• construction insolite (Saint-Sever-du-Moustier)

    crédit photo # anthropia

     

     

    Ce matin, ils étaient trois au spot, devant le Franprix, oui, trois, Mina et Robert, deux acteurs déjà connus des Aventures de Mina, et Rexi, le chien. J’écris Rexi, parce que tout d’abord Robert m’a expliqué que oui, c’était bien un i à la fin de ce Beagle à poil ras couleur caramel à pattes blanches, sans doute un peu bâtard d’un côté, mais vraiment mignon, quatre mois tout agité, truffe un peu arrondie plus foncée, un intelligent qui a tout de suite lorgné le poulet que j’avais apporté. Mina m’a dit, il mange tout ce qu’on mange, la viande, les gâteaux. Robert a souligné en riant, oui, il me mange mes gâteaux.

    Comment dire, ils irradiaient tous le plaisir d’être à trois, un grand bonheur qui leur était arrivé.

    J’ai demandé où ils l’avaient eu, une femme qui l’a apporté, m’a dit Mina. Un chien, c’est pas mal pour assurer la sécurité d’une mère seule avec son petit dans un camp, mais Mina a tout de suite précisé qu’il ne grandirait pas beaucoup, alors c’était pour l’affectif, et ça marchait ça, à l’œil nu, ça marchait.

    Puis par curiosité, posé la question de la race, je n’avais pas encore googlé des photos et trouvé Beagle, le plus approchant, et Mina s’est mise à chercher dans son petit sac de toile tressé, a tiré la fermeture éclair et a sorti un carnet canin, la pièce d’identité du chien, eh oui, chez Mina, tout le monde a ses papiers , en bonne et due forme, et me l’a passé.

    Pas reconnu le look français, un passeport chamarré jaune, elle l’avait donc rapporté de là-bas, le chien, et sur la première page intérieure, j’ai lu Rexy, -j’ai montré à Robert, c’est un y, t’as vu, ah, se sont-ils écriés tous les deux-, puis après 14 septembre 2013, sa date de naissance, déchiffré un mot bizarre, légèrement raturé sur la première lettre, HET PEKHTES, ou MET PEKHTES, quelque chose comme ça dans la rubrique, racia, pas trouvé sur les dictionnaires roumain-français du web, ce n’est pas un Beagle donc, et si quelqu’un sait ce que c’est en français, cette race-là, serais intéressée de savoir, pas non plus le mot « bâtard », je dis ça pour ceux qui chercheraient.

    Puis suis rentrée en me disant que même les chiens de Roms doivent avoir un visa pour entrer en France.





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  • crédit photo anthropoia # blog

     

    La dernière fois que parlé de Mina, c’était en septembre, et disais mon désarroi de ne plus la trouver à l’emplacement habituel devant le supermarché local. 

    Elle avait passé ses vacances en Roumanie selon une de ses copines qui avait fait l’intérim et qui m’avait signalé son retour.

    Et la semaine dernière je l’ai revue, toute bronzée de son séjour, enfin j’ai supposé qu’elle avait gagné son joli hâle là-bas.


    Aujourd’hui, je la croise devant la Tabuna Place, on se serre la main, Robert joue avec des sortes de becs-verseurs de carton de sucre, les emboîtant l’un dans l’autre, mais il s’arrête pour me tendre son bras. M’étonne qu’elle ne préfère pas se mettre au soleil devant le Franprix, et de me montrer le trottoir spacieux qui jouxte la vitrine derrière elle, comprends vite qu’elle a le choix entre le soleil et le rebord spartiate tombant sur la large allée où les gens circulent, et cette plate-forme disponible à son fils et à elle mais à l’ombre.

    Jamais remarqué ça, que l’aménagement est différent devant ces deux magasins, rien de tel que son regard pour faire voir les choses minuscules.

    Et on fait la causette. Elle est partie presque deux mois chez sa sœur qui a trois enfants. Je me fais expliquer toute la famille, les deux sœurs, le frère, tous ayant des filles (trois en moyenne), sauf le frère qui en a deux et un fils et elle donc, mère de Robert. Elle ajoute que Robert est allé à l’école en Roumanie, que cela lui a plu, il est bilingue le petit, mais qu’on paye cher, au bakchich a-t-elle suggéré d’un geste des doigts. Elle a juste dit « dommage » d’un air triste.  Enfin, pour ce qui est de la France, ils sont revenus à Saint-Denis et dorment derrière le Stade, n’ai pas bien compris où exactement ; et son fils fait sa rentrée après le Réveillon. Elle a dit ce mot, « réveillon », et ça me plaît qu’elle le connaisse.

    Puis c’est mon tour, dois décliner mon statut familial, les enfants, non un seul, et quel âge et la date anniversaire. Et elle d’être née en octobre et son fils en avril. Demande ce qu’elle veut pour le repas et on fait le menu ensemble.

    C’est comme ça la vie tranquille ici, et les passants passent en la saluant, bonjour Madame, elle leur répond semblant les reconnaître, on la sent tellement à sa place dans notre espace quotidien.







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  • Vue de la Presqu'île de Quiberon

    crédit photo anthropia # blog

     

    Rive du jour

     

     

    Je ne sais pas quand j’ai parlé ici de la dernière fois que j’ai vu Mina.

    C’était en fin d’été ? En tout cas, ce dimanche-là, elle était comme à son habitude devant le magasin, avec son fils jouant un peu plus loin. J’avais apporté un sac plein de bouquins pour Robert, récupéré chez ma voisine qui a fait son grand débarras de fin d’enfants à la maison.

    Ce jour-là, Mina m’expliqua qu’elle avait reçu la visite de l’assistante sociale à Sarcelles, il s’agissait d’inscrire le fiston à l’école. On a papoté, elle allait plutôt bien, même si la perspective d’un habitat décent n’était pas pour tout de suite, l’A.S. lui avait parlé d’une maison dans le même coin.

    Alors depuis septembre, je la guette chaque dimanche et je ne la vois plus. J’en ai raté un, peut-être était-elle passée ?

    N’y tenant plus ce matin et devant le trottoir désert, je suis allée à ma Tabuna Place, l’endroit à côté du Franprix où tous les jeudis on peut acheter un vrai Tabuna de Tunisie, ce pain rond que j’aime bien, et j’ai demandé à Naïma, si elle avait vu Mina. Elle m’a dit : elle est partie en vacances.

    Je ne sais pas si ça fait ça à tout le monde, mais le mot « vacances » m’a fait d’abord imaginer le pire, un de ces mots du politiquement correct qu’on doit bien employer dans les intérieurs de ministères, ils ne l’ont pas renvoyés en Roumanie quand-même, et Naïma a souri, non, elle m’a dit je pars en vacances, ça va durer un peu, c’est tout, n’a pas dit quand  elle rentrerait.

    Et depuis tout à l’heure je m'interroge sur sa destination, sur quel cap une femme rom qui ne demande qu’à s’intégrer a-t-elle bien pu se diriger.

    L'hypothèse la plus banale serait d’imaginer qu’elle est partie chez sa mère dans un petit village roumain, ou alors qu’elle a fait un de ces rassemblements de Roms quelque part en France, à mi-chemin entre prière et musique tzigane. Mais je ne sais pourquoi, je la vois plutôt prendre un aller-retour pour une destination balnéaire, un petit séjour pour soigner les bronches de son gamin, une villégiature pas chère quelque part, parce que Mina ne rêve que d’une chose, être une française normale, qui part en vacances, fait soigner son gamin, l’inscrit à l’école. Bon d’accord pour l’école, elle va être en retard, mais je suis sûre que Robert va revenir en pleine forme pour maîtriser ses tables de multiplication et ses lignes d’écriture après les vacances à la mer.

     

     

     



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    Destruction

    crédit photo anthropia # blog

     

     

    Ce matin, quand je suis arrivée au Franprix, elle était là, Mina. Elle s’est levée et m’a tendu la main, une poignée franche, directe, première fois, c’est moi qui me suis sentie reconnue, elle est monté à mon niveau, face à face, elle a fait un lien entre nous, physique, j’ai senti son corps, sa tension.

    Et puis j’ai vu la peau de son visage, rougie, épaissie, la peau d’un campeur qui s’altère à l’air, qui s’épaissit gros grain pour lutter contre le vent et les intempéries, on y sentait la semaine passée dans le Parc de Saint-Denis, vivant et dormant sous la pluie. Elle a fait le geste, ta couverture, elle la tordait comme une vieille serpillière usée, elle mimait, je l’ai jetée, foutue. J’ai imaginé la couverture rose à rectangles roses plus soutenus au fond d’une poubelle, mon don n’aura duré qu’une semaine et encore.

    On est à Sarcelles au…, elle a prononcé un mot, bomme, quelque chose dans le genre, j’ai fait répéter, pas davantage compris, j’ai pensé à une salle de sports où les Roms auraient été accueillis, puis ai dit au hasard, c’est un camp ?, elle a hoché la tête. Qu'est-ce que j'imaginais, qu'une mairie aurait pris les devants, se serait portée à leur secours. Je rêve.

    Je me suis souvenue que l’été dernier la jeune élève-architecte qui squattait chez moi et faisait un stage au 6B chez Julien Beller, un élève de Bouchain, était allée visiter un camp, où l’architecte s’était contenté de donner des poutres en bois et des planches d’agglo, à Aubervilliers ou une ville proche, et les Roms s’étaient installés, avec ruelle centrale et même à ce que j’ai vu par une photographie indiscrète qui traînait dans la chambre, quelques projectiles préparés sur le toit pour se défendre en cas de nécessité, bien cachés par les antennes paraboliques. Des bâtisseurs dans l’âme, les Roms

    Mais là en interrogeant Google, j’ai plutôt l’impression que le camp où elle est réfugiée est celui-ci, l’ immense bidonville de Sarcelles. Et l’image qui me vient est celle de Gaza, les Roms sont nos Palestiniens, sur lesquels le pouvoir continue de s’acharner.

    Ce matin-là, Robert joue à bonne distance, à l’autre bout du magasin, il enjambe un muret, il ne se rapproche pas. Sa mère, qui me l’a montré du doigt, dit qu’il tousse à nouveau. Elle semble angoissée. C’est dimanche, Mina est venue jusqu’à Saint-Denis sur son spot habituel, je comprends qu'au camp, ça ne se passe pas bien. Je dis, Robert va à l’école, là-bas ? Elle fait signe que non, elle est triste. Ici, c’était bien l’école à Marcel Sembat, elle sourit. Il aime bien. Moi, il continue d'y aller ? Non, c'est trop loin. Elle baisse la tête, là-bas, je ne connais pas les écoles, je ne sais pas où. J'y vais de mon conseil, va à la mairie, demande, inscris-le. J'imagine le marathon de sa vie, se reconstituer une vie à chaque fois. Fatigue.

    C’est pas bien, Sarcelles. Elle hausse les épaules et les laisse en l'air, on n’a rien. Les policiers ont tout détruit. L’angoisse d’une femme qui n’assure plus le quotidien. Je demande, t’as besoin de quoi ? Sa réponse sort tout de go, des pommes de terre. Cet instinct de survie, toujours savoir de quoi on a besoin. Si on me posait la question, je ne saurais pas quoi répondre, en tout cas, pas tout de suite. Je comprends qu’elle peut cuisiner. Alors je vais au Franprix remplir un sac de belles patates et je prends du beurre aussi, que je lui rapporte, j’ai pris en dessert quelques galettes sucrées. Elle est contente.

    Voilà, je ne sais pas quoi faire d’autre. Je lui serre la main, on se quitte. Malaise.

     



     


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  • Rouge de l'autre côté

    crédit photo anthropia # blog

     

     

     

    Longtemps que je ne suis revenue sur les jours, qui filent, se délitent, me délitent.

     

    Un dimanche

    Suis arrivée auprès de Mina, avec mon barda, une couverture et un rouleau de feutrine de plastique, ne sais comment l’appeler, de celle qui me restait d’un vieux chantier de parquet, on la positionne sous les lattes, de quoi insonoriser ( ?) ou amortir ( ?), en fait à quoi ça sert, n’en sais rien non plus.

    J’avais pensé à lui apporter ce matériau léger pour au choix, mettre sous le corps, dans le Parc de Saint-Denis, -quand on y dort à même le sol, il faut sans doute se protéger de l’humidité, la rosée du matin, et peut-être mettre une couche supplémentaire, ont-ils des matelas pneumatiques comme n’importe quel campeur up to date, j’en doute-, ou le poser par-dessus sur la couverture, pour l’imperméabiliser, résister aux pluies intermittentes, chaud et anti-pluie donc.

    Quand je suis arrivée à sa place attribuée, le léger débordement du mur, au sol, là où elle s’assied avec Robert pour mendier, se trouvait déjà une femme qui lui montrait un mail, avec l’adresse d’une association de défense des Roms, elle lui demandait si elle pouvait lire, la femme parlait vite les mots se précipitaient moi-même n’était pas sûre de tout saisir, et Mina ne semblait pas comprendre, alors j’ai fait le geste d’écrire et là elle a souri, oui, je sais lire.

    Marrant que le lire et l’écrire se rejoignent même pour elle. On dit qu’avec le clavier pour stylo les petits perdront quelque chose de ce lien, je pense que ce sont les enseignants qui vont  y perdre une pédagogie, qu’il va falloir réinventer le b-a, ba, la méthode analytique devenant désuète dans ce nouveau paysage. Quant à la globale, on sait ce qu’il faut en penser.

    Puis sortant du Franprix, une ménagère de plus de cinquante ans, comme nous toutes là, a apporté un paquet de gâteaux pour Robert, j’ai tiqué, est-ce de première nécessité ?, puis acquiescé (mais on ne me demandait pas mon avis), précisément, apporter des gâteaux, des sucreries, c’est ce qui manque au quotidien.

    Comme cette fois où on avait fait une fête pour les SDF de La Défense, ceux qui vivaient dans les parkings, près des chaufferies, que les gardiens protégeaient, que les DRH venaient visiter, enfin les DRH avec un cœur, si, si, ça existe. On s’était promis de ne leur donner pour une fois que le superflu, des chanteurs qui avaient accepté de jouer gratis, des livres pour se distraire, simplement à la sortie du spectacle, ils partaient avec un sac-à-dos rempli d’un panier repas et de quelques bricoles utiles quand on vit dans la rue. Ah oui, on avait aussi un atelier Infirmerie, un atelier Coiffure, et quelques portants avec des vêtements chauds à emporter. Mais l’idée de base, c’était de leur donner ce qu’ils n’avaient que rarement au quotidien, la culture. Et ils étaient sortis heureux, fiers qu’on ait pensé à eux pour une fête inhabituelle. De quoi nourrir l’imaginaire, faire rêver pour une fois plutôt que mettre le nez dans une soupe qui n’a rien de populaire, une soupe qui vous sert la grande solitude qui est la vôtre dans un bol, une soupe qui vous dit, c’est toi, là, dans la rue, tu n’as plus que cette possibilité pour manger. L’aide terrible qui vous sauve et vous enterre à la fois.

    J’ai bien aimé ce moment d’un dimanche matin où une solidarité de quartier se mettait en branle, chacun à sa manière, on passait et on pensait à Mina et Robert. Et eux semblaient contents de ne pas être transparents.


    Un jeudi ou était-ce un vendredi.

    Place Clichy, au Cinéma des Cinéastes. Vu Mud. Boue. Le Collins ajoute his uniform was crumpled, untidy, splashed with mud et aussi to get stuck in mud, s’embourber, et un peu plus loin, mud-slinging, médisance, dénigrement. Tout ça dans le film. Le pitch officiel, « Ellis et Neckbone, 14 ans, découvrent un homme réfugié sur une île au milieu du Mississipi. C’est Mud : un serpent tatoué sur le bras, un flingue et une chemise ... ». Mud, la boue macule ses joues, mud, il s’est embourbé dans une sale histoire de meurtre du copain de son amour de jeunesse, mud, où se vit l’initiation d’Ellis, qui croit à la belle histoire d’amour de son ami, qui vit la sienne de son côté, qui lutte contre le mud-slinging, tous ces gens qui dénigrent son ami, sur fond de parents en pleine crise, qui finalement se rend compte que la réalité est plus complexe que ce qu’elle semblait, fin de son amourette, confrontation au réel tordu de cet ami, colère, et puis rebasculement final, où les ambivalences se révèlent et se retricotent pas trop mal. L’initiation, quand elle finit comme « leçon de vie », dont on tire le positif. Un bon film, où se vit une certaine transparence des relations. Même dans la boue, c’est possible.

     

    Un lundi nuit

    Les fantasmes ne se présentent plus à l’orée de la nuit, ils résistent, transparente à moi-même, je veux dire que le point imaginaire est flou, que les scénarii échouent faute de visage, la statue des certitudes a été déboulonnée, pas celle du récit toutefois qui s’organise, comme si je devais payer de ce trouble intérieur le prix de l’écriture. Rien d’automatique donc, c’est peut-être ce qu’on reproche à la transparence, quand elle est exigée comme un passe-droit, qu’on la veut sans la désirer vraiment.

    Ici elle se fait mendier. Et puis non, pas mendier, marcher pour la trouver, le réel se gagne par les pas de la réalité, résister avec le pas-nommé pour horizon, et peut-être qu’en place de la transparence, se trouvera une opalescence, laissant deviner les reflets irisés de la couleur, toutes les couleurs, comme ces objets technologiques qui via un petit circuit imprimé font défiler les mille et un tons de la vie.



     



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