vient de consulter Doctissimo et il n'y a plus de doute, cette tache qu'il a remarqué ces derniers jours, c'est un mélanome, pas de lézard.

    Le téléphone sonne, c'est sa mère. Et il se retrouve à lui dire qu'il l'aime, à lui parler comme si c'était la dernière fois, et sa mère, l'enfonçant sans le savoir, lui raconte que C., le voisin d'enfance, est mort, comme elle fait toujours, elle passe son temps à l’appeler pour lui annoncer les morts, elle l'a lu dans La Dépêche, elle a appelé sa fille pour se faire raconter, et voilà que le pauvre homme était à son jardin et sans s'en apercevoir avait marché sur le bout de sa bêche et le manche remonté comme un boomerang l'avait assommé, le faisant tomber sur une pierre au niveau de la nuque, la nuque ça ne pardonne pas, et que ça avait été instantané, mort d'avoir voulu préparer sa terre pour l'hiver, mort du quotidien en quelque sorte, combien de fois C. l'avait retourné son carré de jardin ouvrier, combien de fois il avait fait des blagues aux petites vieilles juste à côté, mais que cette fois la blague c'était lui, un épisode ironique, comme toujours avec ces histoires qu'on raconte des morts. Et il se demande comment sa mère parlera de lui quand.

    Mais il ne va pas se laisser faire, il décide de prendre le taureau par les cornes, appelle le médecin pour se faire recommander le meilleur dermatologue de la ville, il s'en trouve un qui fait des miracles, traitant le corps de façon globale, si son médecin le dit, qu'il a une approche holiste, c'est ça le mot qu’il utilise, et il lui va bien, parce que ce mélanome arrive juste après sa séparation d'avec M. et alors qu'il vient de perdre son job au Callcenter, et que ce n'est sûrement pas un hasard, on le dit qu'il vous tombe toujours une tuile quand on a des accidents de la vie, il paraît que deux c'est la limite pour que ça vous déclenche quelque chose, il l'a lu sur le Ca m'intéresse du mois dernier, tiens, rien que ça, juste il a lu le truc et ça lui arrive, comme une prémonition, l'explication juste avant l'événement, c'est tout de même curieux, non.

    Il téléphone tout de suite pour un rendez-vous, il ne faut pas laisser traîner ces choses-là, son toubib le lui a dit, heureusement il s'y prend tôt, à peine trois jours qu'il a constaté l'apparition de cette petite surface d'à peine deux centimètres. L'inconvénient, c'est qu'elle se situe en plein milieu du visage, et que ça se voit comme le nez, enfin, c'est sous la pommette gauche, il a d'abord cru à un bouton de fièvre ou quelque chose comme ça, c'est la couleur qui l'a intrigué d'un beige d'abord et puis de plus en plus clair sur certaines parties, et ailleurs plus grand et plus sombre.

    Les dermatos à T. c'est long pour un rendez-vous, faut attendre quinze jours, sa sœur lui a dit qu'un délai pareil, très raisonnable, elle qui le dit, pour lui l'attente est un calvaire, et elle qui ne comprend rien, il lui raccroche en plein milieu de sa phrase, non mais, c'est qu'en deux semaines ça a eu le temps de s'agrandir, c'est à présent une flaque de cinq centimètres et elle fait comme un visage dans le visage, une petite lune ronde avec de chaque côté deux excroissances qui figurent des oreilles et sur le haut un drôle de truc, comme si quelqu'un s'était installé là et qui le regardait dans la glace le matin quand il se rase, sauf qu'à cet endroit il ne se rase pas, enfin il ne se prive pas d'étaler la mousse à raser jusqu'au milieu de la figure, façon de cacher pour un instant la face de carême qui se fout de lui, enfin c'est lui qui le voit comme ça, personne à la maison pour lui dire le contraire depuis qu'elle est partie, sa Cunégonde.

    Il se présente dix minutes avant l'heure du rendez-vous, il n'en peut plus, il a d'abord voulu prendre un café juste à côté au Sempiternel, mais l'idée qu'on va le regarder, il ne supporte pas, il a passé ces quinze jours terré chez lui, c'est la première fois qu'il ressort, et comme c'est l'été, pas moyen de planquer la tache sous une écharpe, il est tout nu là, si sa meuf avait encore été là, il lui aurait piqué son fond de teint, mais non, elle n'est plus là, il a bien essayé de l'appeler pour lui parler de son problème, elle n'a pas été méchante, juste indifférente, parlant de ce ton léger qu'il a toujours haï chez elle, sa manière de n'avoir aucun sentiment, ah c'est bête ce qui t'arrive, en ayant l'air de complètement s'en foutre et il a rentré ses jérémiades, pire que tout, être à l'article de la mort et personne à qui se plaindre.

    A présent il est dans la salle d’attente, remontant haut le magazine qu'il lit, c'est un vieux Numéro du Nouvel Obs, un papier sur les morts-vivants, les golems, il retourne au sommaire, non un truc comme ça c'est trop déprimant. A peine qu’il cherche autre chose à se mettre sous la dent que la secrétaire appelle son nom, il se lève et se dirige vers le bureau du docteur, heureusement c'est son bon profil et les gens qui attendent n'ont pas le temps de voir, dire qu'il y a des gens qui naissent avec une tache de vin comme ça en pleine face, bon pour lui ça ne fait que quinze jours.

    Le docteur n'est pas un tendre, il dit bonjour rapidement, lui demande de s'installer sur la table et avec sa loupe entreprend de constater les dégâts, il s'enquiert de l'antériorité de la chose, il ne semble pas autrement étonné ni inquiet. Un énorme soulagement, ça n'a l'air de rien, mais les trois premières minutes quand un médecin se montre décontracté et qu’on a l’impression que ce n’est pas trop grave. Sauf que les paroles du médecin sont une douche froide, nous allons attendre pour voir comment ça évolue. Quoi, pas de traitement, pas d'opération, rien à faire. Alors il insiste et l'expert se laisse convaincre, un scanner, pourquoi pas, mais il a l'air de faire ça pour lui faire plaisir.

    En sortant il décide d'aller s'acheter un flacon de fond de teint, il cherche au Monoprix le produit le moins cher, c'est pas pour la beauté, juste pour cacher, mais il faut tout de suite allonger trente euros et ça fait un jour d'alloc chômedu, ça lui coûte une semaine en cigarettes, d'ailleurs il se dit qu'il faut en profiter pour arrêter de fumer, il n'a plus de raison de fumer, va pas mourir de ça de toutes manières.

    En l'étalant le soir, il se dit qu'il a l'air d'une tarlouze avec cette couleur ou d'un de ces journalistes à la télé qu'a toujours l'air bronzé, en fait il finit par s'y habituer trouvant même que ça lui donne bonne mine, longtemps qu'il n'a pas été à la mer, comme quand enfant il y allait et qu'il revenait noiraud, beau gosse que les filles reluquaient. Mais dans la rue, ça n'est plus ça, sans doute sa dégaine un peu plouc, et son petit bidon qu'il récolte de trop de bières.

    En attendant, en se démaquillant plus tard, il voit bien que ça ne s'arrange pas, y a à présent comme des yeux qui le fixent, et en la mesurant au double décimètre, la chose fait bien sept centimètres. Il frissonne. Comment ça sera ce truc avec les jours, est-ce que ça va remonter sur le nez, s'approcher des yeux, les contourner, aura-t-il comme un œil au beurre noir ? Va-t-elle s'élargir dans la largeur, montant sur le nez pour redescendre de l'autre côté, et on dirait que ça s’étend vers le bas, ça fait comme une pointe, ça s’installe, comme à la maison et lui qui ne sait que faire.

    Au bout d'un mois, il décide de rappeler le dermatologue pour lui dire que ça grossit de plus en plus, qu'on en est à présent à une tête plus un début de corps, une sorte de foetus qui lui descend jusqu'au-dessus du menton en biais, un peu à la façon de ces gros guillemets qu'ils mettent des fois dans les titres des journaux, juste à côté de la bouche, comme un crochet qui dit, parle, mais parle, t'as kekchose à dire, mais lui ne sait pas qu'il a à dire, comment il saurait. Et c'est pas avec son job au Callcenter qu'il aura appris, là-bas on aligne les mots comme des robots, on a le texte dans un classeur, un miroir en face pour sourire, ça s'entend quand tu souris qu'il disait le boss, et lui de sourire, bonjours madame, je vous appelle pour, il faut en placer un maximum pour pas qu'elle ait l'idée de raccrocher, pis après quand ça marche, et ça marche pas souvent, on commence l'argumentaire, alors là oui des choses à dire il en avait, savait répondre à toutes les questions. Mais là dans la salle de bain, face au miroir, avec cette apostrophe sur la gueule, qu'est-ce qu'on attend donc qu'il dise.

    Et là sa gonzesse enfonce sa clef, qu'elle a gardée, dans la serrure, pensant peut-être qu'il est au boulot, en plein après-midi, et son air effaré à le voir, mais qu'est-ce que t'as ?, et lui qu'est-ce que tu fous ici, je suis venue chercher des fringues que j'avais oubliées, mais c'est quoi cette horreur. Il n'avait pas l'intention de sortir alors il n'avait pas mis son cache-misère, et être vu comme ça par elle, c'est la pire punition, elle le regarde à présent comme s'il était un monstre. Ben j'te l'avais dit, c'est un mélanome. Et tu comptes faire quoi murmure-t-elle dégoûtée. Il ne sait quoi répondre, dire qu'on attend dans ces cas-là, c'est la loose, on a l'air minable. Et pourtant c'est bien ça. Alors par provo, il lui dit qu'il se prépare pour le concours de Monstre de l'Année. Elle se détourne et part avec son baluchon sans demander son reste.

    C'est à ce moment-là qu'il décide d'aller chez le rebouteux, il en a marre de ce dermato de ses deux qui ne fout rien, le scanner n'a rien donné et il voit pas où il va avec lui.

    Dans cette maison à l’orée de la forêt, le petit homme qui a pris sa loupe, lui aussi, scrute la tache. Il l’entend, sa respiration, son souffle de plus en plus fort, mais qu’est-ce que, mais qu’est-ce que, F., viens voir et toi aussi M.-H., j’en vois rarement des comme ça, venez voir je vous dis, les autres poussent la porte, le rebouteux le regarde, ça ne vous gêne pas, c’est pour la science hein, celle qu’il a nommée F. y va de son c’est pas Dieu possible, et l’autre M.-H. ajuste ses lunettes pour y voir mieux, mais c’est incroyable, n’est-ce pas dit le rebouteux les yeux brillants. Monsieur, il s’adresse à lui cette fois, il faut que je vous dise quelque chose de très important, des trucs comme ça je n’en avais vu qu’une fois avant, qu’une seule fois, et c’est en, je n’arrive même pas à me souvenir de l’année, alors voilà, vous savez, votre mélanome, eh bien, c’est pas un mélanome, c’est un Père Noël.

    Un Père Noël ? Il aurait eu la foudre à ses pieds que ça ne l’aurait pas davantage secoué, un Père Noël, et pourquoi pas un papillon ou je n’sais pas moi, un crapaud, c’était un Père Noël, et il se souvient qu’il les avait toujours regardés d’un air méfiant depuis l’enfance, toujours eu une interrogation devant ces êtres qui ne ressemblaient pas aux catégories humaines inventoriées même au plus petit âge.

    Oui, et c’est comme qui dirait un cas d’espèce, une affaire qu’on sait traiter, j’ai fini par trouver les formules qui vont bien, ça m’avait pris du temps la première fois, j’avais dû m’y reprendre à, mais maintenant, c’est au point, bien que je n’aie pas eu à m’en servir souvent, c’est ce que c’est rare ces trucs-là, la formule et puis je barre la tache, comme on barre les brûlures.

    Vous dites que ça se barre ?

    Oui, il me faudra quelques séances et d’ailleurs je vais commencer tout de suite.

    Et il le voit serrer ses lèvres, le docte murmure derrière ses dents, et lève ses deux mains vers son visage et les tient à même pas deux centimètres du visage juste en face de l'étrange face.

    Quand le rebouteux finit la prière, il lui tend le miroir, et là, c’est magique, il s’aperçoit que la chose a déjà régressé, que ce truc qui avait l’air enkysté dedans n’est en fait qu’en surface, et même pas en surface en fait comme un leurre, en lévitation, puisque de simples mains à distance, ça en enlève, c’est proprement fabuleux ce qu’il fait ce sorcier.

    Mais c’est dû à quoi, ose-t-il tout à coup demander, comment ça m’est venu ?

    Ecoutez, moi je traite les effets, pas les causes, dit le vieux, mais ce que je crois, c’est que vous avez été marabouté sans doute.

    Marabouté, vous voulez dire que quelqu’un m’a jeté un sort ?

    Un sort ou un philtre d’amour, parce qu’un Père Noël, c’est supposé vous faire un cadeau, et puis on ne sait pas d’où ça vient, peut-être que c’était vous qui le vouliez le Père Noël, sans même le savoir, vous m’avez dit que vous aviez eu des soucis ces derniers temps, et ben voilà, vous vous êtes peut-être jeté un sort à vous-même.

    Après avoir remercié, faut c'k’y faut, honneur aux hommes de l’art, il part pensif. Et tous les jours revient pour une dizaine de séances chez le magicien, ça a l’air difficile quand-même parce que le vieil homme dit qu’il ne peut traiter que lui en ce moment, tant le travail l’épuise, mais au bout de dix séances, la tache n’est plus qu’un grain de beauté, comme ce que c’était au début, un grain de beauté qui a mal tourné. Et là, tout à coup, il se sent délivré, tout ça n’était que le fruit d'une imagination ou de plusieurs, peut-être bien un malintentionné quelque part.

    Et qu’il est prêt à présent à se retaper, à sortir de sa déprime et aller de l’avant. En fait, c’est ça que le Père Noël lui a apporté, dans le creux d'une fiction, c’est un voyage, le temps d’ouvrir le cadeau au pied de sa bouche et ç’en est fini de la stérile répétition des jours..

    Ce jour-là il se dit qu'il doit tout cela à son rebouteux et à son savoir qui sauve, et il décide de lui offrir un récit, comme ça, un récit de remerciement. Une bizarre blessure apparaît soudainement sur son visage sans cause apparente. S’agrandit. Conséquences.

     

     

     


     


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    Je ne sais pas si ça vous fait ça, mais Noël pour moi a souvent cette saveur des contes et légendes que je lisais enfant, de ces récits plus ou moins d'horreur qui vous laissaient un étrange goût dans la bouche, celui d'une histoire pour rien, d'un petit coup de frayeur, du diable et de ses diablotins, et du dérisoire en fin de compte, comme si on y avait perdu du temps, pas complètement, on a forgé un imaginaire, on s'est donné les mots, du bon temps, mais ça ne tient pas plus que ça, c'était jadis.

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    Cette fois, c’est sûr c'est le cancer. Il le sait, il vient de consulter Doctissimo et il n'y a plus de doute, cette tache qu'il a remarqué ces derniers jours, c'est un mélanome, pas de lézard.

    Le téléphone sonne, c'est sa mère. Et il se retrouve à lui dire qu'il l'aime, à lui parler comme si c'était la dernière fois, et sa mère, l'enfonçant sans le savoir, lui raconte que C.,le voisin d'enfance, est mort, comme elle fait toujours, elle passe son temps à l’appeler pour lui annoncer les morts, elle l'a lu dans La Dépêche, elle a appelé sa fille pour se faire raconter, et voilà que le pauvre homme était à son jardin et sans s'en apercevoir avait marché sur le bout de sa bêche et le manche remonté comme un boomerang l'avait assommé, le faisant tomber sur une pierre au niveau de la nuque, la nuque ça ne pardonne pas, et que ça avait été instantané, mort d'avoir voulu préparer sa terre pour l'hiver, mort du quotidien en quelque sorte, combien de fois C. l'avait retourné son carré de jardin ouvrier, combien de fois il avait fait des blagues aux petites vieilles juste à côté, mais que cette fois la blague c'était lui, un épisode ironique, comme toujours avec ces histoires qu'on raconte des morts. Et il se demande comment sa mère parlera de lui quand.

    Mais il ne va pas se laisser faire, il décide de prendre le taureau par les cornes, appelle le médecin pour se faire recommander le meilleur dermatologue de la ville, il s'en trouve un qui fait des miracles, traitant le corps de façon globale, si son médecin le dit, qu'il a une approche holiste, c'est ça le mot qu’il utilise, et il lui va bien, parce que ce mélanome arrive juste après sa séparation d'avec M. et alors qu'il vient de perdre son job au Callcenter, et que ce n'est sûrement pas un hasard, on le dit qu'il vous tombe toujours une tuile quand on a des accidents de la vie, il paraît que deux c'est la limite pour que ça vous déclenche quelque chose, il l'a lu sur le Ca m'intéresse du mois dernier, tiens, rien que ça, il lit le truc juste et ça lui arrive, comme une prémonition, l'explication juste avant l'événement, c'est tout de même curieux, non.

    Il téléphone tout de suite pour un rendez-vous, il ne faut pas laisser traîner ces choses-là, son toubib le lui a dit, heureusement il s'y prend tôt, à peine trois jours qu'il a constaté l'apparition de cette petite surface d'à peine deux centimètres. L'inconvénient, c'est qu'elle se situe en plein milieu du visage, et que ça se voit comme le nez, enfin, c'est sous la pommette gauche, il a d'abord cru à un bouton de fièvre ou quelque chose comme ça, c'est la couleur qui l'a intrigué d'un beige d'abord et puis de plus en plus clair sur certaines parties, et ailleurs plus grand et plus sombre.

    Les dermatos à T. c'est long pour un rendez-vous, faut attendre quinze jours, sa sœur lui a dit qu'un délai pareil, très raisonnable, elle qui le dit, pour lui l'attente est un calvaire, et elle qui ne comprend rien, il lui raccroche en plein milieu de sa phrase, non mais, c'est qu'en deux semaines ça a eu le temps de s'agrandir, c'est à présent une flaque de cinq centimètres et elle fait comme un visage dans le visage, une petite lune ronde avec de chaque côté deux excroissances qui figurent des oreilles et sur le haut un drôle de truc, comme si quelqu'un s'était installé là et qui le regardait dans la glace le matin quand il se rase, sauf qu'à cet endroit il ne se rase pas, enfin il ne se prive pas d'étaler la mousse à raser jusqu'au milieu de la figure, façon de cacher pour un instant la face de carême qui se fout de lui, enfin c'est lui qui le voit comme ça, personne à la maison pour lui dire le contraire depuis qu'elle est partie, sa Cunégonde.

    Il se présente dix minutes avant l'heure du rendez-vous, il n'en peut plus, il a d'abord voulu prendre un café juste à côté au Sempiternel, mais l'idée qu'on va le regarder, il ne supporte pas, il a passé ces quinze jours terré chez lui, c'est la première fois qu'il ressort, et comme c'est l'été, pas moyen de planquer la tache sous une écharpe, il est tout nu là, si sa meuf avait encore été là, il lui aurait piqué son fond de teint, mais non, elle n'est plus là, il a bien essayé de l'appeler pour lui parler de son problème, elle n'a pas été méchante, juste indifférente, parlant de ce ton léger qu'il a toujours haï chez elle, sa manière de n'avoir aucun sentiment, ah c'est bête ce qui t'arrive, en ayant l'air de complètement s'en foutre et il a rentré ses jérémiades, pire que tout, être à l'article de la mort et personne à qui se plaindre.

    A présent il est dans la salle d’attente, remontant haut le magazine qu'il lit, c'est un vieux Numéro du Nouvel Obs, un papier sur les morts-vivants, les golems, il retourne au sommaire, non un truc comme ça c'est trop déprimant. A peine qu’il cherche autre chose à se mettre sous la dent que la secrétaire appelle son nom, il se lève et se dirige vers le bureau du docteur, heureusement c'est son bon profil et les gens qui attendent n'ont pas le temps de voir, dire qu'il y a des gens qui naissent avec une tache de vin comme ça en pleine face, bon pour lui ça ne fait que quinze jours.

    Le docteur n'est pas un tendre, il dit bonjour rapidement, lui demande de s'installer sur la table et avec sa loupe entreprend de constater les dégâts, il s'enquiert de l'antériorité de la chose, il ne semble pas autrement étonné ni inquiet. Un énorme soulagement, ça n'a l'air de rien, mais les trois premières minutes quand un médecin se montre décontracté et qu’on a l’impression que ce n’est pas trop grave. Sauf que les paroles du médecin sont une douche froide, nous allons attendre pour voir comment ça évolue. Quoi, pas de traitement, pas d'opération, rien à faire. Alors il insiste et l'expert se laisse convaincre, un scanner, pourquoi pas, mais il a l'air de faire ça pour lui faire plaisir.

    En sortant il décide d'aller s'acheter un flacon de fond de teint, il cherche au Monoprix le produit le moins cher, c'est pas pour la beauté, juste pour cacher, mais il faut tout de suite allonger trente euros et ça fait un jour d'alloc chômedu, ça lui coûte une semaine en cigarettes, d'ailleurs il se dit qu'il faut en profiter pour arrêter de fumer, il n'a plus de raison de fumer, va pas mourir de ça de toutes manières.

    En l'étalant le soir, il se dit qu'il a l'air d'une tarlouze avec cette couleur ou d'un de ces journalistes à la télé qu'a toujours l'air bronzé, en fait il finit par s'y habituer trouvant même que ça lui donne bonne mine, longtemps qu'il n'a pas été à la mer, comme quand enfant il y allait et qu'il revenait noiraud, beau gosse que les filles reluquaient. Mais dans la rue, ça n'est plus ça, sans doute sa dégaine un peu plouc, et son petit bidon qu'il récolte de trop de bières.

    En attendant, en se démaquillant le soir, il voit bien que ça ne s'arrange pas, y a à présent comme des yeux qui le fixent, et en la mesurant au double décimètre, la chose fait bien sept centimètres. Il frissonne. Comment ça sera ce truc avec les jours, est-ce que ça va remonter sur le nez, s'approcher des yeux, les contourner, aura-t-il comme un œil au beurre noir ? Va-t-elle s'élargir dans la largeur, montant sur le nez pour redescendre de l'autre côté, et on dirait que ça s’étend vers le bas, ça fait comme une pointe, ça s’installe, comme à la maison et lui qui ne sait que faire.

    Au bout d'un mois, il décide de rappeler le dermatologue pour lui dire que ça grossit de plus en plus, qu'on en est à présent à une tête plus un début de corps, une sorte de foetus qui lui descend jusqu'au-dessus du menton en biais, un peu à la façon de ces gros guillemets qu'ils mettent des fois dans les titres des journaux, juste à côté de la bouche, comme si un crochet qui dit, parle, mais parle, t'as kekchose à dire, mais lui ne sait pas qu'il a à dire, comment il saurait. Et c'est pas avec son job au Callcenter qu'il aura appris, là-bas on aligne les mots comme des robots, on a le texte dans un classeur, un miroir en face pour sourire, ça s'entend quand tu souris qu'il disait le boss, et lui de sourire, bonjours madame, je vous appelle pour, il faut en placer un maximum pour pas qu'elle ait l'idée de raccrocher, pis après quand ça marche, et ça marche pas souvent, on commence l'argumentaire, alors là oui des choses à dire il en avait, savait répondre à toutes les questions. Mais là dans la salle de bain, face au miroir, avec cette apostrophe sur la gueule, qu'est-ce qu'on attend donc qu'il dise.

    Et là sa gonzesse enfonce sa clef, qu'elle a gardée, dans la serrure, pensant peut-être qu'il est au boulot, en plein après-midi, et son air effaré à le voir, mais qu'est-ce que t'as ?, et lui qu'est-ce que tu fous ici, je suis venue chercher des fringues que j'avais oubliées, mais c'est quoi cette horreur. Il n'avait pas l'intention de sortir alors il n'avait pas mis son cache-misère, et être vu comme ça par elle, c'est la pire punition, elle le regarde à présent comme s'il était un monstre. Ben j'te l'avais dit, c'est un mélanome. Et tu comptes faire quoi murmure-t-elle dégoûtée. Il ne sait quoi répondre, dire qu'on attend dans ces cas-là, c'est la loose, on a l'air minable. Et pourtant c'est bien ça. Alors par provo, il lui dit qu'il se prépare pour le concours de Monstre de l'Année. Elle se détourne et part avec son baluchon sans demander son reste.

    C'est à ce moment-là qu'il décide d'aller chez le rebouteux, il en a marre de ce dermato de ses deux qui ne fout rien, le scanner n'a rien donné et il voit pas où il va avec lui.

    Et là le petit homme qui a pris sa loupe lui aussi scrute la tache, il entend sa respiration, il souffle de plus en plus fort, mais qu’est-ce qu’il a à souffler comme ça, et tout à coup un petit c’est pas Dieu possible, juste avant de lui dire, vous savez quoi, votre mélanome, c’est pas un mélanome, c’est un Père Noël.

     

    Un petit conte de Noël.

     

     

     

     

     

     

     



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    Un pull d’une belle matière comme celui qu’on aime de nos jours auquel on s'arrime en bas en haut chaque jour on en rêve tous mais à l’époque il faut remplacer belle par piquante sur la photo la laine a l’air doux mais ne pas s’y tromper celle-là gratte et puis les couleurs les couleurs de ce pull tricoté à la main oubli qui l’a tricoté ce beige berk chiné de quelques fibres bleutées et peut-être une pointe de vert couleur layette à un âge où on aspire aux vraies couleurs vous vous souvenez que la laine dévore qu’elle n’est pas faite pour vous pas plus que vous n’êtes faite pour elle une incongruité erreur au démarrage et c’est ainsi on n’y peut pas grand chose à cet âge-là et à côté vous lorgnez ce beau cashmere d’un rose entre l’indien et le saumon jamais vu ailleurs tellement séduisant qui love les formes surmonté d’un gilet noir col en V à première vue tout à fait raffiné tricoté en Irlande côté gentleman enseignant sciences po et même un peu anar mais qu’est-ce qu’on en sait et il a le parfum qui va bien alors on serait tenté de l’attraper quand il traîne sur un lit et on s’en habille on croit que ça y est qu’on a réussi à troquer le vieux pull contre le beau et puis au centième lavage on se rend compte que le pull ne rend plus pareil qu’il a changé on ignore la cause on tente de comprendre il a pris des formes sur vous alors ça se voit et puis il se troue de plus en plus souvent il se troue il finit par ne plus avoir l’air de rien du tout on tente encore on n’y peut on n’abandonne pas juste qu’on se tient à distance et puis il fait retour au-dessus de la pile on en porte d’autres entre temps on le reprise on tente de saisir les mailles de les relever et ça marche on a un pull pas trop abîmé mais toujours cette impression qu’il y a des trous qu’on devrait laisser tomber jusqu’à ce qu’un jour quelqu’un vous dise la vérité ce pull est un cashmere ça risque c’est d’une autre époque vous accusez le coup et puis dites que nécessaire de ré-emmailler et c’est fait vous pensez que c'est réussi que le pull enfin se laisse voir et que ça simplifie les choses que vous croyez parce que ce faisant le pull s’est galvaudé avec ses stickers qu’on met sur les trous ça cache mais en fait s’avachit et qu’au lavage ça s’en va et c’est faux et vous en avez assez vous êtes lassée  c’est fini plus le goût et là le miracle vous le retrouvez dans un tiroir tout penaud on jette en général à la poubelle mais vous avez l'art de récupérer les vieilles loques alors vous le gardez comme un vieux chiffon ami côté pelage noir et côté flanelle bien utile au ménage que vous faisiez avec votre fils et puis un jour on le voit partir en lambeaux et ce qui vous reste est le souvenir d’un beau cashmere qui vous a fait du bon temps et qui à la fin malgré toutes les misères même tout mal foutu était doux pour vous.

     

     


     

     


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  • Dites-le avec des fleurs

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    Hier j’ai perdu ma bague, ne rien chercher de trouble, j’avais perdu ma bague, point. Ni bague de fiançailles, ni alliance, j’ai remisé tout ça il y a quelques temps déjà, non juste un anneau à deux cercles d’argent et entre eux des petits rubis, pratique ne s’use pas, on ne perd pas les pierres, bien serties entre les bras offerts, ma bague habituelle, je ne suis pas changeuse en matière de bijoux. A une certaine valeur, mais depuis longtemps, largement amortie.

    J’ouvre mon Encyclopédie favorite à la lettre B, qui me confie que le B est très compliqué.

    « Le B étant une consonne, il n’a de son qu’avec une voyelle ; ainsi quand le B termine un mot, tels que Achab, Job ou Jacob, après avoir formé le B par l’approche des deux lèvres l’une contre l’autre, on ouvre la bouche & on pousse autant d’air qu’il en faut pour faire entendre un e muet, & ce n’est qu’alors qu’on entend le B. Cet e muet est beaucoup plus foible que celui qu’on entend dans syllabe, Eusèbe, globe ».


    Ça commençait bien, en effet, sans la bouche, sans les lèvres, sans le e et sans ce coller soudain des lèvres l’une sur l’autre, c’est-à-dire une première ouverture pour aspirer puis le son mat des lèvres à bouche, point de B. Et le e muet qu’on n’entend pas et qui manquerait cruellement s’il n’était point là, est INDISPENSABLE. On ne peut s’en passer, je sais c’est redondant, mais.

     

    Chez les Grecs modernes, on ne dit plus, alpha, béta, on dit alpha vita, quel beau mot que ce B transformé en vit, on le voit tout de suite à la langue que ça vibre.

     

    Alors soyons précis, mes cours lointains de linguistique opératoire et de phonétique sonore me reviennent, non sans un coup de main de wi ki vous savez.

    « Voici les caractéristiques de la consonne occlusive bilabiale voisée :

    • Son mode d'articulation est occlusif, ce qui signifie qu'elle est produite en obstruant l’air du chenal vocal.
    • Son point d’articulation est bilabial, ce qui signifie qu'elle est articulée avec les deux lèvres.
    • Sa phonation est voisée, ce qui signifie que les cordes vocales vibrent lors de l’articulation.
    • C'est une consonne orale, ce qui signifie que l'air ne s’échappe que par la bouche.
    • C'est une consonne centrale, ce qui signifie qu’elle est produite en laissant l'air passer au-dessus du milieu de la langue, plutôt que par les côtés.
    • Son mécanisme de courant d'air est égressif pulmonaire, ce qui signifie qu'elle est articulée en poussant l'air par les poumons et à travers le chenal vocatoire, plutôt que par la glotte ou la bouche. »

    J’en reste bouche bée, cette précision de la consonne, cette mise à contribution de toutes les cordes, déployées jusqu’en leurs derniers retranchements, il s’agit d’obstruer le chenal vocal, et de voiser, c’est beau ce voisin qui fait vibrer l’articulation.

     

    Et cette oralité, à tous les sens du terme, au-dessus du milieu de la langue, plus que par les côtés, encore que ça puisse s’envisager, mais ici l’air et la bouche comme la geste qu’on sonne, ah, c’est central dans cette lettre.

     

    Et ce mécanisme de courant d’air égressif pulmonaire, tous les poumons à l’abordage, cette articulation au chenal vocatoire, chenons, chenons, jusqu’à répétition du B.e,, le bêlement de chèvre en récompense de ses bons et loyaux services de pousser l’air par les poumons de toutes ses forces, c’est bien le moindre effort qu’on puisse faire pour la bête.

     

    Mais où en étais-je, ah oui, à la BAGUE, chez Diderot et d’Alembert, pas de surprise, « petit ornement circulaire d’or, d’argent & quelques autres matières, qu’on porte à un doigt ». Pas très commun toutefois chez les Grecs, point chez Homère, nous disent les spécialistes, mais bien sûr chez les Egyptiens, Pharaon donnant par exemple sa bague à cacheter à Joseph. Les plus anciens Romains appelaient la leur ungulum, juste en passant.

    Mais c’est pour la frette des jeux d’anches de l’orgue à laquelle on donne le nom de bague, que j’ai une sympathie toute particulière.

    «  BAGUES ; on appelle ainsi, dans les jeux d'anches de l'Orgue, une frette ou un anneau de plomb D, (fig. 44. Pl. d'Orgue) soudé sur le corps du tuyau. Cette bague a un trou pour passer la rasette a b, au moyen de laquelle on accorde les jeux d'anches. Voyez TROMPETTE. Lorsque le tuyau est placé dans sa boîte A B, la bague doit porter sur la partie supérieure de cette boîte, dans laquelle elle entre en partie, & doit y être ajustée de façon que l'air contenu dans cette boîte, ne puisse trouver d'issue pour sortir que par l'anche du tuyau. Voyez ORGUE. « 

    Tout est dit, « ne puisse trouver d’issue pour sortir que par l’anche du tuyau ». Et ce TROMPETTE, on m'invite à naviguer, mais j'ai résisté dans l'attente, je ne suis pas allée non plus jusqu’à ORGUE, j’attends pour ça une occasion.

     

    Ah, tous ces paragraphes de bague et même jusqu’à BAGUENAUDIER, que je ne résiste pas au plaisir de citer

    « S. m. colutea (Hist. nat.) genre de plante à fleur papilionacée. Il sort du calice un pistil qui devient dans la suite une capsule membraneuse, enflée comme une vessie, dans laquelle il y a des semences qui ont la forme d'un rein. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE. (I)

    Son bois est clair, ses feuilles rondes, petites, d'un verd blanchâtre, avec des fleurs jaunes. Cet arbre se dépouille l'hyver, & se marcotte ordinairement, quoiqu'il donne de la graine. Sa graine étant mûre, devient jaune. (K) »

    Oui, tous ces paragraphes, on y succomberait, j'ai même jeté un coup d’œil à BAGUETTE, au doigt et à l’œil, que ne ferais-je pour nourrir l’animal, sans compter que j'y trouve mon intérêt :

     

    « S. f. On donne communément ce nom à un petit morceau de bois de quelques lignes d'épaisseur, plus ou moins long, rond & flexible. On employe la baguette à une infinité d'usages. Le bois dont on la fait, varie selon ses usages. On en fait même de fer forgé.

     

    J'en ai profité pour me cultiver, cette baguette divine ou divinatoire :

    « BAGUETTE DIVINE ou DIVINATOIRE. On donne ce beau nom à un rameau fourchu de coudrier, d'aune, de hêtre ou de pommier. Il n'est fait aucune mention de cette baguette dans les auteurs qui ont vécu avant l'onzieme siecle. Depuis le tems qu'elle est connue on lui a donné différens noms, comme caducée, verge d'Aaron, &c. Voici la maniere dont on prétend qu'on s'en doit servir. On tient d'une main l'extrémité d'une branche, sans la serrer beaucoup, ensorte que le dedans de la main regarde le ciel. On tient de l'autre main l'extrémité de l'autre branche, la tige commune étant parallele à l'horison, ou un peu plus élevée. L'on avance ainsi doucement vers l'endroit où l'on soupconnne qu'il y a de l'eau. Dès que l'on y est arrivé, la baguette tourne & s'incline vers la terre, comme une aiguille qu'on vient d'aimanter. »

     

    Finissant sur cette belle transpiration :

    « Une transpiration de corpuscules abondans, grossiers, sortis des mains & du corps, & poussés rapidement, peut rompre, écarter le volume, ou la colonne des vapeurs qui s'élevent de la source, ou tellement boucher les pores & les fibres de la baguette, qu'elle soit inaccessible aux vapeurs ; & sans l'action des vapeurs, la baguette ne dira rien : d'où il semble que l'épreuve de la baguette doit se faire sur-tout le matin, parce qu'alors la vapeur n'ayant point été enlevée, elle est plus abondante. C'est peut-être aussi pour cette raison que la baguette n'a pas le même effet dans toutes les mains, ni toûjours dans la même main. »

    on comprend mieux pourquoi j’y étais si sensible, point de vice là-dedans, juste de la vertu appliquée à la tâche.

    De la bague à la baguette, il n’y a vraiment qu’un pas, que j’ai parcouru ardemment dans la crainte de la perdre définitivement, j'aurais bien sûr aussi pu m'acheter cette petite fantaisie, mais pour ça on peut attendre, quoi que pour meubler ces longs silences d’objets qui font tant de peine, d’une certaine façon, je ne pouvais que la retrouver ma bague et ce matin, je l'ai retrouvée posée sur ce livre, qui fut le contrepoint l'automne et l'hiver dernier à ma lecture de Proust, tout un itinéraire pour me souvenir du chemin qui, elle était bien tombée de mon annulaire, je me suis dit que j’aurais dû prévoir la chose, perdre de la perte, tout un programme, c’était inévitable que cette bague à mon annulaire n’allait pas tenir, j’ai donc décidé de la mettre au majeur, bien au centre, deux doigts de chaque côté, comme emprisonnée dans cet embrassement, et là est arrimée, solidement emboîtée, elle ne risque plus de fuir.

    Elle est au doigt la bague.

     

    Débris de rien, de la bague à la baguette, rubis sur l'ongle


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  • M/M (Paris)
    Just like an ant walking on the edge of the visible (détail, réarrangé par la suite), 2009

    Galerie Air de Paris

    crédit photo anthropia # blog

     

     

    Je viens de faire refaire mon couloir tout en blanc, deux mètres en face et puis cet angle droit qui mène vers les chambres, le mur est doux au toucher, le peintre a posé cette gaze délicate qui polit, qu'on aime caresser, après avoir enduit le mur à large spatule dans de grands arcs de cercle qui épuisent, puis terminé avec l'enduit de finissage éliminant chaque touffe de trop, le laissant arasé, ces gestes du rajout du bout des doigts qui font de mon couloir cette ligne de douceur toute lumineuse, ô le « oh de surprise » quand j'ai vu le résultat, magistral, magnifique, ironique et barbare à la fois, ce travail de forçat qui laisse sans voix éreintée d'admiration, et pourtant je me demande si je n'aimais pas davantage le couloir dans son gris brut de béton, dans le clair-obscur d'un luminaire peu abondant, mais gardant ses mystères, permettant que tous les espoirs soient possibles, -qu'on l'avait repeint ce trésor de bleu latin, de vert chiné d'Orient, et même de ce rouge carmin qui mènerait dans la réalité d'une chambre préparée, qu'on en avait rêvé de cette surface, de ses cinq couches au moins pour obtenir le laqué voulu-, oui, j'aimais ses alvéoles qu'on creuse dans la saveur d'un relief, et ces taches de rouille et ces légères aspérités qu'on gratte d'un doigt concerné, mais comment, je n'ai pas le savoir, la technique et mes moyens sont limités.

    Alors je me console, solitaire, souvenir du protocole au pinceau, la stricte fabrique comme redite dans les replis de nuit, juchée sur les résidus d'une fin de chantier. Si le peintre est reparti, barrant, masquant l'histoire de mon appartement, me laissant juste l'odeur glycérophtalique, s'en fichant il ne faisait ça que pour, le peintre est volage, il vogue de fresque en fresque, il vient par surprise dans le dos, mais repart illico, just for fun, et il emporte avec lui la mémoire du gris comme en creux et me laisse la beauté du blanc, cette lumière qui vous blesse, le peintre, mon peintre, aurais-je aimé dire. Et j'enrage du beau.

     


    Allan McCollum & Allen Ruppersberg
    Sets and Collections 8-1014, 2005-2008

    Galerie Air de Paris

    crédit photo anthropia # blog

     

     


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