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    Vu Mina ce matin. Je ne vais plus trop au Franprix, préfère désormais Auchan, c’est moins cher. Mais pour rencontrer Mina, il faut se déplacer. Etait là ce matin, Mina, devant le magasin, frigorifiée, enrobant ses jambes dans une couverture rose pâle (mes statistiques se confirment), et trois pelures de laines sur le dos, avec Robert jouant pas loin au bord du trottoir.

    Il est venu me faire une bise.

    Résumé de la situation, elle vit désormais à Sarcelles, dans une maison, sans eau, sans électricité, sans chauffage, avec son mari et Robert. Elle me dit, on a le gaz, mais n’ai pas, comment dis, je dis « gazinière », c’est ça, elle a le gaz, pourrait donc se chauffer et se faire à manger des plats chauds, mais sans gazinière, impossible.

    J’ai demandé si son mari travaillait, elle m’a dit que non, qu’il s’est sectionné les veines, elle a montré son poignet, encore un tour de son couteau, et ses cinq doigts sont foutus, elle a fait la main pendant vers le bas en secouant, j’ai pensé « main flottante ». Elle m’a dit, mari un peu fou dans la tête, petit coup d’œil à Robert pour voir s’il avait entendu, mais non.

    La bonne nouvelle, c’est que Robert va à l’école, il ne savait me dire dans quelle ville, Mina a dit le nombre de stations de tramway, et j’ai suggéré des noms de villes, apparemment, c’est à E. qu’il va à l’école, suis contente. Sa mère dit qu’il a du mal, qu’il n’a pas un bon niveau de lecture, qu’elle a parlé avec le directeur de l’école. J’ai demandé à Robert de quoi il avait besoin, m’a demandé de lui apporter des cahiers, on est loin de la tablette pour tous, lui déjà un cahier, ce serait pas mal. Me souviens qu’enfant, les cahiers, l’école les donnait. Enfin je crois. Bien fini. Parfois en France, on se croirait au Burkina Faso, me souviens des colis de fournitures scolaires qu’on envoyait à la petite Olivia, il y a quelques années.

    Tandis qu’on discutait, un black est venu la saluer et a déposé un sac de fringues, un autre a laissé quelques pièces, une femme voilée est arrivée avec un sac plastique, Mina l’a remerciée pour les plats cuisinés chauds qu’elle lui avait apportés dans deux grandes barquettes, elle avait aussi ajouté deux yaourts. Comme par automatisme, Mina a sorti les deux yaourts du sac et les a déposés sur le trottoir, j’imagine pour qu’ils restent au frais. Une autre femme voilée est arrivée pour lui parler, elle portait longue djellaba et, tenant lieu de foulards, sur la tête, trois bandes d’étoffe de jersey, brodés de trois gris différents, dont un avec perles, c’était élégant. On a reparlé ensemble de cette histoire de gazinière. J’ai promis de chercher de mon côté, alors appel à tous ici, si vous avez une gazinière, suis preneuse, viens même la chercher avec ma Yaris, où vous voulez.

    Mina m’a raconté que sa sœur était venue avec le bébé depuis la Roumanie séjourner dans sa maison, mais qu’elle était repartie après deux semaines. Un bébé, pas bon, froid, elle a murmuré, toute gênée, comme si elle avait sa sœur devant elle et qu’elle regrettait de ne pas savoir l’accueillir.

    Petits progrès pour Robert, petites compréhensions aussi de ce qu’elle vit, -la conversation n’était pas trop compliquée ce matin-, la vie de Mina n’est pas une vie, elle s’accroche pourtant, cherchant à regagner une à une les nécessités vitales pour elle et sa famille. J’aime ça chez elle, jamais désespérée, jamais défaitiste, même là, transie sur le trottoir, elle était triste, mais avait toujours son beau sourire plein de vie.

     


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    je vais y aller tout à l'heure,
    je vais rejoindre le trottoir de la superette,
    lieu mendiantambulatoire de Mina et Robert

    que vais-je y trouver
    sinon une fois de plus la trace de plus en plus visible
    d'une enfance qu'on détruit
    la litanie des événements dus à cette politique d'élimination

    parfois je me retrouve à enregistrer les signes du recul, de la régression, de l'absence d'humanité
    et ça devient de plus en plus difficile

    vais-je y aller, devrais-je y aller ?

     



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    Jeudi ou était-ce vendredi, j'ai revu Mina, en-dehors du classique week-end, j'étais allée faire mes courses au Franprix et elle aussi avait changé son habitude.

    Mina ne s’habille pas à la mode, n’a pas de vêtements dont on pourrait se dire, tiens, elle s’est mise sur son trente-et-un ou aujourd’hui, elle est « casual », ou alors ce serait un trente-et-un ou un casual années, quoi, soixante-dix, ou mode roumaine, toujours est-il que certains jours, elle a les cheveux bien tirés en arrière, le pull rouge à motifs impeccable, et on sent qu’elle a jeté un regard sur elle dans un miroir avant de sortir, et d’autres, elle porte trois épaisseurs de laine tricotées à la main en chiné genre les vingt pelotes pour cinq euros, la jupe écossaise sur bas épais, le teint brouillé, et là on se dit, elle n’a pas pris de douche et elle a dormi dehors.

    Et voilà, cette nuit-là, elle avait dormi dehors, parce que le studio prêté n’était plus disponible, pas compris pourquoi, et ce que raconte ses yeux, c’est qu’il y a urgence. Alors je file acheter des provisions qu’on peut conserver et manger sans cuire, parce qu’elle n’a plus de réchaud.

    En sortant, je vois Robert avec des crayons et un cahier, Mina très vite glisse, il lit le français, il veut aller à l’école. Je demande à Robert s’il peut lire des livres sans images, il me dit sans sourire que oui. Robert ne sourit plus, ça qui me frappe, il a les yeux presque durs.

    Mina explique, on dort dans le parc de Saint-Denis, je demande tu n’aimes pas le canal, elle dit non, et Robert d’expliquer que ce qui compte au parc c’est les arbres et leurs branches basses qui protègent de la pluie, et jeudi ou vendredi dernier, il pleuvait dru sur Saint-Denis et la nuit qui avait précédé aussi.

    Je file chez moi, prends tout ce qui ressemble à une bâche, j’ai ce rouleau de plastique fin d’un chantier, le dernier, hop je l’embarque, à une couverture, la couverture laissée par les déménageurs épaisse et nettoyée il y a peu, hop je l’embarque, à des toiles, j’ai ce velours vert pâle, utilisé pour recouvrir un canapé il y a longtemps, hop je l’embarque, je mets aussi des barquettes de plastique, ce matériel de pique-nique que j’utilise une fois par an, hop je l’embarque, dans la chambre, je prends la collection des Kamo de Pennac (pensée pour le fils), hop, je les embarque, je charge le tout dans un gros sac IKEA, et reviens leur apporter ça sur le trottoir. La mine contente de Robert devant les livres, fais un petit bruit de langue contre ses dents.

    A ce moment-là, un grand black apporte une valise à roulettes, on a mis des vêtements dedans, ça pourra aller pour le petit. Sur le trottoir, se trouvent à présent un sac en intissé bleu avec marque jaune dessus, une valise à roulettes d’un gris passé,  un sac plastique plein de victuailles, dont sort un gâteau industriel sous plastique. Je dis, tu vas arriver à emporter tout ça, elle dit, mon mari va venir me chercher.

    En rentrant, me rappelle mon idée de la photographier de dos, zappée dans l’urgence, me dis que c’est pour la prochaine fois.

    Etait-ce le lendemain, j’ai photographié près du canal un jeté de lit en boutis rose indien, et un peu plus tard dans un campement de rom dévasté un couvre-lit rose pâle. Ai pensé à la couverture de laine que j’avais donnée il y a un an déjà à Mina, rose aussi. Est-ce que les couvertures données aux Roms sont roses parce qu’elles sont majoritaires dans nos chambres à coucher ou est-ce qu’on les donne parce que le rose est passé de mode dans la literie contemporaine.

    Hier suis retournée au campement pour voir la dégradation après les pluies des derniers jours et la couverture rose avait disparu, mais pas le sac. Et là, ai pris la photo.

     



     

     


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    Ai vu Mina en coup de vent vendredi,

    elle rentrait de Roumanie, arrivée deux jours avant.

    Elle loge provisoirement chez une femme qui l’héberge.

    Pas compris où.

    Beau pull rouge brodé, cheveux plaqués en arrière,

    la cicatrice sur le front s’estompe peu à peu.

    Robert avait un visage plus grave, pas de sourire cette fois.

    A suivi un mois d’école,

    doit vivre l’année entière sur ce seul souvenir.

    Ils cherchent une nouvelle cabane.

    Décidé que la prochaine fois je la prendrai en photo avec Robert,

    à l’IPhone, mais de nuque, pour qu’on ne la reconnaisse pas.

     

    Au contraire des plasticiens

    que je prends ainsi pour qu’on les connaisse mieux.

    N’ai pas fait de photo trois quart dos hier soir,

    pas eu besoin de demander l’autorisation

    ne photographie pas le cou des poètes.

     

     

     

     

     


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    Mina a disparu, enfin presque, et je ne parle pas de traces d’elle dans nos conversations de voisins, qu’on s’échange pour la maintenir en vie, parce que dans ces fictions rapides, il s’agit de dire et de répéter que nous, on l’aime Mina, non, je veux dire qu’elle a disparu, nada, personne, -même pas un sac de vieux vêtements, encore que plus récemment, c’était plutôt une jolie tunique et un pull moelleux qu’elle portait-, ni ses quelques victuailles glanées au Franprix.

    Bien sûr, on pense à un sale coup de nos « amis » gouvernants, dont la politique d’acharnement, les pratiques de violences sur familles même bébés dans les centres de détention, alors que nantis, diplômés, ils auraient dû être les premiers à donner l'exemple, à prendre soin de Mina, notre amie Rom, d’autant plus ceux qui prétendent à une haute philosophie d’être, à l’éthique avec un grand H, étHique, il y a fort à parier qu’ils ont été les premiers à inspirer le premier passant venu, à souffler le vent mauvais, qui sans doute n’a rien compris, à le manipuler pour qu’ils commettent à deux, un qui décide, l’autre qui suit, ni vu ni connu j’t’embrouille, ces petits irréparables que sont la chasse aux Roms, les expulsions forcées, enfermement avec fils électriques barbelés, et pillages de leurs modestes demeures. Là, ma définition de la vulgarité.

    Certains s’en fichent de Mina, tout occupés qu’ils sont à rire entre soi, ou à, à quoi, à entrer dans le supermarché pour se nourrir le dimanche sans même lui laisser un quignon.

    Je ne leur jette pas la pierre, juste me demande ce qui les a fait passer ainsi devant Mina sans même la regarder en face, ou sans remarquer qu’elle n’y est plus ou encore lui reprocher de n’y être pas, sachant ce que certains ont fait.

    Heureusement, il y a les amis de Mina, on est quelques-uns à échanger à parité, à se sentir des Mina à notre tour, à se dire que si tu juges une Mina, c’est toutes les Mina de la terre que tu juges, et un jour ce sera toi, la Mina, et personne alors pour t’aider.

    Parce que Mina, on le sait, malgré toutes les misères qu'on lui a faites, n’est sans doute pas bien loin, elle a fait comme l’année dernière son petit tour à l’étranger ou s’occupe de son projet en douce (n’en parlerai pas, me l’a confié, à ceux qui en veulent je pourrai en dire deux mots en direct message), pour éviter la violence, ou faire donner des leçons à son fils, et retrouver ses amis dans sa langue.

    Et elle nous reviendra, assise sur son petit pan de mur blanc, grand sourire, à dire, moi aime bien vous. Parce que comme elle, nous pensons qu'il y a de la place pour tout le monde en France.

     

     


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