• Reportage sur un club d'aviron

    Crédit photo anthropia # blog

     

     

     

     

    La première fois qu’on se souvient, on perd l’innocence,

    ne peut plus faire semblant d’ignorer, plus passer à côté

    ça revient comme une petite phrase chaque jour,

    Colmar, Colmar, ça nargue, ça te dit tu ne peux pas l’ignorer le Grand ciel

     

    la première fois qu’on se souvient on accepte la fin

    on la fait première enfin dernière dans l’horizon des jours

    on conçoit de la concevoir, on conçoit l’échec, que le temps passe,

     

    La première fois qu’on se souvient, on irrigue, un livre est la hache qui brise la mer gelée en nous, et peu à peu la peau, la voix, et puis le vibrato, ce souffle qu’on entend, les voici ceux qui me parlaient, les délyophiliser, c’est ça ma vocation, l’imaginaire est là, je parle du petit avion, qui nous fait sourire, subtile, cette aile de la sororité, la main douce sur la joue, la main douce dans la main.

     

    La première fois que tu te souviens, c’est la porte ouverte, tu vas y aller dans le vert et puis le blanc,  toutes ces voix qui poussent leurs rauques murmures, je les accepte, j’entre en génuflexion, j’irai pas cracher sur vos tombes, je vais les relever, mettre quelques pierres sur chacune, la symphonie se verra traversée.

     

     

     



    votre commentaire
  • Reportage sur un club d'aviron

    Crédit photo anthropia # blog

     

     

     

    Une valse à 7 temps : de la combinatoire |

     

    Et si tout ça n'était que de la combinatoire,

    arriver à englober mon roman-monde à moi

    dans un seul roman, 7 d'un coup, comme le petit tailleur.

    7 quoi ?

    Je décris, que les amoureux de la poésie se sauvent,

    ça va être méthodologique, mathématique,

    une nouvelle base, je compte en base anthropia # blog.

     

    P comme intervention psy

    A comme artiste imaginaire ou pas

    E comme voix d'enfant

    T comme technique, objets, vocabulaire des gens des territoires, ceux que j'écoute à longueur de journées, ces métiers jamais tout à fait les mêmes, et leur jargon, leurs processus, leurs technologies, leurs méthodologies, leurs procédures


    J comme journal, journal d’écriture, journal de vie, le temps qui passe, ce qui affecte et ce qui désaffecte du quotidien

    M comme musique, la mienne, celle qui m’a irriguée enfant,

    W comme witness, le W de Pérec, la disparition/réapparition de mes témoins intimes, les familiaux, tous ceux qui étaient là dans l’enfance et qui sont partis, presque tous

     

    Ce qui me donne dans le chapitre # 1 de Casse-auto,  comme un miracle du hasard, par le sens, le montage, attention, bouchez-vous les oreilles, 2 P, 2 A, 2 E, 2 T, 4 J, 2 M, 1 W


    Une combinatoire à 7 variables, comment composer un rythme à 7 temps, le plus que j’avais fait en chanson, c’était 4 temps, c’était la plus aboutie, je crois qu’après ça, je n’ai plus vraiment composé de vraie chanson pour une vraie carrière, juste les chansons d’enfant, mais ça c’est personnel


    Et je m’étonnais de ne pas y arriver

    Ce travail de titan, commencé, quoi, il y a huit ans, rebattu, rebabattues les cartes et chaque fois, aporie, impasse, voie sans issue, voie perdue, et même à l’instant, là, tout de suite, j’espère y arriver, mais je n’en suis pas tout à fait sûre.


    Confrontée enfin à ma toute-impuissance, me battais comme l’abeille contre la vitre, pédalant dans le beurre la mouche, confrontant dans la douleur l’expérience, tentant de confondre la réminiscence et la fiction, les confondre comme on leur met le couteau sous la gorge, il fallait que ça passe en catimini, dans le cabinet noir de ma TL.

     

    Pérec aimait ça la combinatoire, les contraintes d’écriture, tiens je retente, 2 P, 2 A, pas de e, et non, je ne vais pas le refaire, Pérec, c’était Pérec, non.


    Avec moi, y a le « nous » quand-même d’une famille, et puis tout récemment le vent, le paysage, le ciel, la couleur, et la joie du réel de ma boutique obscure, ce que #Dear Proust a introduit depuis que je le lis, chaque jour pour une heure, quand il vient s’inviter à mon thé, non dansant, quand il me fait cette chose, qu’un grand roman peut faire, vous transformer.

     

     



    votre commentaire
  • Thirtsa Ullmann

    Crédit photo Thirtsa Ullmann

    (droits réservés)

     

     

    V5

     

     

    Berechit |


    1

    Au commencement.

     

     

    De la tenue d’un colloque international à Port-Bourgenay (Vendée) et de ses conséquences dans l’affaire qui nous occupe | 

     

    2

    Reçu ce jour (noter la date) Madame M. (à classer en expertise psychiatrique EP-12 à la lettre M)

    Mme M. évoque un épisode de décompensation qui lui est arrivé en (interruption) 1980. Elle est jeune étudiante au moment des faits. Elle remonte une rue en se dirigeant vers le domicile de ses amis, qui vivent un peu plus haut dans le même quartier. Au moment où elle arrive devant leur immeuble et où elle pousse la porte, elle entend un crissement de pneus, elle se retourne et aperçoit la tête d’une petite fille sous la roue d’une auto. 

    Elle se met alors à crier, redescend la rue en courant, elle indique un épisode de (interruption) malaise vagale, qui la fait tituber ; elle ajoute qu’en s’appuyant contre les murs des maisons, elle s’est écorchée les bras.

    Arrivée à son appartement, elle s’effondre au sol, et reste ainsi prostrée, jusqu’à l’arrivée d’un de ses amis qui avait vu la scène et l’avait suivie pour lui venir en aide. Elle prétend ensuite ne s’être souvenue de cet événement qu’à l’occasion du présent travail d’anamnèse.

    Replacé dans le contexte névrotique de la scène, on ne peut que souligner, que la réaction hypertrophiée n’est pas liée à l’événement, dans lequel le sujet n’est pas affectivement engagé (interruption) la scène constitue, selon Mme M., le complément d’une autre scène dont elle aurait été partiellement témoin ; les images réalistes de l’événement relaté (noter ici événement N°2 pour les besoins de compte-rendu) reconstitueraient des éléments manquants d’un premier événement (non abordé ce jour).

    En référence, nous pouvons citer un article, intitulé (interruption) Trauma, Memory, and Catharsis, sous-titre Anthropological Observations on a Folk-Psychological Construct, de Michael G. Kenny (Simon Fraser University of Burnaby, BC V5A 186, Canada), publié in Recollections of Trauma – Scientific evidence and Clinical Practice, édité par J. Don Read an D. Stephen Lindsay – NATO ASI Series – in Series A : Life Sciences Vol. 291, chez Plenum Press, New York and London, en collaboration avec NATO Scientific Affairs Division, et rédigé à l’occasion d’un poster communiqué lors d’un colloque international sur la remémoration de souvenirs cachés, qui s’est tenu en 1997 à Port-Bourgenay (Vendée),  démontrant que c’est au second événement que le traumatisme du premier se réactive.

     

     

    Tentative par l’artiste de décrire les carcasses en détresse, à défaut de se souvenir |

     

    3

    Oui, je l’ai reconnue quand sa voiture a stoppé en plein milieu de la route, Maïne, mais je n’voulais pas la mettre dans l’embarras ; vous comprenez, j’travaille au Musée, et elle, elle vient pour préparer son expo, alors j’allais pas témoigner, en plus, ça m’aurait fait des ennuis au boulot. Ce qu’elle fait ? Nous, au Musée, on fait des papiers peints, on restaure les anciens, on en crée des nouveaux avec des artistes. Oui, à la manufacture, pas loin de la mairie, vous voyez ? Des beaux papiers peints du dix-neuvième siècle, vous savez qu’on voyait dans les salons bourgeois,  de beaux panoramiques sur la vie aux colonies. C’est beau, tout coloré, y a des bateaux, des demoiselles en crinoline avec des ombrelles, et pis des esclaves qui portent les malles. Oui, j’y travaille, je suis agent technique.

    Ce qu’elle fait ?, c’est particulier. Au début, elle a dit qu’elle voulait faire des panneaux pour chambre de garçon, on a cru qu’elle voulait du Disney, des dessins animés, mais pas du tout, ma responsable a été assez étonnée, figurez-vous qu’elle lui a montré des photos d’un artiste américain, je crois qu’il s’appelle Gober, oui Robert Gober, qui a fait des papiers peints un peu comme dans une chambre d’enfant, bleu pâle et tout ça, mais quand elle y a regardé de plus près, c’était des arbres avec des pendus, on voit des gens du Ku-Klux-Klan avec leurs bonnets blancs sur la tête, en train de pendre des noirs aux arbres. C’est particulier, mettre des pendus dans une chambre d’enfant. Ben, elle, c’est un peu pareil. Elle veut mettre des autos sur le papier peint, des autos, mais toutes cabossées, comme dans une casse-auto. Elle nous a montré ses dessins, presque des copies des schémas de Léonard de Vinci, elle a fait des plans de pièces détachées, vous savez comme on faisait en dessin industriel, des plans de coupe, elle dessine au rotring, moi j’en ai fait au collège, et donc, sur les murs, on verra des planches techniques quoi, mais avec des ailes de voiture cabossées, des essieux avant accidentés, je crois qu’elle a aussi mis des arbres à came tout rayés, des courroies déchirées, et même des équipements hydrauliques tout tordus. C’est spécial. On s’demande où elle va chercher tout ça.

     

     

    Entre Terre et Ciel, ça hésite, Jeu de Marelle : Rouge |

     

    4

    Un. Deux. Trois. Dans le couloir froid. Quatre. Cinq. Six. Tout près de la grille. Sept. Huit. Neuf. Au portail tout neuf. Dix. Onze. Douze. Elle sera toute rouge. Rejoindre la grille, hésiter, faut-il filer tout droit vers la route, le grand ciel ? Au moment de franchir le seuil, bifurquer à gauche pour contourner la maison et recommencer le tour sur un pied. Combien de fois refaire à l’envers ce circuit autour de la maison ? Continuer jusqu’à être à bout de souffle, et arrivée dans la cuisine se précipiter vers le robinet pour remplir le verre et boire des trillions de verres d’eau. Pour étouffer la voix.

     

    De la création de la cellule REAGIR un peu trop tard pour ce qui nous concerne | 

     

    5

    A cette époque, les rapports d’accidents étaient assez sommaires, on ne dessinait pas le corps à la craie sur le sol, on relevait à peine la longueur des traces de freinage, tout juste si on entourait les traces d’un cercle de craie.

    C’est seulement en mille neuf-cent-quatre-vingt-trois, que le Programme REAGIR a été mis sur pied. J’avais rencontré par un hasard professionnel, le délégué interministériel au ministère de l’Equipement, qui avait inventé le sigle, REAGIR. Ça signifiait « Réagir par des Enquêtes sur les Accidents graves et des Initiatives pour y Remédier ».

    Les principes étaient les suivants, à la suite d’un accident, le Préfet désignait une commission d’enquête comprenant la gendarmerie, la direction départementale de l’Equipement, le SAMU ou les pompiers et la sécurité routière. La commission analysait les faits et mettait en place des dispositifs de sécurité, pour que ça n’arrive plus.

    En l’écoutant, j’avais pensé qu’ils auraient dû s’en occuper quelques années plus tôt. Parce qu’en mille neuf-cent-soixante-six, ils n’avaient pas encore analysé les risques de la route en face de chez les grands-parents de ma filleule : pas de panneau de limitation de vitesse au début de la rue, pas de feu à l’intersection, pas de passage piétons. A peine une esquisse de trottoir. Elle ne s'en est pas souvenue quand je lui en ai parlé, mais le portail du jardin donnait sur un chemin de terre, au même niveau que la chaussée. En termes de sécurité, ça ne valait pas grand chose.

     

    Cinq ou six énigmes à déchiffrer ou du tort de n'être qu'un témoin auditif |

     

    6

    Ma tête entre les barreaux de la grille d’entrée, les traces sur la route les longues traces grises pour les pneus sur le bitume et puis plus loin, la tache noire, presque ronde, et des toutes petites, juste à côté. Les taches, pour quoi ?

    Les marques au sol, c’était sa trace, c’était tout ce que je devinais.

     

    Il faut bien y aller vers le Grand ciel |

     

    7

    Tu n’y arriveras pas à faire tourner en derviche-tourneur ce grand récit jusqu’en son bout. Il donne le tournis, il explose, comme cette carcasse sur son mur, il n’est de toi que la partie éclatée, de tous Ces narrateurs qui la traverseraient, te trouant le corps, la voix, l’intime, ces voix d’enfance, ces de passage, ces oubliés, pas la narratrice, pas la ehadeuse. Adonaï ehad, la prière de l’unité, le matin et le soir.

    Je veux l’unifié, l’unique, la réconciliation dans un lent processus, passer par-dessus, moi narratrice.

    Ce serait la montée, sous le choc, l’irrésistible montée d’un corps à dix mètres de haut, et dans cet instant du premier impact, celui que je n’ai pas vu, pas plus que le second, dans cette longue, quoi, seconde, peut-être deux, insérer le récit, ce que ça t’a fait à toi, ce qui t’a fait toi, ce qui s’est passé, pour toi, et pour les autres, vu de près, zoom sur les plaies, faire passer le temps du récit dans cette seconde.

    Et puis la technique, parce que ça passe par toutes les pores de cette famille, il faut du défaut, disait Stiegler en face de Derrida, de Debray, de Le Goff, et j’oubliais de Serre, cette soutenance, où tu as compris que c’était ta question, la méthodologie jaune et l’odeur d’huile blanche mystérieuse de la fraiseuse, de cet atelier où tu t’étais perdue cinq mois durant pour économiser et pour écrire ton mémoire, et qui en fait était l’atelier où ta grand-mère, celle à qui tu ressemblais mais que tu ne connaissais pas, morte, bien avant ta naissance, jeune, plus jeune que ton âge, c’est écrit sur la tombe, -alors la fraise que tu gardes celle à laquelle il manque deux dents, celle qui avait servi à produire ces pièces de mandrin de perceuse électrique, Peugeot, bien sûr, la peuge toujours, en était bien la preuve-, cet atelier, peut-être à Audincourt, juste à la frontière de Seloncourt, où les vieilles ouvrières à la pause te disaient, mais qu’est-ce que tu fous là ? –j’arrivais de Sciences Pô, même les études descendaient pour voir la bête curieuse-, comme une voix de ma grand-mère, y avait travaillé à vingt ans avant d’épouser le grand ordonnateur, j’y allais comme Œdipe après, en aveugle, sans savoir que je n’y mettais là que mes pas dans ses pas, alors, oui, la technique, je la dois à ce récit, un peu chaque fois, allégée, abordée en son cœur, à chaque ligne

    C'est-à-dire la montée puis la chute du corps, de la famille, dans cet interstice, et puis le secret secret, jusqu’à la fin, la grande danse, la dense, le tournis, le grand moment. Le corps de ma sœur.

     

     

    Bourgeois jeudis d'infante bien propre, si la musique est bonne |

     

    8

    Maïne venait une fois par semaine aux leçons. En général, j’avais deux élèves, un qui attendait son tour et celui qui recevait le cours. Maïne aimait beaucoup le piano. Je l’entendais courir dans l’escalier, ses pieds qui montaient en-dehors des tapis, ça s’entendait jusqu’au quatrième. Si elle travaillait ses cours ?, autant que j’m’en souvienne, oui.

    Ce jour-là, j'avais rencontré la petite Aliette, deux trois ans de plus que Maïne, je crois, je savais qu’elles m’avaient donné un surnom, à la fin, Maïne l’a reconnu, c’était Ma Son, si je me souviens bien, un peu le diminutif de Mother, à l’américaine, une façon de détourner le mien, Masson, c’est sans doute sa cousine qui le lui a soufflé, oui, Aliette était américaine, enfn, est américaine, et parlait suffisamment le français pour ça, elles faisaient une sacrée paire toutes les deux.

    Elle est restée un an à peine, elle a pratiqué une année, on faisait de manière très classique clef de sol, clef de fa, oui, ça allait, pas un génie, mais ça marchait bien, surtout les morceaux à quatre mains, ça j’avais remarqué qu’elle aimait beaucoup, oui, je pense que sa maman était assez occupée, qu’elle avait beaucoup à faire, avec quatre enfants, donc, c’était une petite bouffée d’oxygène pour la p’tite.

    Ce qui était curieux à son âge, c’est qu’elle semblait préférer la clef de fa à la clef de sol, c’est rare à c’t’âge-là, mais elle aimait en sortir, l’accord parfait, pas de problème pour elle, sans souci.

    La Tour prends garde, le Carnaval de Venise, la méthode rose, rien d’extraordinaire. Non, comme j’vous disais, ce qu’elle préférait c’était le quatre mains. M’enfin, bon, après l’accident, elle n’est pas revenue souvent, je crois qu’elle n’a plus pris de leçon. Si elle a bien pris l’accident ? Apparemment oui, mais c’est vrai que je l’ai moins vue après, sa maman n’avait plus le temps de l’accompagner, ils ont passé des mois à faire l’aller-retour, et puis après, vous savez ce que c’est. En fait elle a toujours demandé à venir me voir au moins une fois par an, les jours où elle venait à Audincourt, sa maman en profitait pour faire ses courses, ce qui fait que j’ai gardé un bon contact avec elle, et même quand elle s’est mise à la guitare, je lui avais prêté des partitions, enfin, elle a fait comme les jeunes, elle jouait plutôt les accords, peu de morceaux classiques.

    Je crois qu’elle faisait partie d’un groupe folk au lycée et après, il me semble qu’elle avait joué dans un groupe de jazz-rock en Allemagne, mais depuis qu’elle est rentrée en France, je pense qu’elle s’occupe plutôt d’arts plastiques. Elle m’avait invitée pour une exposition, mais je n’avais pas pu y aller, j’avais un cours.

    D’ailleurs, si ça ne vous dérange pas, excusez-moi, j’ai un élève qui arrive. Je vous en prie.

     

    Couturière |

     

    9

    J'ai fait aujourd'hui travail de couturière,

    j'ai faufilé, avec le gros fil rose à bâti,

    j'ai fait un premier montage,

    je sais déjà que je reviendrai dessus,

    les épaules tombent mal,

    la poche extérieure n'est pas bien orientée,

    et puis c'est que les premières pièces,

    pas encore de col,

    ne parlons pas de l'empiècement

    Je vais retourner au montage initial, multivox

    n'utiliser le je qu'avec parcimonie

    poursuivre dans ces voix,

    non je n'en entends pas,

    enfin si je les entends.

     

    Versatilité des conduites automatiques dans les faubourgs des petites villes |

     

    10

    Mme M., seule conductrice à bord du véhicule immatriculé 721 BJ 60, quittait la ville, roulant dans les faubourgs, quand l'incident s’est produit.

    Le véhicule était arrivé au niveau des établissements JardiFlor, à côté des bureaux de la DDE, au 12, rue Donzerre, quand son moteur a calé. Le véhicule à ce moment-là était situé dans le sens longitudinal de l'axe principal.

    La conductrice se serait mise à accélérer puis à freiner, puis à accélérer à nouveau sans raison apparente. Ça ne semble pas avoir été une erreur de passage de vitesses, la voiture louée était une conduite automatique. La voiture aurait avancé par cahots, de plus en plus courts, puis la conductrice aurait appuyé de manière intempestive sur la pédale de frein, c’est à ce moment-là que son corps aurait heurté le volant. On ne sait pas ce qui a empêché sa tête de traverser le pare-brise. On suppose que le véhicule roulait à faible vitesse, étant proche du centre-ville.

    La conductrice se serait alors effondrée contre le volant, le véhicule stoppé au milieu de la chaussée. Il semble qu’elle se soit mise à pleurer. La victime ne se souvient pas des causes de ces pleurs.

    Après avoir repris ses esprits, Mme M. a jeté un coup d’œil derrière elle pour voir la route. En relevant la tête elle a aperçu un piéton sur le trottoir. Le piéton n’a pas souhaité être interrogé. Elle a alors redémarré pour garer la voiture un peu plus loin, sur le bas-côté.

    L’automobiliste déclare ne pas comprendre cette crise de larmes survenue après un arrêt à l’Hôpital Pasteur, qui se situe à environ un kilomètre de la rue Donzerre. Mme M. dit avoir ressenti le besoin de se diriger vers le bâtiment. Elle dit qu’elle n’avait pourtant pas de motif important de s’y rendre, n’ayant pas de parent ou de proche y séjournant. Elle indique par ailleurs qu’elle est venue dans la ville pour affaires, que c’est son troisième ou quatrième séjour, qu’elle vient en général pour une journée ou deux tous les deux mois.

    Elle précise qu’elle a eu l’impression de reconnaître le nom de l’hôpital et suppose qu’elle y était déjà allée enfant. Elle pense qu’elle a reconnu le parking, sa très grande taille l’avait frappée –ce qui est vérifié- et qu’elle a eu le sentiment d’un « déjà vu ». Cette sensation semble s’être confirmée lors de sa visite des lieux, à la chapelle notamment, dont elle a identifié les murs de béton et son vitrail des Frères Ott, Jésus au chevet de la fille de Jaïre, qu’elle s’est rappelée, selon ses dires, au moment même où elle l’a vu. Elle se souvient également être passée devant un des accès aux étages du pavillon du fond, mais sans pouvoir indiquer si c’était la porte de gauche ou celle de droite qu’elle empruntait à l’époque de sa fréquentation des lieux.

    A plusieurs reprises, elle indique ne plus se rappeler les raisons qui l’ont amenée là, lorsqu’elle était enfant. Pourtant, à différentes questions sur son enfance, nous constatons qu’elle ne semble pas souffrir d’amnésie. Une expertise psychiatrique a été demandée. Madame M. allègue que le portier de l’hôpital, à qui elle a demandé si un service de traumatisés crâniens avait existé dans les années 70, lui a confirmé que le service à l’époque était dirigé par le Professeur X. Après vérification, ce service a été supprimé par une réforme interne en 1980.

     

     

     

    Vue d'en haut, vu de loin, et petits accessoires |

     

    11

    Audition ce jour de Mme Ida von B., grand-mère de Mme M., sur convocation suite à l’incident de la rue Donzerre. Nous avons procédé à l’enregistrement de son témoignage.

     

    «Excusez-moi, en fait, notre nom de famille a été francisé, c'est De B. avec un grand d. Non, simplement, comme c’est pour un papier officiel, ce serait mieux de le noter comme c’est maintenant, tenez voilà notre livret de famille.". Avons procédé à rectification du nom en Ida De B. Mention  : raturé (1). Contre-signature :

    "Après l’accident, ma fille est montée avec sa fille dans l’ambulance, o, ils l’ont transportée à la clinique L. à Montbéliard, oui, ma petite-fille est restée chez nous, oui, presqu’une semaine. Où elle était le jour de l’accident ? En remontant on l’a trouvée debout, derrière la porte de la cuisine, elle bougeait pas, elle y est restée peut-être une heure ou deux, le temps que l’ambulance arrive, o, on avait pas le téléphone à cette époque, on a dû aller chez nos voisins, les R., pour prévenir ; l’ambulance a mis beaucoup de temps à arriver, la gendarmerie aussi, ils ont fait le constat, o, ça faisait un tel raffut, tout le voisinage était là, Mme R., les F., jusqu’au bout de la rue, ils sont tous venus, Monsieur le Maire aussi est venu, nous a dit un p’tit mot, o quel malheur, o, après nous étions tellement préoccupés, on a pas vraiment fait attention à elle, vous savez, les voisins passaient, la famille est venue aussi, c’était un défilé, il fallait leur dire ce qui s’était passé, o, oui, après, je la voyais bien, elle courait dans le jardin, elle sautait à cloche-pied, oui, tous ces jours-là, elle sautait à cloche-pied, mon mari, ça l’avait étonné, mais qu’est-ce qu’elle a cette gamine à sauter sur un pied, pour l’occuper je l’envoyais au poulailler, elle allait chercher les cocos, on avait même pas le temps de les manger, o, c’est un grand malheur qui nous est arrivé, o, sa sœur, à peine trois ans, une si jolie petite fille, vous savez, la voir comme ça, sa p’tite tête, o, mon dieu, et dire que c’est arrivé chez nous, je ne sais pas qui a laissé la porte ouverte, elle s’est échappée, ma fille revenait d’Audincourt, oui, de la leçon de piano de ma petite-fille, elle est revenue avec les filles, elles ont poussé le portail, les filles ?, oui, sa cousine, Alliette, elle arrivait de Sacramento, oui pour un an, je les ai tous eus les petits, un an chacun leur tour, que mon autre fille m’envoyait pour apprendre la langue, oui, mon gendre était allé la chercher à l’aéroport de Francfort la veille, ça a été un choc pour elle aussi, o. La petite s’est sauvée, on l’a pas vu passer, le temps que ma fille aille chercher ses vêtements dans la chambre, qu’elle vienne à la cuisine, j’avais des légumes à lui donner, on a parlé p’têt’ deux minutes, pas longtemps, on l’a pas vue se sauver, elle a dû passer par derrière, c’est si vite arrivé, et la voiture roulait trop vite, je l’ai dit ça à la gendarmerie quand ils m’ont interrogée, y avait pas de panneau, alors les voitures allaient toujours trop vite dans not’ rue, oui, maintenant y a un feu, au bout, en face de la fromagerie D., mais avant y en avait pas. Oui, c’est seulement au bout d’une semaine qu’ils l’ont emmenée à Colmar, en rapport avec le coma, o, combien de temps ils ont fait le trajet, trois mois, ma fille et mon gendre y allaient chaque soir, soixante kilomètres, ça fait une trotte, c’est qu’c’est pas la porte d’à côté, Colmar, au début ils y allaient seuls, après, le dimanche, ils ont emmené les enfants, mes deux petits-fils aussi, le petit Phil et JF. Oui, ils allaient à l’Hôpital Pasteur au service des traumatrisés crâniens, ah, c’est après la visite de l’hôpital que c’est arrivé, ah, j’comprends mieux maintenant, ça m'étonnait, parce qu’elle est pas comme ça, c’est une bonne petite, Maïne, oui, elle fait des expositions, elle m’a invitée, mais, non, je n’y suis jamais allée, oh, c’est pas pour nous, hein.»

     

     

    o comme un soupir arrêté au bord du souffle ou la voyelle perdue |

     

    12

    Je les entends ses petits o, sans souffle, juste posés, le soupir. Cœur qui soupire n’a pas ce qu’il désire, disait-elle.

    Mais ils apparaissent aussi comme la voyelle qui coince, d'une vieille machine à écrire d'un agent administratif, quand les tiges lui échappent.

    Ce serait un audit des voix d'enfance, capter les micro-bulles de sens, qui donnent vie.

    J’ai remonté la scène du piano et vais descendre à la place celle de la vaisselle, pour la musique, c'est plus chronologique.

    Une crainte toutefois sur l'avancée du récit, à petits pas.

     

    Des conversations de framboises et des collines respirantes, nager |

     

    13

    Nicolas Bourriaud, curateur et essayiste

    Je pense que chez elle, ça a commencé par vouloir retrouver la trace d’une œuvre qu’elle avait vue, enfant, à la maison d’art de la ville de Sochaux, où elle habitait. C’était un tableau de Jean Messagier, Printemps en Franche-Comté de mémoire, sa période où il peignait de vastes étendues indéterminées, le plus souvent monochromes, dans ce tableau, c’était deux taches bleues et vertes, d’un bleu et vert très crus, posées à même la toile une œuvre vibrante, où se lit l'attachement que ce peintre portait à la nature, à l'air et à la lumière. C’est lui qui disait « moi, je ne trouve pas, je cherche » en réponse à Picasso, son fameux « je ne cherche pas, je trouve ». Un artiste qui a compté, qui a travaillé avec Alenchensky, avec qui il avait réalisé une toile à quatre mains, il a été connu pour son Grand Palais Des conversations de framboises et des collines respirantes ; je ne pense pas qu’elle l’ait connu, même s’il n’habitait pas très loin de chez elle. C’était également un innovateur en matière d’écologie. Sur sa tombe, il a demandé à faire graver « Ci-git Jean Messagier, Docteur ès printemps ».

    Elle disait que le tableau lui avait ouvert les yeux, que la forme abstraite de l’œuvre reliée à un titre plutôt réaliste l’avait interloquée, qu’elle n’avait pu l’oublier, comme un acte fondateur de sa vocation d’artiste. Ça avait été son Amérique à elle à la manière de Duchamp, quand il dit qu’il craignait l’influence de la racine sur lui, qu’il voulait s’en débarrasser et que, durant sa période américaine, il avait pu vivre cette absence de racines, parce qu’il était né en Europe. Elle répétait souvent cette phrase « j’étais là dans un bain agréable puisque je pouvais nager tranquillement, tandis qu’on ne peut pas nager tranquillement quand il y a trop de racines ».

    Oui, ça explique le début de son travail, elle créait des itinérances dans la ville, désorientant les spectateurs, je me souviens d’un parcours qu’elle avait appelé « Confluences » à Ivry, ça commençait par une vision de la ville, telle qu’on pouvait la voir depuis sa voiture, puis elle nous emmenait par des ruelles jusqu’à l’île de Chinagora, située sur la confluence de la Seine et de la Marne. Son propos était de faire voir les impasses, les voies perdues, on descendait sur un débarcadère qui se perdait dans l’eau, ou bien on découvrait une cache à scooters volés, un atelier clandestin, ou bien on contemplait des délaissés, les zones blanches de la ville, que les agents de l’équipement avaient laissées en jachère, la discontinuité des choses, on se retrouvait aussi sous le conduit d’un égout d’hôtel, débouchant sur la rivière, elle soulignait les formes allusives jamais terminées et l’état de décomposition, le back-office de la ville, ce qui ne se voit pas au premier coup d’œil. Une forme de déconstruction de l’idéal de ville.

    J’ai moins suivi son travail après, mais ça porte aussi sur la notion de disparition, de l’obsolescence, oui, sa thématique « enfance et automobile ».

    Ça rejoint ma notion de « radicant », cette nécessité contemporaine de créer nos propres racines, l’avancée dans le flou, dans le passager, une sorte de pacte avec le précaire, dans l’absence d’un statut permanent. L’impermanence des choses, je crois que ça fait partie de sa recherche.

     

    Quant à la réminiscence, la chercher dans le lacis des circuits neuronaux non pratiqués depuis de longues années |

     

    14

    Reçu ce jour Madame M. (à classer dans EP-12, lettre M)

    Avons procédé à l’enregistrement du récit de Mme M. concernant l’événement dit N°1, par convention pour le présent compte-rendu.

     « C’est la première fois que je me raconte la scène. Dans la cuisine, les femmes parlent, elles se disputent, une affaire de cadeau, je crois. Ma mère a offert un presse-purée électrique à ma grand-mère et ma grand-mère ne s’en sert pas ou quelque chose comme ça. Elle préfère son moulin à légumes manuel et ça énerve ma mère. Je ne me souviens pas si quelqu’un d’autre que ma mère et ma grand-mère était présent dans la pièce.

    A côté d’elles, je rêve, pliée en deux, le coude sur la table, la tête à même la nappe, occupée à tracer du doigt les motifs du tissu. En bruit de fond, j’entends leurs paroles, acides ; il y a de l’acrimonie entre elles, mais c’est sans importance, je ne les écoute que d’une oreille.

    Puis c’est le son aigu, le son qui fuse, qui déchire l’air d’une zébrure aigre de violon. Le brouhaha des femmes est interrompu.

    Dans la rue, quelqu’un crie, quelque chose comme « oh, mon Dieu, oh, mon Dieu ». Qui a crié ? Une voisine, je crois.

    Peut-être est-ce plus tard que le cri est poussé. Peut-être y a-t-il eu deux fois, les cris. Cela se mélange dans mon souvenir.

    Les femmes se précipitent à l’extérieur, en troupeau, ça grince, les pieds de chaises dérapent sur le parquet, les chaussures frappent sur le plancher, tout le monde sort en catastrophe. Comme si elles avaient besoin de voir, elles veulent voir la réalité, celle que révèlent le crissement strident et le son mat.

    Moi, je ne sors pas. Toutes affaires cessantes, je dois ne rien faire, ne pas bouger. Je sais qu’un drame s’est produit. Un contexte de drame, puis un événement. Il est advenu.

    Et tout de suite, je sais que c’est à moi que c’est arrivé, il est pour moi, je ne sais pas quoi, mais c’est pour moi, ce bruit sourd de choc je l’ai mis en réserve quelque part, je l’ai engrangé. Je suppose un résultat de drame, et je ne veux pas le voir.

    Qu’est-ce que je sais ? Rien. Je devine, je peux tout imaginer de loin sans m’approcher. Je suis au-dessus de tout ça, n’est-ce pas, c’est moi qui décide ce que je dois voir.

    Pourtant, une ombre menace dans ma tête, quelque chose de tragique, tout peut être arrivé.

    Alors je recule lentement, je me niche derrière la porte, tout près du poste de TSF de ma grand-mère, le poste où elle écoute la radio de Suisse, le dimanche soir, les chœurs de Radio-Sottens, les vieilles voix sur des mandolines douces.

    Je me mets à attendre, derrière la porte.

    Puis j’entends le hurlement inhumain d’une femme : quelque chose comme, Non. Ça se prolonge très longtemps. C’est insupportable.».

     

     

    Anesthésia |

     

    15

    Le seuil de la nuit est passé, vingt minutes déjà

    tu sais que demain est un tunnel

    ta nuque te fait mal, ces heures à la tache, attachée au clavier,

    tu ne sais plus te relire,

    tu ne pourrais plus de toutes façons,

    l'état d'hallucination a creusé la mélancolie, dépression post-partum,

    tu te sens comme ce budleya, le plus pauvre des arbres,

    celui qui pousse sur les délaissés,

    ce beau mot pour dire les jachères de ville,

    ces coins sous les ponts, ces oubliés du grand urbanisme,

     

    peut-être lâcher-prise, s'abandonner

    retrouver dans le rêve

    la source, la joie du réel,

    celle qui te nourrit d'images, de sensations,

    ma boutique obscure s'ensoleille.

    rêvons d'or 

     

    Milles variations musicales comme art de l’esquive ou de la consolation |

     

    16

    Atmosphère plus légère, rentrés à la maison, nous chantons, ça console.

    Sans cesse, en allant à l’école, en faisant la vaisselle, en nous couchant, tout est chant, même la musique classique qui tourne sur l’électrophone, nous la chantons. Nous aimons Le Boléro de Ravel, parce qu’il s’adapte bien à cette tâche rituelle d’après-repas.

    Nous connaissons tous les instruments, ici un violon, là, une flûte. Le morceau commence par des coups de grosse caisse sur le fond du fait-tout, que nous répétons tout au long de la centaine de variations. Phil introduit mezzo voce les clarinettes, puis les trompettes. Puis nous enchaînons avec les cordes, violons et violoncelles. Je simule les piqués de violon, tout dans le poignet, tandis que Phil fait frissonner l’archet sur la corde, une cuiller en bois sur le bord d’une assiette. Pour certains sons, il coince la feuille d’aluminium d’une tablette de chocolat dans un peigne et module le son avec sa voix. Ça chatouille les lèvres, j’essaie moi aussi, c’est délicieux.

    Ensuite nous entonnons la partie forte avec l’ensemble de l’orchestre, nous nous donnons à fond, faisant pleuvoir les coups de cuiller sur les casseroles.

    Le jeu des variations n’a pas de secret pour nous, avons saisi la logique arithmétique interne du morceau, après des centaines de Boléro tournant sur l’électrophone, et voyons arriver la fin du cycle à l’intuition.

    Nous échangeons alors un regard de connivence, une coda nait sur la portée imaginaire, qui nous autorise à recommencer les variations dans une boucle complète avec l’ultime changement de ton. Nous finissons ce dernier mouvement par un cri extatique, supposé clore le morceau, pour la dernière casserole essuyée et rangée.

    Notre éducation musicale avant d'apprendre les instruments se fait entre l’électrophone et l’imitation dans le chant. Nous mémorisons aussi la plupart des entrées d’opéras de Wagner, entonnons avec des tata-tatatata-tata-tatatata  la Chevauchée des Walkyries. Puis nous découvrons la subtilité des concertos de Brahms, les mouvements les plus émouvants chez Dvorak ou Borodine, les ballets de Tchaïkovski. Tout ça n’a  pas de secret pour nous. Tout se chante, tout ce qui tourne sur l’électrophone de notre père, René, des disques classiques au Golden Gate Quartet ou à Georges Chelon, est bon à prendre.

    Deux opéras ont notre préférence, Lucia di Lammermoor, dont l’Air de la folie, chanté par La Callas dans l’acte II, est mon favori, tandis que mon frère a  un faible pour la Flûte Enchantée, opéra pour lequel il apprend par cœur les airs de Papageno, et je ne dédaigne pas les triples croches de la Reine de la Nuit.

    La répétition a  lieu au lit le jeudi matin, quand notre mère nous laisse seuls, enfermés, volets clos, pour aller au marché.

    Nous ne jouons pas au docteur, nos jeux sont musicaux et commencent généralement par une mise en bouche avec des bruits de gorge, très graves, dont je découvre plus tard qu’ils ressemblent aux chants des Tchouktches d’Extrême-Orient. Puis nous montons très lentement, tentant de faire tous les sons entre deux notes de la gamme et déclenchons parfois, par hasard, des harmoniques, qui nous secouent d’un grand frisson. Les sons nous sont un corps et nous enveloppent dans une même gaine protectrice, un bouclier contre l’inquiétude, celle d’être restés seuls dans la maison, celle de savoir la petite loin de nous.

    Une fois échauffées nos cordes vocales, nous entamons des chansons contemporaines. Les Loups de Reggiani, que nous chantons en duo, devient notre balade favorite, même si nous n’en comprenons pas toujours le sens. Elle nous rappelle la légende de Sainte-Blandine face aux lions. « Les Loups » deviennent vite un de nos tubes en famille. Les hommes avaient perdu le goût de vivre et se foutaient de tout, leur mère, leur frangin, leur nana, pour eux c’était qu’du cinéma, nous aimons ces mots crus et la charmante Elvire, dont nous doutons de l’innocence. La chanson finit bien, notre mère rentre du marché et ouvre les volets de la chambre. On peut enfin s’habiller.

     

     

    Et la fraîche évidence |

     

    17

    Tout à coup, la fraîche évidence, les voix se mettent en chorale, celle de Ma Son, un peu bougonne, face d'écureuil, et cet élan de choeur qui réconcilie avec la vie.

    Donc la musique va tout changer, au moins dans ces instants, elle va faire tenir l'édifice, notre édifice de famille, et puis le mien aussi, l'interne, celui qui cherche colonne.

     

     



    votre commentaire
  • Collectif Janos Milhaly Hubler, Marta Racz, Tamas Szentirmai, Janos Vagi

    Growing structures

    Metamorphose of the Material 2009

    Grand prix Jeune Création Européenne à Montrouge

    Crédit photo anthropia # blog

     

     

    Renoncer à l'incipit, à faire les présentations,

    bonjours c'est moi que v'là,

    pédigree, rehausse du col,

    mais pourquoi donc,

    c'est la carte de visite, n'est-ce pas

    et là, il introduit à l'idée du voyage,

    il annonce déjà la narratrice réconciliée

    Faudrait pas ? Faudrait plonger le lecteur

    dans le brouhaha initial, le grand tohu-bohu,

    fête foraine, grand Huit et tourneboulé assuré ?

    et rebondir sur la Trouée, #2

    mais où la narratrice au #1, juste ces petits passages,

    ces tentatives de l'os de sortir ?

     

    Vont-ils supporter ?

    Toujours à me soucier d'mes pauv' petits lecteurs,

    instinct maternel mal placé,

    laisse-les donc, sont assez grands,

    laisse-toi aller, no limit,

    souvenir de ton premier manuscrit,

    presque le même titre

     

    Elle le sait que le # 2 sera encore plus salé,

    plus délicat à intégrer, vue sur le lit,

    elle a déjà plein de p'tits bouts,

    à peau saignante qu'ils sont,

    falloir en retirer le vinaigre,

    et laisser juste le sel,

    et même moins qu'ça le grain de sel,

    forme géométrique au microscope,

     

    en regardant le grand cumulus à sa fenêtre,

    elle se dit que bientôt peut-être

     

     

     

     

     

     

     

     

     


    votre commentaire
  • La maison rouge 

    Duchene Brugnon

    Galerie  d'Yvon Nouzille

    Crédit photo Anthropia

     

     

    Pas un incipit, zu dunkel tout ça,

    ni queue, ni tête,

    pas d'unité,

    comment trouver la solution à l'énigme

    c'est peut-être bien moi, l'énigme

    où suis-je là dedans

    et puis trouver les sources,

    y en avait, on ne devient pas joyeuse comme ça,

    on ne devient pas vivante par hasard,

    souvenir de cet horrible conte de Grimm,

    la petite fille morte et enterrée,

    les parents qui vont sur sa tombe,

    son bras dépasse, non pas son bras, son os

    la mère tape un coup du pied pour le renfoncer

    dans ma maison sous terre, j'y suis

    et j'en sortirai

     

    ça se soigne ?

    oui, ça se soigne,

    cette question est centrale

    je dois je me dois je leur dois je lui dois d'y arriver

    bon, ça se soigne

     

    probablement faire cette propale,

    assister à la réunion en fin d'après-midi,

    changer d'air,

    faire reposer l'appareil

    j'adore cette expression de cuisine.

     

    Désaffecter, faire cesser, changer l'affectation de

    j'aurais dit, rendre inhumain, me sacrifier,

    me désertifier

    et non, c'est juste ça,

    changer l'affectation de

    et puis faire cesser, cesser cette obsession

     

    Je vais changer d'affectation

    me changer d'affect toward ce roman

    toward j'aime, en direction, affectant oui mais dans l'orientation

    orienter différemment

     

    Je vais faire reposer l'appareil à neurones

    trop chargé

     

    Bon, ça se soigne

    on n'est pas obligé d'y aller d'un coup

    ça peut se faire patiemment

     

     

     

     

     


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique